31 mar 2021

Interview with Paola Antonelli, the woman who displays artworks in airports

D’origine italienne, Paola Antonelli est conservatrice principale au département d’architecture et de design du Museum of Modern Art de New York depuis 1994. Pendant près de trente ans, elle s’est donnée pour mission de promouvoir du design et d’en donner une compréhension plus large – des jeux vidéo jusqu’aux objets imprimés en 3D – et a notamment dirigé l’acquisition par le MoMA du symbole @, conçu par Ray Tomlinson en 1971… Anna Sansom a rencontré Paola Antonelli pour Say Who.

 

Propos recueillis par Anna Sansom.

Paola Antonelli par Marton Perlaki.

Paola Antonelli a commencé à travailler dans le domaine du design après une maîtrise en architecture à l’École polytechnique de Milan – le berceau de sommités telles que Gio Ponti. Comme Ponti, Antonelli est convaincue que le design affecte tous les aspects de la société et croit en sa responsabilité civique envers l’humanité et la planète. Étrangement, le dernier lieu d’exposition de Paola Antonelli n’est pas les espaces du MoMA, mais les aéroports du Japon. Elle a été choisie pour assurer le rôle de commissaire de l’exposition « VISION GATE« , qui comprend des installations dans les aéroports de Haneda et Narita à Tokyo, dans le cadre de l’initiative « CULTURE GATE to JAPAN » lancée par le gouvernement japonais.

 

L’installation sonore « Crowd Cloud » de Yuri Suzuki et Miyu Hosoi, une composition de sons en langue japonaise émanant d’un chœur de cuivres, accueille les voyageurs à Haneda. Une installation vidéo présentant des œuvres de six artistes de différentes générations – Mariko Mori, Monika Mogi, PARTY, Sachiko Kodama, Jun Inoue et acky bright – est également présentée le long du chemin menant aux portes d’embarquement des deux aéroports internationaux de Tokyo.

 

 

Numéro x Say Who: Comment avez-vous cherché à faire évoluer le département d’architecture et de design du MoMA ? Quelle est votre ambition ?

Paola Antonelli: Ma plus grande ambition est de sensibiliser les gens au design et de faire en sorte que le monde comprenne qu’il ne se limite pas à de jolies chaises, des produits élégants et des logos attrayants. Avec mes collègues du département d’architecture et de design du MoMA, j’ai veillé, au fil des années, à inclure dans la collection et dans les expositions des formes de design non stéréotypées telles que le design de visualisation, les polices de caractères, les jeux vidéo, le biodesign, les symboles, les interfaces, et bien plus encore.

“Crowd Cloud”, Yuri Suzuki et Miyu Hosoi pour “VISION GATE”, 2021, curated by Paola Antonelli.

Comment définiriez-vous votre philosophie sur le rôle du design dans la construction d’un meilleur avenir pour tous, comme vous l’explorez dans votre série Instagram Live @design.emergency ?

La critique de design [britannique] Alice Rawsthorn et moi-même avons fondé le projet Instagram Live @design.emergency il y a près d’un an pour mettre en lumière le rôle essentiel, bénéfique et constructif du designer, ainsi que toutes les initiatives qui ont été créées en réponse à la pandémie de la Covid-19. Ce contexte nous a donné l’occasion de faire prendre conscience au public des bienfaits du design sur nos vies. Nous pensons également que les designers continueront d’être des acteurs essentiels dans la reconstruction de nos vies, nos villes, nos nations, nos économies et nos structures sociales après la pandémie, et qu’ils joueront un rôle primordial dans la préparation d’un avenir meilleur. J’ai une grande confiance en la capacité du design à envisager et à rechercher de meilleures solutions à toutes les échelles. Comme le dit l’adage de l’architecte italien Ernesto Rogers : « de la cuillère à la ville », et bien au-delà. Pour nous femmes et hommes, mais aussi pour toutes les autres espèces et entités sur notre planète. Il existe cependant de nombreux exemples de mauvais design à travers l’histoire, et le design a également sa part de responsabilité dans nos tourments actuels, à commencer par la crise environnementale. Je considère que mon travail consiste à fournir des exemples positifs et à aider les citoyens à aiguiser leurs propres outils critiques afin qu’ils puissent exiger de meilleurs produits et solutions, que ce soit de la part des entreprises ou de leurs gouvernements.

 

 

Pourquoi avez-vous accepté le rôle de commissaire de « Vision Gate » dans les aéroports Haneda et Narita de Tokyo ?

Comment ne pas accepter ? C’était une invitation irrésistible. J’aime le Japon et surtout à quel point sa culture est toujours à la fois surprenante et inspirante pour un étranger – ou du moins elle l’a été pour moi. J’ai été très enthousiaste à l’idée de pouvoir présenter mon émerveillement et mon plaisir aux autres voyageurs qui découvrent un nouveau monde. Lorsque j’ai reçu l’appel de Tetsuya Kawabe, directeur général du Haneda Future Research Institute [au Japan Airport Terminal Company Ltd], je n’ai pas hésité, notamment parce que lui et moi avions déjà fait équipe sur d’autres projets culturels par le passé.

Image tirée de  “Day of a Full Moon”, Monika Mogi pour VISION GATE, 2021

Quelle a été votre propre vision du Japon ? Quand avez-vous visité le pays pour la première fois et quelle impression vous a-t-il laissé ?

