Nino Migliori : de l’Italie des années 50 à la vie nocturne londonienne
La Maison européenne de la photographie présente La Matière des Rêves, une exposition en forme de rétrospective du travail de Nino Migliori. À travers cette ode à la vie, qui démontre que les détails futiles du quotidien peuvent se transformer en véritable spectacle, la MEP rend hommage au style inclassable du photographe italien qui n’a eu de cesse d’expérimenter tout au long de sa vie. L’enjeu ? Laisser une trace.
Par Marthe Rousseau.
La Maison européenne de la photographie consacre une rétrospective au photographe Nino Migliori, né à Bologne (Italie) en 1926. L’exposition La Matière des Rêves revient sur plus de soixante années de carrière d’un artiste qui capture les détails futiles de la vie quotidienne et considère la photographie comme un terrain de jeu infini.
Documenter la réalité
Après la Seconde Guerre mondiale, Nino Migliori dresse le portrait de sa région, l’Émilie-Romagne qui, à l’issue du conflit, retrouve un élan de liberté. Sans souci esthétique, le photographe capture spontanément les scènes de la vie quotidienne des habitants. Parmi ces images, des regards perçants, des enfants rieurs sautant d’un muret – qui rappellent les écoliers de Robert Doisneau –, d’autres qui s’endorment sur les bancs d’une église, des couples qui dansent au bal, de vieilles amies qui discutent en faisant de grands gestes, des clients attablés à une terrasse faiblement éclairée… Le visiteur observe ces fragments de vie pris sur le vif, sans artifice. Le style documentaire de Nino Migliori, proche du néoréalisme italien, rompt avec la photographie conventionnelle de l’époque. La forme importe peu, et pourtant, elle représente une esthétique nouvelle. Qu’il saisisse un plongeur en plein vol en format paysage, dont l’horizontalité du corps répond à celle de la mer, ou une vue panoramique depuis le haut d’une tour, Nino Migliori pose un regard aiguisé sur le monde qui l’entoure.
À travers ses photographies, Nino Migliori donne à voir le passage infime de l’Homme sur la terre, et laisse à son tour sa propre empreinte.
Un aventurier de son temps
Dès les années 50, l’artiste italien commence à expérimenter la photographie sous toutes ses formes, comme le font plusieurs de ses contemporains avec la peinture, notamment non figurative. Le résultat ? Des œuvres abstraites faites de découpages, de collages, de superpositions, de formes géométriques, d’oxydations… Certaines œuvres du photographe évoquent notamment la technique du dripping de Jackson Pollock, d’autres sont conçues sans appareil photo, à partir de gouttes d’eau déposées entre deux plaques de verre que Nino Migliori nomme des “hydrogrammes”. Ses expérimentations rappellent celles du photographe Éric Rondepierre, à qui la MEP avait également consacré une rétrospective en 2015. Son sujet de prédilection ? Les anomalies (taches, déformations, effacements…) qui apparaissent sur les pellicules et transforment l’image initiale. À l’instar des photogrammes corrodés du Français, les négatifs retravaillés par grattage de la série Cancellazioni (1954) de Nino Migliori présentent des sujets altérés, comme, par exemple, cette femme allongée à moitié nue sur un autel, dont le corps est recouvert d’entailles ajoutées après coup. Les yeux révulsés, la femme, sous ses traits de figure démoniaque, est finalement érigée en martyre.
La photo, témoin du passage de l’Homme
À travers ses photographies, Nino Migliori donne à voir le passage infime de l’Homme sur la terre, et laisse à son tour sa propre empreinte. Sa série Murs, réalisée à partir des années 50, révèle ainsi des écritures, des tags ou des dessins, comme autant de traces des passants sur les murs de la ville. Le photographe transforme ensuite les photos : il augmente leur épaisseur en ajoutant du sable, et les transforme presque en murs à part entière. En continuant la visite, le public aperçoit une série de ronds lumineux évoquant des lunes, intitulée Cuprum. Il s’agit en réalité de tables circulaires en cuivre photographiées en 2015, lors d’une soirée au marché de Camden, à Londres. Nino Migliori s’y est intéressé car des verres et des bouteilles avaient laissé des traces de leur passage, révélant la présence enflammée des clients du pub. Au lieu de se contenter d’exposer ces photos telles quelles, l’artiste réalise un montage des tables sur fond noir, donnant à voir une série de photographies résolument poétiques. En saisissant la réalité sans artifice et en jouant avec le négatif, Nino Migliori donne matière à rêver et interroge sur la fugacité de notre existence.
Exposition La Matière des Rêves de Nino Migliori jusqu’au 25 février, du mercredi au dimanche, de 11 heures à 19 h 45, à la Maison européenne de la photographie, 5-7, rue de Fourcy, Paris IVe.