Hicham Berrada, artiste ou savant fou ?
Au fond d’un aquarium, sous le faisceau d’un projecteur, des sculptures de bronze s’oxydent dans un bain d’électrolyse. En six mois, Hicham Berrada réalise ce qui exigerait normalement 204 ans. Avec ses tableaux scientifiques, le savant fou se joue du temps, de la nature… et de l’art.
Par Alexis Thibault.
Jusqu’au 24 juin, l’abbaye de Maubuisson, ancien cloître cistercien aujourd’hui dédié à l’art contemporain, accueille l’exposition de Hicham Berrada: 74 803 jours. Tel un cabinet de curiosités, le lieu plongé dans une semi-obscurité accueille les expériences insolites de cet artiste laborantin natif de Casablanca, fanatique des solutions chimiques. Pour cette exposition, Hicham Berrada propose trois pièces inédites, une vidéo ainsi qu’une performance réalisée à l’occasion de la “Nuit Blanche”.
L'artiste compose des tableaux vivants et des micro-mondes aquatiques, sublimés par l’architecture atemporelle de l’abbaye.
Au fond d’un aquarium, éclairées par le faisceau d’un projecteur, des sculptures de bronze s’oxydent dans un bain d’électrolyse : l’artiste métamorphose l’énergie électrique en énergie chimique. Et réalise en six mois ce qui nécessiterait 204 ans dans la nature. Filmées en temps réel, ces réactions chimiques sont projetées simultanément sur un grand écran. Installations, performance et vidéo, Hicham Berrada compose des tableaux vivants et des micro-mondes aquatiques, sublimés par l’architecture atemporelle de l’abbaye. Dans une salle adjacente, l’artiste s’inspire de l’art islamique pour reconstituer un jardin merveilleux aux émanations de safran, dans lequel un olivier ne demande qu’à mûrir.
Nouveau souverain des quatre éléments, l’artiste met en scène les transformations d'une “nature” sollicitée chimiquement ou mécaniquement. Il se joue des métaux, des molécules et plagie les processus climatiques… Avec 74 803 jours, Hicham Berrada donne naissance à une végétation irréelle, des microcosmes évolutifs et poétiques. Des montagnes jaillissent, des forêts se dressent, une nature créée de toutes pièces prend vie : “Mon rapport à la peinture classique est lié à la notion de temps : les ‘collines’ et les ‘forêts’ de mes tableaux évoluent, grandissent, se meurent sur plusieurs heures, jours, années.” Maître de la matière et du temps, le trentenaire franco-marocain se pose en démiurge qui interroge notre rapport au temps. Chimiste enchanteur et physicien de talent, il est pourtant issu des Beaux-Arts.