22 fév 2019

La fascinante exposition Vasarely au Centre Pompidou

Cercles et carrés à l’infini, couleurs vibrantes, formes hypnotiques, impression de volumes en trois dimensions… L’œuvre de Victor Vasarely est une véritable expérience sensorielle, presque corporelle, qui aspire notre regard. Pour la première fois depuis 1963, le Centre Pompidou rend hommage à l’inventeur de l’art optique, à travers plus de trois cents œuvres dont des peintures, sculptures, intégrations architecturales, publicités et études du début de sa carrière.

Portrait de Victor Vasarely en 1960, photo : Willy Maywald © Association Willy Maywald / Adagp, Paris 2019

De l'infiniment petit à l'infiniment grand

 

Après s’être formé dans la Mitteleuropa de l’entre-deux-guerres, notamment à Budapest auprès de Sandor Bortnyik, l'un des maîtres du modernisme hongrois, Victor Vasarely, à 24 ans, s’installe à Paris où il devient graphiste de publicité. Déjà très doué pour les effets visuels, passionné par les sciences, Victor Vasarely découvre l’existence de la microphotographie : “Ce qui l’intéresse au fond c’est d’entrer dans le cœur de la matière, il y voit presque déjà une explosion atomique”, souligne Michel Gauthier conservateur du Centre Pompidou. L’artiste va alors réaliser des montages et collages de photographies. Ainsi, ce sont les carreaux de faïence de la station de métro de Denfert-Rochereau qui lui inspirent des œuvres comme Dauvillier ou Heisenberg, “cette série de fantaisies géologiques”, comme les décrit le spécialiste. “Derrière les craquelures du craquelage, il y a des formes. Il s’intéresse au tréfonds de la matière, au mouvement de l’atome, mais très rapidement il va passer du microcosme au macrocosme et va s’intéresser à l’infiniment grand”.

La "vasarélysation" : invasion de l’art optique dans les années 60 et 70

 

Affiché en poster dans toutes les chambres d’adolescents, sur les livres de la collection “Tel” de Gallimard, sur la pochette “Space Oddity” de David Bowie en 1969, en fresque dans la gare Montparnasse, sur le plateau de Michel Drucker, au cinéma dans La Prisonnière de Henri-Georges Clouzot ou Peur sur la ville d’Henri Verneuil… Pour les générations de moins de 50 ans, il est difficile d’imager à quel point l’œuvre de Vasarely était omniprésente dans la France des années 60 et 70. “À la différence du pop art où Andy Warhol emprunte des images à la culture populaire pour les ériger en grand art, Victor Vasarely, lui, se sert des formes abstraites qui appartiennent au grand art pour les faire descendre dans la culture populaire”, analyse Michel Gauthier.

Une conception démocratique de l'art

 

Désireux de faire sortir l’art des musées pour investir l’espace public, Vasarely se lance dans une vaste démarche de sécularisation : il redéfinit les modes de conception et de production de ses œuvres afin de permettre une plus large diffusion sociale. Peu soucieux de la propriété privée, l’artiste remet en question l’idée d'objet unique, et permet un art multipliable à l’infini. Pour certains, il a vendu son âme au diable et ses détracteurs n'hésitent pas à s'exclamer qu'“on vend du Vasarely au mètre dans les grands magasins !”

 

Il est en effet indéniable que cette sécularisation conduit à une surexposition de l'artiste dans la société de son époque, qui va créer une overdose “vasarélyenne”. Victime de son succès, l'artiste verra la démocratisation de son travail se transformer en punition. Pour certains spécialistes, lil aurait mal contrôlé sa production qui aurait fini par lasser le regard, faisant baisser sa cote. Selon Michel Gauthier, cette chute de notoriété s’expliquerait davantage par le fait que Vasarely se soit attaqué à l’un des fétiches du marché, à savoir l’objet unique. “Ce refus de Vasarely de respecter le statut de l'auteur a constitué une désacralisation et a pu heurter un certain clergé de l'art. Il s'est fracassé à une certaine réalité du marché.”

Les secrets de cet art fascinant

 

Persuadé du fait que la peinture abstraite ne stimulait pas assez notre rétine, le pionnier de l’art optico-cinétique va mettre au point un “Alphabet Plastique”. Il s'agit d'un nuancier composé à partir d'e ce que Victor Vasarely appelle les "unités plastiques”, où chaque couleur et forme correspond à un chiffre. Extrêmement visionnaire, ce système est réalisé sans l’aide de l’informatique (encore balbutiante à l’époque). Et c’est ainsi que le dégradé – véritable clef de ce code alphanumérique – permet le mouvement. “Avec ces tableaux qui sont pixélisés, vous avez à chaque fois une unité minimale d’information formelle et chromatique qui permet de recréer les grands effets de l'histoire de la peinture comme le clair-obscur”, explique Michel Gauthier.

 

Avec ce procédé technique, Vasarely continue d’établir ce principe de sécularisation, de socialisation de son art. En effet, l’artiste donne en partage son vocabulaire. C’est pourquoi l’exposition s’appelle “le partage des formes”. Il veut léguer au monde cet algorithme de dégradés. Également fasciné par le cosmos et l’idée d’une quatrième dimension, l’artiste réalise ses grands “Vegas” qu’il interprétait comme des espèces d’œufs cosmiques “qui allaient éclater et donner naissance à des univers, des planètes, des étoiles”. Exposées à la fin de la rétrospective, ces œuvres pourtant peu éclairées hypnotisent avec leurs couleurs littéralement fluorescentes. 

 

Grâce à cette exposition magistrale, l’œuvre de Vasarely – qui représente l’esthétique de toute une époque – trouve un second souffle. Redécouverte par une génération qui a grandi avec la 3D, cette peinture psychédélique voit chaque jour un peu plus sa cote remonter… 

 

Exposition "Vasarely, le partage des formes” du 6 février au 6 mai 2019. 

Salle à manger du siège de la Deutsche Bundesbank, Francfort-sur-le Mai 3,2 x 11,60 x 7, 80 m (installation avec 3 côtés) Photo Wolfgang Günzel ©Kunstsammlung Deutsche Bundesbank © Adagp, Paris, 2018