Le futur de l’art est de l’autre côté du périph’
C’est du côté de Montrouge et de son Salon que la jeune scène artistique prend ses quartiers jusqu’au 24 mai. 53 artistes, 14 nationalités, une majorité de femmes… la sélection des commissaires Ami Barak et Marie Gautier a pour ambition de prendre le pouls de l’art actuel.
Par Thibaut Wychowanok.
Si le Salon de Montrouge a 62 ans, la manifestation n’en a toujours que pour la jeune création. L’événement a ainsi accompagné quelques belles découvertes récemment : Théo Mercier (aujourd’hui star de la galerie Bugada & Cargnel) ou Clément Cogitore (lauréat du prix de la Fondation Ricard l’année dernière). Aux manettes du Salon de Montrouge depuis 2016, son directeur artistique Ami Barak (figure internationale passée par la Mairie de Paris et le Frac Languedoc-Roussillon) et sa co-commissaire Marie Gautier ont défriché les quelques 3 000 dossiers reçus pour offrir dans le vaste espace du Beffroi de Montrouge une cartographie de l’art actuel.
Ami Barak et Marie Gautier ont défriché quelques 3 000 dossiers pour offrir une cartographie de l’art actuel.
Regroupés autour de 4 thèmes dans une scénographie très réussie de Ramy Fischler et Vincent Le Bourdon, les artistes de cette édition partageraient ainsi un certain nombre d’obsessions à en croire les commissaires. D’un côté, un attrait pour l’ineffable, l’invisible et le presque rien. De l’autre une volonté de recycler les formes existantes dans un grand processus de renouvellement et d’hybridation. Chez certains, l’œuvre se ferait récit visuel “d’un monde qui se cherche et se raconte”. Chez d’autres, la fiction prend la forme d’un grand jeu entre réalité et fiction.
Mais plus généralement, ce qui saute aux yeux lors de ce 62e Salon de Montrouge, c’est la “qualité galerie” des propositions. Si ces jeunes artistes n’ont par définition pas encore de représentant officiel, et ont très peu exposé, leurs œuvres ne dépareraient pas dans les jeunes galeries parisiennes. On recommandera notamment le travail de Marianne Mispelaëre, Grand Prix du Salon cette année (remis par le président du Jury Bernard Blistène). La Française née en 1988 a répertorié différents gestes de la main réalisés lors d’actions collectives, notamment pendant les Printemps arabes. Des ”slogans silencieux“, pour reprendre le nom de pièce de l’artiste, qui forment un nouvel alphabet contemporain puissant et résistant.
Des œuvres “qualité galerie” qui ne dépareraient pas dans les jeunes espaces parisiens.
S’il fallait tout de même trouver un défaut à cette excellente édition, ce serait justement cette “qualité galerie”. Si toutes ces pièces y trouveraient si naturellement leur place, c’est aussi qu’on a souvent l’impression de les y avoir déjà vues. On aimerait dans un monde idéal un peu plus d’artistes transgressifs, gênants et irritants. Des artistes qu’on adorerait détester parce qu’ils nous envoient à la gueule ce qu’on se refuse à regarder.
Dans un Salon où beaucoup d’artistes semblent avoir du mal à s’intéresser à notre époque autrement qu’à travers des concepts abstraits, ou à distance, la proposition de Soufiane Ababri forme un îlot inespéré de rapport charnel au réel. L’artiste originaire de Rabat et installé à Paris propose ainsi une série de dessins, souvent homo-érotiques, désinvoltes et maladroits, exécutés allongé sur un lit. Un ”éloge de l’horizontalité et de la minorité face aux postures verticales et autoritaires” peut-on lire. Jouissif et poétique.
Mais l’œuvre qu’on achèterait sans hésiter à Soufiane Ababri (car il faut rappeler que Montrouge propose de les acquérir directement auprès des artistes) est son collage photographique Les Nouveaux Masques (2017). L’artiste y présente des photographies d’hommes, africains nous explique-t-on, dont la tête a été effacée par ajout d’un aplat de couleur. Des photos anonymes comme on en trouve partout sur les sites de rencontre gays. Au-delà de la dénonciation de la discrimination des homosexuels obligés de se cacher, Soufiane Ababri crée d'intéressantes “intersections” entre passé, tradition et monde contemporain : les formes des aplats de couleur sont ainsi associées à celles de masques africains dessinés à leurs côtés.
L’artiste y présente des photographies d’hommes africains dont la tête a été effacée par un aplat de couleur. Des photos comme on en trouve partout sur les sites de rencontre gays.
C’est un monde de frictions que dessinent Soufiane Ababri : celui où la société traditionnelle est confrontée à une homosexualité qui n’en peut plus de se cacher, et où les homosexuels africains doivent faire avec héritage et tradition. Ces “nouveaux masques” font aussi peut-être référence aux stéréotypes en vogue dans le milieu gay occidental (le “mec de banlieue” et son jogging, le “black”, le “rebeu”) et à la manière dont ce désir tient d’un exotisme post-colonial. Avec légèreté et humour, Soufiane Ababri fait la preuve qu’il n’est pas nécessaire de se prendre au sérieux pour faire mouche, juste de savoir de quoi on parle. L’art a aussi besoin de vécu.
Salon de la jeune création, Le Beffroi à Montrouge, jusqu'au 24 mai 2017.