13 juin 2016

L’avenir de l’art est-il le centre commercial ?

Une sculpture de Miró à l’entrée d’un centre commercial, une installation de Daniel Buren surplombant un magasin La Grande Récré… Bienvenue à Polygone Riviera ! Ce shopping mall en plein air a pour ambition d’exposer les plus grands artistes…

Des grands magasins aux centres commerciaux de banlieue, le phénomène va croissant : les expositions d’art contemporain ou de photographie s’installent des les shopping malls. Au sein des Galeries Lafayette Haussmann à Paris, plutôt une réussite du genre, la Galerie des Galeries propose une programmation plutôt pointue et résolument cool, du photographe Philippe Jarrigeon au magazine culte Toiletpaper de l’artiste Maurizio Cattelan (du 6 juillet au 10 septembre 2016).

 

 

Xavier Veilhan, de Versailles au centre commercial

 

Mais aujourd’hui, la révolution va encore plus loin. L’art n’est plus cantonné à des espaces culturels sanctuarisés – et bien délimités – en-dehors des espaces commerciaux. Bien au contraire, il s’expose, désormais, au beau milieu des magasins. Ainsi en 2015, lorsque le Bon Marché invite l’artiste – et surtout véritable star – Ai Wei Wei, ce dernier installe ses réalisations… au milieu des espaces de vente. Des créatures mythiques semblaient alors protéger les trésors des marques de luxe. Et deux ans auparavant, pour sa réouverture dans le XVe arrondissement de Paris, le centre commercial Beaugrenelle accueillait sous sa nef des sculptures de l’artiste Xavier Veilhan… qui représentera la France à la prochaine Biennale de Venise. Le phénomène semble se développer de manière exponentielle à travers toute la France. L’avenir est-il au mall asiatique qui accueille depuis longtemps déjà des évènements culturels, à l’image des centres géants du groupe chinois K11 à Shanghai ou Hong Kong ?

 

Pour le commissaire d’exposition Jérôme Sans, cofondateur du Palais de Tokyo chargé aujourd’hui des expositions du centre commercial Polygone Riviera, à Cagnes-sur-Mer : “L’opposition entre art et commerce est très occidentale. En Asie, depuis déjà longtemps les shopping malls ont également  intégré une offre culturelle avec cinéma, centre d’art ou autre. . Les centres commerciaux sont des espaces publics, de nouveaux forums. Il est normal que les artistes y soient présents.

 

De Joan Miró à Daniel Buren, des icônes au shopping mall

 

À Cagnes-sur-Mer, là où le village de 150 boutiques (de Uniqlo à H&M en passant par Lacoste et Swarovski) qui constituent le centre Polygone Riviera s’est ouvert en octobre 2015, nulle trace des demeures fastueuses des Médicis, ni de grands centres futuristes asiatiques. Les œuvres installés par Jérôme Sans font face à une architecture de village standardisée, rendue très agréable par l’action du paysagiste Jean Mus.

 

Des milliers de personnes se voient ainsi offrir gratuitement la possibilité de contempler cinq formidables sculptures de Joan Miró dans un vaste bassin d’eau dès leur entrée dans les lieux. Mythe vivant de l’art contemporain, Daniel Buren est de tous les projets. On peut voir ses interventions à la Fondation Louis Vuitton mais aussi au Bristol à Paris. Il est également de la partie à Polygone Riviera, aux côtés de créateurs grand public (le fameux Ben et ses petites phrases sympathiques), et même de bons artistes. Céleste Boursier-Mougenot, représentant de la France à la dernière Biennale de Venise et artiste invité du Palais de Tokyo en 2015, a ainsi recréé l’une de ses installations magiques et poétiques : OpenCage. Une volière de forme cubique au sein de laquelle l’artiste a installé une multitude de coupelles de graines… et de cintres. Des microphones ultra sensibles captent le moindre tintement du métal vibrant sous l’action des oiseaux attirés par la nourriture. Des mouvements imprévisibles de la nature naissent des sonorités musicales mystérieuses…

 

 

Éviter l’art Disneyland, tout un art

 

Le shopping mall permettra-t-il de percevoir une œuvre autrement que comme un objet décoratif qu’on regarde en passant ? Et de proposer autre chose qu’une expérience de divertissement, à la manière d’un art Disneyland spectaculaire incarné aujourd’hui par Olafur Eliasson aujourd’hui ? “Mon travail au sein de Polygone Riviera, explique Jérôme Sans, a consisté à  accompagner la mutation de ce shopping mall en un véritable lieu de vie où l’art joue un rôle de liant, de révélateur. Des œuvres qui puissent s’y développer pleinement en tant qu’œuvres d’art, qu’elles dialoguent avec l’espace et qu’elles suscitent des questionnements. Elles invitent à de nouvelles expériences, à la réflexion.” Ou à la réaction.

 

 

Un monsieur tout nu au centre commercial

 

La sculpture à taille réelle d’un homme nu (dieu merci, le sexe n’est pas en érection) d’Antony Gormley a déjà suscité le mécontentement des professionnels de l’indignation. Regarder les pères de famille tentant d’expliquer à leurs enfants la présence de ce grand monsieur la zigounette à l’air en plein milieu d’un pont de centre commercial est pourtant somme toute assez réjouissant. 

 

L’art au service du réenchantement de l’acte d’achat

 

Par capillarité, par glissement, les valeurs de l’art – le partage, la culture, l’histoire – deviennent celles du commerce, “qui sait si bien créer des ponts entre les peuples ”, comme le soulignent Christophe Cuvillier, président du directoire d’Unibail-Rodamco et Henri Chambon, président de Socri Promotions, à l’origine de Polygone Riviera. “La présence de ces œuvres transforme l’expérience du lieu pour en faire un endroit d’échanges et de partage ”, ajoutent-ils. L’art sublime l’acte d’achat. Il le réenchante. L’art procure une aura magique, et attractive surtout, à tous les produits auxquels il est associé. Et les marques ne s’y trompent pas, en multipliant les collaborations avec les artistes.

 

Si les institutions artistiques se laissent de plus en plus séduire par ce type de partenariats avec les centres commerciaux, c’est qu’ils répondent à la fois à leur objectif de démocratisation de l’art – l’art pour tous, partout – et à leur besoin de financement (les prêts et projets s’accompagnent souvent de contreparties financières). Les Joan Miró de Polygone Riviera ont justement été prêtés par la Fondation Maeght. Son directeur, Olivier Kaeppelin, répète à qui veut l’entendre (et à raison) que la fondation, l’une des plus belles d’Europe, demeure une institution “pauvre ”. Inaugurée en 1964 par Marguerite et Aimé Maeght, elle inaugurait un nouveau modèle de fondation d’utilité publique artistique… fondée par des galeristes et marchands d’art. Déjà l’alliance de l’art et du commerce.

 

Les Miró de la Fondation Maeght et l’exposition Format Paysage de Jérôme Sans, Polygone Riviera, 119, avenue des Alpes, Cagnes-sur-Mer. Jusqu’au 1er octobre 2016.