The day a Nikki de Saint Phalle’s perfume paid for a sculpture garden
Il y a trente-six ans, l’artiste Niki de Saint Phalle lançait un parfum portant son nom. Un engagement qui n’avait qu’un seul but, celui de financer la construction d’un projet initié quelques années plus tôt : le jardin des tarots.
Par Éric Troncy.
Le 30 août 1982, à New York, la peintre et sculptrice française Niki de Saint Phalle participait à la soirée de présentation du parfum portant son nom. Le lancement d’une fragrance par un artiste n’est pas, a priori, une bonne nouvelle (pourquoi pense-t-il pouvoir s’éloigner de son champ d’expertise, et au nom de quoi serait-il fondé à le faire?), mais dans le cas de Niki de Saint Phalle (1930-2002), les choses sont évidemment différentes, et en tout cas bien plus clairement exposées par l’artiste elle-même. “J’avais ce rêve de construire un immense jardin de sculptures, mais, de nos jours, il n’y a plus de grands mécènes. Alors je me suis dit : ‘Pourquoi ne pas être mon propre mécène?’ J’ai donc créé une sculpture pour un parfum produit en série. Je finance le jardin avec l’argent que je gagne sur le parfum”, expliqua-t-elle quelques années plus tard à la télévision américaine.
Elle entreprit la construction de ce jardin en 1978, à Garavicchio, dans la province de Grosseto, en Toscane, sur un terrain mis à sa disposition par les deux frères d’une amie issue d’une grande famille napolitaine, Marella Caracciolo Agnelli. Elle s’y consacra jusqu’à la fin de sa vie, habitant sur place de longues périodes durant. Le jardin des Tarots se déploie aujourd’hui sur plus de 2 hectares, accueillant des sculptures mesurant jusqu’à 15 mètres de hauteur et évoquant les 22 arcanes majeurs du tarot.
Aussi, ce soir du 30 août 1982, à New York, Niki de Saint Phalle ne lança pas simplement un parfum : elle mit en place les conditions de son autonomie financière pour mener à bien un projet artistique. Certes, nous nous sommes depuis familiarisés avec ceux qui nécessitent une production délirante, mais nous nous sommes aussi habitués au fait que ces projets soient financés par des marques de luxe ou des galeries, et non par les artistes eux-mêmes – et encore moins qu’ils mettent en place une telle stratégie de production. Assurément pionnière en la matière, Niki de Saint Phalle confia la réalisation puis le lancement du parfum à la société américaine Jacqueline Cochran; elle dessina le flacon (un cube bleu cobalt) et le bouchon, surmonté d’une sculpture miniature figurant un couple de serpents enlacés. Elle sut aussi orchestrer le succès mondain de l’événement, en portant une robe dessinée par Marc Bohan – le directeur artistique de la maison Dior, qui collectionnait ses œuvres depuis une quinzaine d’années –, apparaissant également coiffée d’une tiare spectaculaire reprenant le motif des serpents du flacon et, accessoirement, posant avec Andy Warhol.
Le parfum finança un tiers des cinq millions de dollars nécessaires à la finalisation du jardin des Tarots. Pour le reste, le mari de Niki de Saint Phalle, le sculpteur Jean Tinguely, s’y rendait souvent avec des “valises pleines de billets…”