7 juin 2024

L’interview la drag queen Sara Forever, finaliste de Drag Race France

Drag queen française, finaliste de la saison 2 de Drag Race France, Sara Forever se livre à Numéro sur sa sublime tenue, imaginée avec le créateur Aymerick Zana, arborée lors de son apparition surprise dans les nouveaux épisodes du programme. Rencontre. 

Propos recueillis par Erwann Chevalier.

La drag queen Sara Forever © Sylvain La Rosa.

Sara Forever, une drag queen française qui a le sens de la mode 

 

25 août 2023. Le célèbre cinéma Le Grand Rex à Paris est en ébullition. Et pour cause, les onze drag queen de la deuxième saison de l’adaptation française de RuPaul’s Drag Race se réunissent une dernière fois, devant un public, pour élire la nouvelle reine du drag français. Sur scène, la féline Keiona affronte alors la dramatique Sara Forever. Un combat de titan qui se clôture sur une victoire explosive de Keiona. 

 

Mais Sara Forever marque tout de même cette finale à sa manière. Non pas en décrochant la couronne mais avec une performance véritablement lé-gen-daire à la fois remarquable et poétique. Sur les rythmes tonitruants de l’inoubliable morceau Titanium (2011) de David Guetta et Sia, la drag queen, âgée de 34 ans, originaire de la banlieue de Bordeaux, apparaît dans un look immaculé. 

 

Une cape blanche monastique à capuche recouvre en effet une combinaison aux seins coniques. Dès lors qu’elle presse sa poitrine, au climax de la chanson, un flot d’encre bleu à l’allure de sang vient tapisser et jaillir – comme une métaphore – sur le tissu. Un moment fort qui est aujourd’hui encore largement repartagé sur les réseaux sociaux. 

 

Il faut dire qu’au fil des épisodes de la saison 2 de Drag Race France, Sara Forever nous a habitué à un univers mode inspiré et inspirant, en témoignent ses nombreux looks affichés fièrement sur le podium – on retient notamment un mètre ruban géant pour la couture enroulé autour de son corps – devant le jury composé de Nicky Doll, la présentatrice de Drag Race France, de l’animatrice Daphné Bürki et du DJ Kiddy Smile

 

Tandis que la troisième saison du programme vient d’être lancée ce 31 mai 2024, Sara Forever se confie à Numéro avec le créateur de mode français Aymerick Zana à propos de son retour à l’écran et sur sa tenue arborée pour l’occasion. Rencontre. 

La drag queen Sara Forever © Sylvain La Rosa.

L’interview de Sara Forever, finaliste de la saison 2 de Drag Race France

 

Numéro : Pouvez-vous décrire votre tenue imaginée pour la saison 3 de Drag Race France

Sara Forever : La tenue suggère la puissance dans l’imaginaire collectif que nous avons de la royauté mais également sa fragilité et son aspect purement symbolique. C’est notamment pour cela qu’on a voulu avec Aymerick, mettre en avant des éléments tels qu’un col fraise inspiré de la mode élisabéthaine, ou qui peut faire directement référence à Marie Stuart Reine d’Ecosse. C’est aussi le cas de la traine, élément classique de l’époque qui vient appuyer le drama de cette figure. Les chaussures aussi, en impression 3D, dessinées et réalisées par Giovanni Zocchetta, reprennent les arabesques typiques des chaussures d’époque. J’ai aussi voulu parler de l’après drag race, des possibilités qui s’offrent à moi et de mon désir d’écrire une nouvelle page ensemble. C’est aussi un hommage à tout ce que j’ai pu réaliser grâce aux gens qui me portent et me soutiennent depuis l’émission, à ce que nous avons parcouru ensemble, et à ce qui nous reste à écrire. C’est pour cela que la totalité du look est basée sur des matériaux blancs, qu’on a recouvert de peinture, une partie du corps compris, comme si la tenue venait s’incruster dans la peau. 

 

Combien de temps cela vous a-t-il pris de la confectionner ?

Sara Forever : La plus grosse partie du travail consiste vraiment à échanger, faire rencontrer nos imaginaires, à s’appuyer sur des références communes, et à chercher les matériaux qui retranscriront au mieux ce qu’on veut dire.  

 

Quelles sont les inspirations derrière cette tenue ? 

Aymerick Zana : La page blanche a été le point de départ de notre réflexion. Il me semblait intéressant d’apporter une dimension flamboyante en évoquant la royauté que l’on retrouve souvent à travers les personnages de reines. C’est aussi un clin d’œil à Drag Race et cette course à la couronne.  La silhouette est composée d’éléments inspirés par les costumes élisabéthain et les pliages de papier que nous faisions étant enfant. Amoureux de l’architecture du vêtement, j’ai trouvé intéressant de travailler à partir de matériaux bruts, comme une esquisse : de la toile à corset, de la gaze, de la percale. Sara étant une queen performative avant tout, j’ai eu l’envie d’apporter de la texture à travers la peinture qui vient couvrir la matière de manière irrégulière, comme une pièce inachevée ou plutôt, un work in progres, allant jusqu’à déborder sur le corps. Pour compléter cet imaginaire, une plume géante, étincelante de strass, comme un bijoux qui contraste avec le côté brut de la silhouette.  

Sara Forever : Je complèterais en disant aussi que j’avais très envie d’évoquer quelque chose en construction, en mouvement, d’où l’aspect organique qu’on retrouve dans la tenue. 

“Je pense que c’est essentiel qu’une drag queen ou qu’un drag king, ait une vision de ce qu’il souhaite représenter, distordre, moquer, défendre, et ça passe par la mode, donc c’est indissociable.” Sara Forever.

