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Les débuts de Mohamed Bourouissa
Mohamed Bourouissa naît en 1978 à Blida, en Algérie, et déménage en France tout petit. Cette double appartenance nourrit déjà un regard singulier sur le monde. Durant sa jeunesse, il s’intéresse aux images et aux récits. La photographie lui apparaît comme un outil puissant pour traduire une réalité souvent mal comprise. À travers elle, il peut questionner, représenter, transformer.
Une formation artistique solide

Après le lycée, il suit un cursus universitaire en arts plastiques à Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il intègre ensuite l’École nationale supérieure des arts décoratifs, puis complète sa formation au Fresnoy – studio national des arts contemporains. Ces institutions lui offrent un socle technique et théorique. Mais au-delà des cours, c’est l’observation de son environnement qui façonne son univers. Bourouissa s’imprègne des tensions sociales, des fractures urbaines, des codes invisibles. Ses études ne sont pas une fin en soi : elles deviennent des outils pour affirmer une vision.
Périphérique : un premier geste manifeste
Entre 2005 et 2008, il réalise la série Périphérique. Elle met en scène les habitants de banlieue dans des compositions proches de la peinture d’histoire. Inspirées des classiques, ces images transforment la perception du quotidien. Les jeunes deviennent des figures héroïques, les rues des décors symboliques. Avec ce travail, Bourouissa s’éloigne du reportage pur. Il met en place des fictions pour révéler des réalités invisibles. La série fait rapidement parler d’elle et positionne l’artiste comme une voix singulière.
Explorer de nouveaux formats
En 2009, il poursuit avec Temps Mort, projet vidéo qui combine images fixes et flux issus de téléphones portables. Il interroge alors notre rapport au temps et à la communication. Cette œuvre confirme son goût pour les formes hybrides.
Par la suite, il multiplie les supports : photographie, vidéo, installation, sculpture. Chaque médium devient pour lui un moyen d’élargir la réflexion. Ses œuvres ne se limitent jamais à une seule dimension esthétique. Elles sont des dialogues avec un contexte social et politique.
Reconnaissance et expositions internationales
Très vite, Mohamed Bourouissa expose dans des institutions majeures. On le retrouve au Centre Pompidou, au Musée d’Art Moderne de Paris, au New Museum de New York, ou encore à la Haus der Kunst de Munich. Il participe à plusieurs biennales : Venise, Sydney, Sharjah.
Ses œuvres intègrent aussi des collections prestigieuses, comme celles du Centre Pompidou et du LACMA à Los Angeles. Chaque exposition confirme son statut d’artiste international, capable de traverser les frontières avec un langage universel. En 2020, il remporte le Deutsche Börse Photography Foundation Prize pour son exposition Free Trade. Cette distinction prestigieuse le place parmi les artistes contemporains les plus influents.
Un art profondément engagé

Ce qui distingue Bourouissa, c’est sa volonté d’interroger la société. Ses sujets sont souvent les “invisibles” : habitants des quartiers populaires, communautés marginalisées, figures absentes du récit dominant. Plutôt que de les représenter passivement, il les met en scène, les magnifie.
Son travail refuse le cliché et la caricature. Il ne cherche pas à montrer la banlieue telle qu’elle est perçue par les médias. Au contraire, il reconstruit une vision où l’esthétique et la dignité priment. Pour lui, l’art est un outil de transformation du regard.
Signal et Généalogie de la Violence : un tournant récent
En 2024, le Palais de Tokyo consacre une grande rétrospective à son travail, intitulée Signal. L’exposition réunit plus de quinze années de création : photographies, vidéos, installations, performances. Elle met en lumière la cohérence de son œuvre, centrée sur les rapports de pouvoir et les fractures sociales.
Parallèlement, il réalise Généalogie de la Violence, un court-métrage qui prolonge ses recherches plastiques. Dans ce film, il explore comment la violence se transmet, se reproduit et se manifeste dans le quotidien. Ces projets confirment une maturité artistique et un ancrage politique toujours plus affirmé.
Une écriture entre fiction et documentaire
La particularité de Bourouissa réside dans sa capacité à brouiller les frontières entre réel et fiction. Ses photographies ressemblent parfois à des mises en scène cinématographiques. Pourtant, elles naissent d’une immersion longue dans les lieux et auprès des personnes. Il construit des images qui paraissent spontanées mais qui sont le fruit de dispositifs précis. Cette tension entre préparation et improvisation crée un trouble. Le spectateur ne sait jamais où finit le réel et où commence la fiction. Ainsi, Bourouissa questionne notre rapport aux images. Peut-on croire ce que l’on voit ? Peut-on représenter sans trahir ?
Héritage et perspectives
À plus de quarante ans, Mohamed Bourouissa s’est déjà imposé comme une figure essentielle de la scène contemporaine. Son héritage réside dans sa capacité à donner une place aux invisibles, à transformer les marges en centres. Ses prochaines créations devraient encore repousser les limites. On peut imaginer des projets plus immersifs, combinant technologies nouvelles, collaborations interdisciplinaires et engagement politique.
Quoi qu’il entreprenne, une constante demeure : sa volonté de réinventer notre regard. Bourouissa ne se contente pas de montrer le monde ; il l’interroge et le transforme. De Blida aux musées internationaux, Mohamed Bourouissa trace une trajectoire unique. Ses œuvres, mêlant photographie, vidéo et installation, donnent voix à ceux que l’on ne voit pas. Elles interrogent la société, ses fractures et ses récits.
Artiste engagé, il prouve qu’une image peut être plus qu’un reflet : elle peut être un acte politique. En brouillant les frontières entre fiction et documentaire, Bourouissa ouvre de nouveaux horizons pour l’art contemporain.Son parcours inspire une génération d’artistes et confirme une évidence : l’art n’est pas seulement esthétique, il est aussi une manière de penser et de transformer le réel.