Actrice

Lyna Khoudri

Née en 1992 à Alger, révélée par Papicha, primée aux César, muse de Chanel, elle incarne à 32 ans une génération plurielle qui rêve sans s’excuser. En 2025, elle revient sur la Croisette, silhouette couture et regard ardent. Portrait d’une actrice qui redessine les contours d’un cinéma français.

Publié le 5 juin 2025. Modifié le 1 août 2025.

Les débuts de Lyna Khoudri

Née dans une Algérie encore marquée par les secousses de la guerre civile, Lyna Khoudri quitte le pays très jeune avec sa famille pour s’installer à Aubervilliers, puis à Paris. L’Algérie reste en elle — dans ses silences, ses choix, ses rôles. En 2019, Papicha fait l’effet d’un choc esthétique et politique. Lyna y incarne Nedjma, jeune étudiante qui défie le fondamentalisme à travers la mode. Le film, signé Mounia Meddour, conjugue rage sourde et poésie féminine. La performance est saluée, couronnée par le César du Meilleur Espoir féminin en 2020. Ce rôle marque plus qu’un début : il révèle une actrice capable de faire vibrer le politique dans l’intime. Une voix, une allure, un regard qui racontent l’Algérie contemporaine tout en parlant à la jeunesse mondiale. Une actrice ancrée, sans frontière.

Chanel : élégance mutique, présence manifeste

Depuis 2022, Lyna Khoudri est ambassadrice Chanel. Un choix qui dit tout. Pas pour sa photogénie seule, mais pour ce qu’elle incarne : une élégance sobre, une assurance tranquille, une féminité affranchie. Elle défile, pose, rayonne. Mais toujours sans emphase. À Cannes 2025, elle apparaît dans une robe aux reflets nacrés, miroir de son jeu : fluide, nuancé, texturé. La mode devient, chez elle, un prolongement naturel de l’expression artistique — une manière d’habiter le monde.

Une filmographie sans fausse note

Lyna Khoudri, présence rare, intensité constante

Il existe des visages qui ne cherchent pas la lumière, mais qui pourtant l’attirent inévitablement. Lyna Khoudri appartient à cette catégorie rare. Avec sa silhouette menue, son regard limpide et ses gestes mesurés, elle n’impose jamais rien. Pourtant, elle suggère tout. Depuis plusieurs années, elle traverse le cinéma français et international avec la régularité d’une météorite tranquille. Plutôt que d’élever la voix, elle choisit de creuser. Chaque apparition, dès lors, s’accompagne d’une densité nouvelle.

Ainsi, de The French Dispatch de Wes Anderson à Adieu les cons d’Albert Dupontel, en passant par Les Trois Mousquetaires de Martin Bourboulon, elle façonne une trajectoire singulière. Loin de toute stratégie de séduction, elle embrasse des projets à la fois dissonants et cohérents. À chaque film, elle explore un terrain nouveau. Par conséquent, elle déjoue les assignations, refuse les sentiers balisés, dérange les lignes attendues.

Dans le rôle de Constance Bonacieux, elle déplaçait les contours d’un personnage souvent réduit à l’innocence. Sous son regard précis, la figure de jeune première gagnait en substance. Certes, elle restait vulnérable. Toutefois, elle révélait une lucidité inattendue. Aimante, oui, mais jamais soumise. De fait, Lyna Khoudri ne se contente pas d’interpréter. Elle investit, habite, transforme. Grâce à elle, les héroïnes archétypales deviennent des femmes contradictoires, mobiles, puissamment humaines. Tout cela, sans emphase ni démonstration.

Une actrice poreuse au monde

D’abord formée à la scène, elle fut très tôt initiée à l’écoute et à la rigueur. Par ailleurs, le théâtre lui apprit à accueillir les silences, à lire les espaces vides, à répondre à l’instant. Aujourd’hui encore, cette qualité vibrante se ressent dans chacun de ses rôles. Elle semble toujours ailleurs, bien qu’éminemment présente. Ainsi, son cinéma devient poreux. Il laisse passer les voix perdues, les héritages mêlés, les douleurs enfouies. À travers elle, une génération multiple prend forme. Une génération attentive, mouvante, insaisissable.

Chaque choix artistique, en apparence discret, révèle une cohérence souterraine. Il dessine une carte, politique autant qu’émotive. En effet, les femmes qu’elle incarne traversent des tensions profondes : culturelles, affectives, sociales. Néanmoins, elles avancent. Parfois dans le doute, parfois dans la colère. Mais jamais dans la résignation. Jamais dans l’automatisme. Lyna Khoudri ne clame rien hautement. Pourtant, tout s’inscrit dans le corps, dans le souffle, dans l’intention. Plutôt que de défendre un discours, elle en propose la forme vivante. Chaque inflexion devient une déclaration muette. Et c’est là, sans doute, que réside sa force.

Une voix sans fracas

Rare sur les réseaux, pudique dans ses confidences, elle se tient à distance du bruit. Loin des polémiques, elle agit dans la durée. L’actrice soutient les causes qu’elle estime justes — collectifs d’artistes diasporiques, défense des exilés, mémoire de l’Algérie. Mais elle le fait sans chercher l’écho médiatique. Là encore, c’est l’élégance du geste qui frappe. Elle trace une ligne droite dans un monde qui bruisse de détours.

En mai 2025, elle a monté les marches du Palais comme on ponctue une phrase avec soin. Pas d’effusion, pas de mise en scène. Une robe Chanel noire et fluide, un port de tête altier, et ce regard clair qui semble toujours interroger plutôt qu’affirmer. Dans le tumulte de Cannes, sa présence avait quelque chose d’évident. Elle rappelait que le cinéma peut encore signifier quelque chose, parler de nous, dire les tensions d’un monde mêlé. Elle représentait sans surjouer. Elle signifiait sans discours.

Lyna Khoudri en 2025

Dans 13 jours, 13 nuits, Lyna Khoudri incarnait Eva, une humanitaire franco-afghane confrontée à la chute de Kaboul. Lors de son entretien accordé à Numéro, elle expliquait avoir été profondément bouleversée par les images d’exfiltration, sans pourtant connaître l’histoire intime de ces hommes suspendus à un avion. Ainsi, ce projet l’avait poussée à dépasser ses repères. Travailler avec Martin Bourboulon, qu’elle admirait pour son exigence de mise en scène, lui avait permis d’explorer des zones qu’elle n’aurait sans doute jamais imaginées auparavant.

Pudeur et précision

De plus, il l’invitait à interroger sa propre trajectoire identitaire : « Qu’est-ce que ça veut dire, quitter sa terre ? », « Peut-on vraiment être citoyen du monde ? » Ces questions, en résonance avec ses racines algériennes et sa culture franco-centrée, faisaient émerger un lien profond entre sa réalité personnelle et celle d’Eva. Dès lors, malgré la tension du tournage à Casablanca et la gravité du sujet, elle s’y était engagée avec une rigueur intacte. Comme toujours, elle choisissait de s’investir avec pudeur et précision, fidèle à sa manière singulière d’habiter chaque rôle, sans détour ni éclat superflu.