C’était en 1992. Je devais aider à installer une exposition au Tokyo Design Center qui ouvrait ses portes à ce moment-là dans le quartier de Gotanda. Je suis arrivée un vendredi soir à Narita, j’ai manqué le chauffeur qui devait venir me chercher, j’ai pris le Narita Express et je me suis retrouvé à la gare de Tokyo à l’heure de pointe un vendredi soir. À cette époque, il n’y avait pas beaucoup de panneaux écrits en anglais, et pas de téléphones portables fonctionnant à l’international. J’étais complètement perdue… mais c’était merveilleux ! Je me suis débrouillée pour aller à Gotanda et j’ai trouvé le bâtiment. Les hôtes qui m’attendaient étaient terrifiés, ils pensaient ne jamais me revoir ! Ce sentiment d’être perdue, presque invisible, introuvable, est resté en moi depuis lors, et il est resté aussi exaltant qu’avant. Le Japon est l’un des endroits où je me sens le plus libre au monde. J’y suis aussi plus curieuse parce que son approche du design est unique, de l’application inattendue des nouvelles technologies à l’invention de nouvelles typologies d’objets. Et la mode ! Pour un amateur de design, c’est le paradis.

 

 

Aviez-vous déjà organisé une exposition dans un aéroport ? Quelles sont les considérations curatoriales spécifiques que vous avez du prendre en compte, comme la façon dont les pièces seront perçues par les voyageurs internationaux ?

Non, je n’avais jamais travaillé dans un aéroport auparavant – du moins pas en tant que commissaire d’exposition ! Mais j’ai toujours rêvé de le faire parce que les aéroports font partie font partie de ces lieux que j’aime tout particulièrement. En choisissant les artistes et en imaginant les types d’installations qui pourraient être réalisées dans les halls d’arrivée, j’ai tenu compte du fait que les personnes qui débarquent sont souvent encore dans les nuages, peut-être groggy du voyage, et qu’elles ne sont pas d’humeur à être assaillies par des gestes de bienvenue trop enthousiastes. J’ai plutôt opté pour des images et des sons apaisants, subtils et pourtant puissants, presque subliminaux. C’est une suggestion de ce qui nous attend, pas une révélation soudaine. Un aperçu destiné à ouvrir les esprits et à éveiller les curiosités.

 

 

Comment la pandémie et les restrictions de voyage ont-elles influencé votre approche curatoriale et le choix des œuvres ?

Elles ne m’ont pas du tout affectée. J’aurais fait les mêmes choix même si la pandémie n’avait pas eu lieu. Ma seule grande frustration a été que ni moi, ni [l’artiste sonore et designer] Yuri Suzuki et son collaborateur Gabriel Vergara n’avons pu nous déplacer de New York et Londres pour assister à l’installation et au lancement.

 

 

Image tirée de “Kojiki – Amenomanai”, Mariko Mori pour VISION GATE, 2021

Que pouvez-vous nous dire sur l’installation « Crowd Cloud » de Yuri Suzuki et Miyu Hosoi ?

Avec « Crowd Cloud », Yuri Suzuki et Miyu Hosoi ont formé une équipe formidable et nous avons eu la chance de pouvoir travailler avec deux artisans de Takaoka dans la préfecture de Toyama pour la coloration des cors. Cette région possède une connaissance approfondie de la fabrication du laiton, une culture qui remonte à 400 ans. L’installation finale est le résultat d’une véritable collaboration entre tradition et innovation japonaises.

 

 

Votre choix d’artistes couvre différentes générations d’artistes japonais. Pouvez-vous expliquer brièvement comment vous avez fait votre sélection ?

Dans l’installation vidéo, chaque artiste représente la tension entre le passé et le présent. Mariko Mori est, bien sûr, le symbole de cette synthèse unique, mais les vidéos de Monika Mogi, Sachiko Kodama, Jun Inoue, acky bright et de l’équipe créative de PARTY, sont très efficaces à la fois seules et dans leur ensemble. J’ai appris à connaître le travail de Monika Mogi en visitant une exposition photographique à Tokyo il y a quelques années et j’ai été frappée par sa vision unique des femmes japonaises, de la manière qu’elle a de représenter leur force et leur individualité en utilisant des styles et des techniques d’antan.

 

 

Vous avez déclaré lors d’une conférence TED dans les années 1990 : « chaque exposition de design dont je suis la commissaire examine un monde différent […] Pour moi, le paradis est une curiosité satisfaite ». Comment « VISION GATE » satisfait-elle la curiosité envers la culture japonaise ?

Si vous prenez toutes les installations ensemble, elles évoquent le caractère unique et l’originalité de certains aspects de la culture japonaise. Des syllabes japonaises traditionnelles rendues par les technologies sonores les plus récentes, des méthodes anciennes de restauration des céramiques visualisées par des animations numériques, une synthèse de rituels établis de longue date et de nouveaux moyens de performance, une fusion de graffitis contemporains et de calligraphie traditionnelle, une nouvelle féminité pourtant intemporelle, l’originalité des mangas pour traduire les vibrations de Tokyo. J’aimerais pouvoir continuer car il y a tellement plus de choses à connaître du Japon ! Le doux vertige que j’espère faire vivre aux voyageurs est celui que je ressens chaque jour dans les rues, les magasins, les restaurants et les parcs de Tokyo.

 

 

‘VISION GATE’, jusqu’au mois de septembre 2021.

Image tirée de “Gravity Garden”, Sachiko Kodama pour VISION GATE, 2021.