 

Qu’est qui rend ce look si original ?

Sara Forever : Pour moi c’est parce qu’il invite à l’imaginaire que ce look est très original, on a utilisé des éléments de mode très reconnaissables mais on les a fait se rencontrer avec mon histoire. Je trouve ce look très romantique d’une certaine façon, il dit beaucoup de ma relation à l’émission, mais aussi de ma volonté d’embarquer avec moi les gens qui me soutiennent et qui m’ont connu à travers Drag Race. C’est une invitation. 

 

Pensez-vous qu’une drag queen doit absolument avoir une vision mode et savoir coudre ? 

Sara Forever : C’est ce débat permanent autour de ce qui différencie les artisans des artistes. Je pense que c’est essentiel qu’une drag queen ou qu’un drag king, ait une vision de ce qu’il souhaite représenter, distordre, moquer, défendre, et ça passe par la mode, donc c’est indissociable. En revanche je pense que notre art a une grande force, il permet les rencontres. J’aime ces rencontres donc je suis ravi qu’elles s’exercent à travers la mode. On est pas obligés de savoir tout faire, ce qui est important c’est de savoir ce que tu veux dire et où tu veux emmener les gens. 

Aymerick Zana : D’un point de vue de designer, et venant de l’univers de la mode, je trouve toujours intéressant de référencer ses créations. J’aime l’idée qu’une silhouette raconte une histoire, qu’elle surprenne, qu’elle questionne, qu’elle dérange, qu’elle permette de s’évader.

 

Que représente la mode pour vous ? Quels sont vos créateurs préférés ?

Sara Forever : C’est un théâtre en constante évolution, qui permet par les moyens qui y sont mis et les talents qu’on y trouve, de soulever des montagnes en termes de prouesses techniques, et de raconter des histoires, de retranscrire une sensation, un imaginaire. Venant de la scène contemporaine, j’ai souvent vu des pièces être renforcées dans leur portée poétique grâce à la mode. La mode c’est aussi le miroir de ce qui est en jeux dans les sociétés, des luttes, des modèles qu’on cherche à imposer, de l’exposition des corps aussi. C’est dans ce sens que pour moi la mode peut être un levier politique. Je pense bien sûr à Westwood, à Rei Kawakubo, à Elie Saab, à la collaboration Gaultier Chopinot pour leur collection spectacle Le défilé, qui m’a longtemps inspiré, à la poésie de Robert Wun ou à Rick Owens, sans oublier McQueen bien sûr. 

La drag queen Sara Forever © Sylvain La Rosa.

Que retenez-vous de votre expérience Drag Race ? Qu’est-ce que cela vous a apporté ?

Ça m’a permis de me rendre compte de ce que je pouvais accomplir, je ne soupçonnais pas cette force. J’ai aussi pu rencontrer un public, que j’aime tellement tant il me soutient, j’ai l’impression qu’on va pouvoir faire pleins de choses ensemble et j’en suis ravi. Et enfin ça m’a donné l’opportunité de rencontrer des gens avec qui je collabore encore maintenant et qui m’ont beaucoup enrichi en partageant leurs connaissances, leurs visions, je suis très fier qu’iel soient à mes côtés. 

 

Votre dernier lipsync au grand Rex lors de la finale est souvent repartagé sur les réseaux sociaux (à l’international). Pensiez-vous que ce look aurait un impact aussi important ? 

On a vraiment pensé et travaillé ce look à travers l’idée de la performance. Je voulais exprimer à quel point drag race et plus généralement la scène, me permettent de sortir ce qui est enfoui, en puisant du matériel intime pour que ça traverse les gens. Il est beaucoup question du dedans et du dehors sur scène. Dans le contexte d’une finale en plus, c’était important d’évoquer ce qu’on pose sur scène, ce qu’on laisse comme traces. J’ai l’impression d’avoir sorti mes tripes et au passage ça a taché la robe de Nicky, comment rêver mieux ? Ça a touché les gens et c’est ce qui a permis à ce look d’avoir autant d’impact. Je voulais parler de moi, mais si on imagine un look en se donnant pour principe qu’il fasse parler, on passe à côté. 

 

Votre présence dans la saison 2 de drag race a changé votre vie ?

Oui. Ça m’a donné des armes solides pour continuer mon parcours d’artiste. C’est notamment grâce à l’émission que je suis capable de présenter un nouveau solo à l’automne 2024, le spectacle s’appellera Dynasties et sera en tournée un peu partout en France.  

 

La culture drag rentre petit à petit dans le mainstream notamment avec la présence de Keiona dans l’émission Danse avec les stars. Qu’en pensez-vous ?

Je pense qu’il est important que chacun oeuvre pour notre art, et défende notre communauté à l’endroit où il le souhaite. Ça doit être entendu et respecté. La culture drag pourra autant qu’elle le souhaite entrer dans la culture mainstream, il n’en demeure pas moins qu’elle sera toujours une culture qui parle de nos luttes, faite avant tout par et pour les queers. Si cet art a une portée universelle et se retrouve accaparé par la culture de masse, tant mieux, ça nous rend plus visible, tant qu’on sait ce qui nous a fait. Aujourd’hui on nous sourit, mais demain ? Il faut rester vigilant, mais en attendant, quand je regardais l’émission, j’étais fier d’être qui je suis et fier de ma soeur. 

 

La saison 3 de Drag Race France, diffusée en streaming sur france.tv depuis le 31 mai 2024.