Dans l’atelier de… Mohamed Bourouissa, artiste déjà incontournable exposé à la galerie Kamel Mennour
À l’occasion de son exceptionnelle exposition « Hustling » à la galerie Kamel Mennour à Paris, Numéro s’est invité dans l’atelier de Gennevilliers de cet artiste devenu incontournable.
par Thibaut Wychowanok.
Mohamed Bourouissa appartient à cette passionnante génération d’artistes français, de Neil Beloufa à David Douard, qui, depuis quelques années, font le bonheur et la fierté d’une scène française revivifiée. De jeunes artistes, nés entre la fin des années 70 et les années 80, qui ont décidé d’être en prise sur leur temps et de se poser les bonnes questions : comment faire de l’art et être artiste aujourd’hui ? Avec le marché. Avec la globalisation. Avec les nouvelles technologies. Avec une société en mutation et en crise. Chacun y répond à sa manière. Celle de Mohamed Bourouissa est précise et fulgurante. Elle fait mouche. Dès ses premiers succès avec la série Périphérique (2005-2009), l’artiste, qui est passé par l’École des arts décoratifs, se distingue par sa capacité à mettre en place des protocoles simples et efficaces : photographier des jeunes de banlieue mis en scène dans des situations quotidiennes, mais surtout composer des images avec le même brio que les grands maîtres de la peinture classique. On le compare même au Caravage… Passer par la fiction et la mise en scène pour donner à voir un peu du réel et de sa vérité deviendra alors l’une de ses marques de fabrique. En 2009, avec Temps mort, il propose ainsi à des détenus de prisons françaises, habituellement l’objet de reportages véhiculant des clichés éculés, de se réapproprier leur image en devenant les “sujets filmant” de leur quotidien à l’aide de téléphones portables low-tech. De même avec Legend en 2010, il arrivera à faire accepter aux vendeurs de cigarettes à la sauvette de Barbès de tourner eux-mêmes en caméra cachée.
Alors qu’on le rencontre dans son atelier de Gennevilliers, l’artiste n’a de cesse d’insister sur le cœur de sa pratique artistique : les hommes. Car s’il s’intéresse aux systèmes, à la manière dont fonctionnent la société et ses communautés, il le fait par l’intermédiaire de l’individu. “J’ai toujours comme volonté profonde de faire un projet avec eux et pas seulement ‘sur’ eux. Je fais naître quelque chose, puis je filme simplement ce qui est en train d’arriver, comme lorsque j’ai organisé une parade de cavaliers afro-américains à Philadelphie, dont les montures avaient été customisées par des artistes [Horse Day, 2014]. Le moment le plus intéressant n’est pas la vidéo que j’en ai tirée, mais plutôt l’énergie que l’événement a suscitée, entre les cavaliers et les artistes mais aussi avec la population du quartier. Ce qui m’intéresse, c’est de créer des ponts, des interactions et des échanges.” De fait, la notion d’échange, et son corollaire – la valeur que l’on donne aux choses, traverse l’ensemble de l’œuvre de Mohamed Bourouissa. Son film La Valeur du produit (2013) ne parle pas d’autre chose lorsqu’il rapproche avec justesse les méthodes commerciales de vente extrêmement brutales du capitalisme des pratiques des dealers. Mais l’artiste ne le fait jamais avec un esprit sociologique, universitaire ou de sérieux. Il s’en amuse plutôt. “Pour mon projet intitulé L’Utopie d’Auguste Sander en 2012, j’ai réalisé des petites figurines en 3D représentant des anonymes. Je revendais ces œuvres avec difficulté, dans la rue, pour deux euros. En revanche, j’ai choisi les pièces les plus abîmées pour les vendre en galerie… à 2 000 euros.”
Au milieu de la chambre noire qu’il a improvisée au sein de son atelier pour réaliser des essais photographiques, Mohamed Bourouissa s’affaire à un nouveau projet en vue de son exposition, cet automne, à la galerie Kamel Mennour. Ici, son objectif est de transférer les photos prises lors de son voyage de neuf mois à Philadelphie sur des carrosseries de voiture. Ces clichés d’Afro-Américains semblent y disparaître, s’effacer à mesure qu’on les regarde. L’œuvre se fait alors peut-être l’écho, avec subtilité, de la difficulté de cette communauté à se raccrocher à l’American way of life symbolisée par ces objets. Une manière esthétiquement remarquable de parler d’un sujet complexe. “Je n’ai pas pour ambition de me faire le porte-parole de la société, mais de parler de la réalité telle qu’elle nous apparaît : fragmentée. Ce reflet de la ville et de ses habitants sur les voitures qui m’a inspiré à Philadelphie, j’ai ressenti le besoin de le déstructurer et de le recomposer en découpant les carrosseries et mes images, pour rendre compte de cette fragmentation du monde.” En maniant avec dextérité cet art du déplacement et de la recomposition, Mohamed Bourouissa échappe aux clichés et surprend, appelant alors le spectateur à poser un regard neuf sur le monde et à échanger à nouveau, et autrement, avec ses habitants.
Exposition Hustling, jusqu’au 5 décembre, galerie Kamel Mennour, 47, rue Saint-André-des-Arts, Paris VIe,