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Grace Wales Bonner
Elle ne coud pas seulement des vêtements : elle tisse des identités. Depuis 2014, Grace Wales Bonner façonne une œuvre où l’Afro-Atlantic chic devient un langage, et la silhouette, un manifeste. Sa marque éponyme, entre luxe contemporain et mémoire diasporique, redessine les contours du tailoring masculin-féminin. À mi-chemin entre la performance culturelle et la haute couture, elle fait du vêtement une archive vivante, un poème en mouvement.

Les débuts de Grace Wales Bonner
Dès ses premiers pas, Grace Wales Bonner pense la mode comme une mémoire en mouvement.
Fondée à Londres en 2014, sa maison se construit à la croisée de plusieurs continents : l’Afrique, l’Europe et les Caraïbes, entre héritage et modernité. Ses créations, traversées de contrastes et d’échos, mêlent le tailoring britannique et les codes vestimentaires afro-caribéens. Cette tension poétique entre rigueur et émotion fait du vêtement un langage à part entière, politique et spirituel à la fois. Chez elle, le tissu devient matière de pensée ; la coupe, une forme de prière. Sa mode est une écriture du corps, une archive vivante où s’inscrit la mémoire collective.
Le tailleur afro-atlantique : un langage textile

Ses silhouettes racontent la résistance et l’appartenance, revisitant les codes du tailoring à des influences caribéennes. Sous sa main, le vêtement devient lieu de passage : entre discipline et liberté, entre beauté et revendication.
La géopoétique d’une marque
Si Londres reste son port d’attache, l’univers de Grace Wales Bonner déborde largement les frontières. Ses collections se lisent comme des carnets de voyage, ou plutôt comme des journaux spirituels.
Wales Bonner x Adidas Originals : le sport comme territoire sacré
L’alliance entre Wales Bonner et Adidas Originals aurait pu sembler improbable. Pourtant, elle s’est imposée comme une évidence. En revisitant les Samba, les survêtements et les mailles vintage, la créatrice transforme le vêtement sportif en objet de mémoire et de transcendance.
Cette collaboration, célébrée par la critique comme par le public, marque une étape décisive dans son parcours. Elle propulse Grace Wales Bonner au rang d’icône culturelle, à la croisée du luxe, de l’art et du geste populaire. Le sport devient un manifeste, à la fois poétique et politique.
Parallèlement, son chemin s’est rapidement illuminé par la reconnaissance. Dès 2015, Grace Wales Bonner est nommée Emerging Menswear Designer aux British Fashion Awards, un prix qui salue déjà son regard singulier sur le vêtement masculin. L’année suivante, elle remporte le très convoité LVMH Young Designer Prize, véritable tremplin qui confirme son statut de créatrice à l’influence transatlantique. Puis, en 2019, elle devient lauréate du British Fashion Council / Vogue Designer Fashion Fund, preuve que son travail ne relève plus du simple coup de cœur, mais d’un mouvement de pensée structuré et durable.
Ensuite, en 2021, elle décroche le prestigieux titre de CFDA International Men’s Designer of the Year, avant d’être couronnée, en 2022, du prix Independent British Brand aux Fashion Awards. Ces distinctions, pourtant nombreuses, ne traduisent pas une simple succession de succès : elles dessinent, au contraire, une trajectoire intellectuelle et poétique.
Une nouvelle ère : Grace Wales Bonner chez Hermès

En 2025, Hermès confie à Grace Wales Bonner la direction artistique de ses collections homme.
Ce choix, à la fois audacieux et cohérent, symbolise l’ouverture d’une maison ancrée dans la tradition vers une modernité consciente. L’héritière du tailoring diasporique rejoint l’un des temples du luxe français avec une sensibilité rare. Elle y inscrit son vocabulaire de nuances : l’intelligence du détail, la lenteur maîtrisée, la beauté comme discipline intérieure. Entre artisanat et imaginaire, entre Paris et Kingston, elle promet de redéfinir l’élégance masculine par la profondeur plutôt que par l’effet.
Une vision incarnée
Car au fond, Grace Wales Bonner ne parle pas seulement de mode — elle parle du monde.
Ses créations incarnent une philosophie du lien : entre les continents, les époques, les corps.
Elles rappellent que le vêtement peut être un langage de réconciliation. Sous ses doigts, les tissus deviennent des passeports, les broderies des alphabets, les silhouettes des récits d’exil et de retour. Son œuvre, traversée de références à la littérature, à la musique ou à la mystique, défie la frontière entre culture et couture. On y entend parfois la voix de Derek Walcott, les cadences de Coltrane, la ferveur de James Baldwin.
Nouvelle ère chez Hermès
En cela, la nomination de Grace Wales Bonner chez Hermès en 2025 résonne comme un véritable passage de témoin. Elle prolonge un héritage artisanal d’une rigueur absolue, tout en y insufflant un supplément d’âme, une vibration spirituelle qui redonne souffle au geste couturier. Ainsi, là où d’autres perçoivent dans le luxe un horizon d’exclusivité, elle y voit, au contraire, un terrain d’universalité : un lieu où la main, la pensée et la matière s’accordent dans un même rythme intérieur.
Son arrivée au sein d’Hermès ne marque donc pas une rupture, mais bien une continuité. Elle incarne une nouvelle manière d’envisager la mode : celle du sens, du souffle et du geste. Par son regard métissé, entre héritage et modernité, Wales Bonner fait entrer la maison dans une dimension plus méditative.
Le luxe devient alors conscient, pluriel, enraciné autant que tourné vers l’avenir. À travers ces récompenses, le monde de la mode reconnaît non seulement une créatrice, mais aussi une véritable penseuse du vêtement, qui interroge autant qu’elle habille.
Ainsi, ces prix offrent à son œuvre une assise institutionnelle tout en amplifiant son aura artistique. Ils lui ouvrent des portes — notamment celle d’Hermès — et lui permettent d’affirmer un langage nouveau, libre et habité. Car, pour Wales Bonner, la gloire n’a jamais été une finalité ; ce qui compte, avant tout, c’est la transmission.