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James Turrell
Né en 1943 à Pasadena, en Californie, il grandit dans une famille quaker, où le silence n’est pas une absence mais une présence. Chez les quakers, on ne prie pas à haute voix. On attend, dans la lumière intérieure, que surgisse la vérité. Ce rapport intime à la clarté, au vide, au mystère, irrigue toute l’œuvre de Turrell. Ses œuvres ne s’observent pas, elles se vivent. James Turrell manipule la lumière comme d’autres le bronze, créant des espaces suspendus, entre matière et illusion. Une expérience immersive qui convoque autant l’œil que la conscience.
Publié le 16 juin 2025. Modifié le 15 juillet 2025.

Des œuvres entre ciel et espace
L’artiste transforme le ciel en matière première, en langage silencieux. Le Roden Crater, volcan éteint posé au cœur du désert de l’Arizona, devient entre les mains de James Turrell une cathédrale cosmique. Depuis la fin des années 1970, il en façonne patiemment l’intérieur comme un temple dédié à la lumière. Il ne sculpte ni marbre ni bronze, mais le vide, le silence et la course des astres. Ici, le ciel entre dans l’architecture, littéralement. Les galeries souterraines, les chambres d’observation et les tunnels d’alignement composent un dispositif spirituel, une œuvre de land art où l’univers tout entier devient matériau plastique.
Avec ses Skyspaces, que l’on découvre au musée de Houston ou sur l’île japonaise de Naoshima, Turrell affine cette quête : il encadre le ciel, le découpe dans le plafond, le laisse entrer dans la pièce, modulé par des jeux de lumière imperceptibles. Ces espaces invitent à une contemplation lente, presque sacrée. Le regard s’élève, les repères s’effacent, le ciel devient tableau mouvant. Ainsi, chaque visite s’apparente à un rituel. On ne regarde plus seulement : on ressent la lumière, on écoute le silence, on entre dans une autre perception du temps. Le ciel, alors, n’est plus au-dessus de nous : il est en nous.
Lumière comme matière

À la lumière de son parcours, il est évident que James Turrell conjugue art, astrophysique et quête intérieure. Très tôt, il s’intéresse à l’astronomie, à la mécanique du regard, aux illusions d’optique. Il étudie les mathématiques, la psychologie de la perception, l’aviation — il est d’ailleurs pilote — autant de disciplines qui nourrissent une œuvre à la croisée de la science et du sacré.
Ce n’est donc pas un hasard si ses installations plongent le spectateur dans des environnements où la lumière devient matière, où les repères s’effondrent, où la perception elle-même vacille. Dans Afrum (Proto) (1966), une lumière blanche semble flotter dans l’espace, projetée dans un angle sombre de la pièce. Pourtant, rien n’est tangible. L’illusion est parfaite. Le cube lumineux semble réel, sculpté dans l’air, alors qu’il n’est que suggestion. Raemar Pink White (1969), quant à elle, baigne le regard dans une nappe de lumière rose, douce et troublante, qui altère la perception du mur lui-même. La lumière n’éclaire plus : elle devient le sujet.
Ainsi, Turrell occupe un territoire singulier, presque mystique : celui où l’art rejoint l’invisible. Il ne cherche pas à représenter le monde, mais à offrir une expérience directe, presque spirituelle, de la lumière. Il interroge ce que signifie « voir », non pas au sens banal d’apercevoir, mais au sens profond de ressentir. Ce n’est pas un hasard si ses œuvres ressemblent à des sanctuaires laïques. Le spectateur y entre comme dans une chapelle, invité à s’asseoir, à ralentir, à accueillir. À contempler.
Dans une époque saturée de signes et d’images, James Turrell propose une autre voie : celle d’un art lent, contemplatif, où la lumière ne montre rien — mais révèle tout. Car chez lui, le visible est toujours bordé par l’invisible. Il transforme le regard en expérience intérieure. Il ne nous dit rien. Et c’est précisément là que commence la révélation.
L’influence de la science et de la spiritualité

À la lumière de son parcours, il est évident que James Turrell conjugue art, astrophysique et quête intérieure. Puisqu’il est quaker (membre d’une église protestante), il puise dans une tradition spirituelle du silence et de la lumière intérieure. Cela étant, ses œuvres, comme Raemar Pink White ou Afrum (Proto), créent des illusions géométriques avec une précision scientifique, tout en évoquant une transcendance muette. Il occupe un territoire unique : celui où l’art rejoint l’invisible.
Une présence rare, une aura mondiale

Discret mais essentiel, James Turrell demeure l’une des figures majeures de l’art contemporain.
Bien qu’il se fasse rare dans les médias, sa présence irradie les institutions les plus influentes. Ses installations, notamment à la Bourse de Commerce à Paris ou au Mass MoCA dans le Massachusetts, ont laissé une empreinte profonde, presque viscérale, dans la mémoire des visiteurs. Il ne cherche pas à faire sensation. Il préfère créer des espaces d’expérience totale, où l’architecture devient un terrain d’exploration sensorielle, presque mystique.
Même les lieux les plus inattendus se prêtent à son œuvre : le domaine viticole de Donald Hess en Argentine, suspendu dans les hauteurs andines, ou l’hôtel Faena à Miami, temple exubérant dédié au luxe et à l’art, accueillent ses installations comme des offrandes silencieuses à la lumière. Cette omniprésence, aussi subtile qu’universelle, dit tout de son rayonnement.
Et après ?
Que restera-t-il de cette œuvre à la frontière du tangible ? Dans un monde saturé de stimuli, d’écrans et d’urgences, James Turrell propose une échappée. Il ne nous montre rien : il nous apprend à regarder. Il ne crée pas d’image : il nous place face à la lumière brute, à l’espace nu, à notre propre perception. Ses œuvres invitent à ralentir, à respirer, à sentir.
En somme, elles redéfinissent le rapport que nous entretenons à l’art. Loin du spectaculaire ou du bavardage visuel, elles suggèrent une forme d’émerveillement durable. Voir, chez Turrell, ce n’est pas simplement percevoir. C’est méditer, ressentir, s’élever. Son œuvre n’est pas un manifeste : c’est une promesse silencieuse, celle d’un avenir artistique éclairé par la lumière, le silence, et une forme de beauté essentielle, presque sacrée.
