Comment visiter un musée sans quitter son appartement ?
Pouvoir profiter de milliers d’œuvres et pourquoi pas tout un musée depuis chez soi, voici le concept d'Isiko, le projet d’application de dix étudiants français de l'école d'informatique parisienne Epitech. De Paris à Manhattan, Isiko propose de visiter les musées du monde entier sans sortir de son appartement.
Par Alexis Thibault.
Avenir de la culture ? À l’heure où Guernica a droit à une reconstitution virtuelle en très haute définition à Madrid (au musée de Reina Sofia), de jeunes gens se jettent dans cet océan des possibles. C'est le cas des membres fondateurs du projet Isiko – qui signifie “culture” en zoulou – À l'aune des avancées techniques et technologiques du siècle où ils sont nés, leur projet se veut transcendantal : il bouscule les modes d’accès à la culture, nie l’espace et les classes sociales.
“Notre projet n'est pas un substitut, c'est une opportunité”
L’objectif est simple : proposer un accès aux musées et aux expositions via la technologie du numérique. Ainsi, enfiler un casque de réalité virtuelle nous transporte directement face à la porte d’Ishtar du musée de Pergame ou à Manhattan, dans l’enceinte du musée d’Art moderne de New-York. Plusieurs institutions se sont montrées intéressées par le projet mais Isiko reste un véritable sacrilège pour les puristes qui arpentent les musées à la recherche de leur dose d’huiles sur toile. Face au clivage, les commissaires d'exposition répondent logiquement “pourquoi pas ?” Jonas Levoyer, membre du groupe d’étudiant développant ce dispositif, nous en dit davantage : “Nous voulons proposer un projet qui s'adresse principalement aux boulimiques de culture et ainsi immortaliser un patrimoine culturel avec la technologie du virtuel. Certes ce n'est pas la même expérience et c'est la principale critique des adeptes des visites traditionnelles mais c'est un premier pas vers une relation entre l'art et le numérique. Notre projet n'est pas un substitut c'est une opportunité”. Avec l’année 2019 pour échéance, les étudiants visent le statut d’entrepreneur. Etendu sur trois ans dans le carde des Epitech Innovative Projects, il s’agit dans un premier temps de promouvoir l’école au sein d’une dimension compétitive et, dans un second, de participer à la création de différentes startups au sortir de leurs études : “Isiko n’était pas notre première idée.” avoue-t-il “À l’origine nous travaillions sur une armoire connectée puis nous nous sommes orientés vers une table tactile de modélisme avant de chercher à développer un jeu vidéo, simulateur géopolitique pendant la Révolution française. Isiko est une sorte de Netflix des musées, notre brainstorming a finalement valorisé l’innovation.”
Si la Fondation Cartier et La Maison de Victor Hugo se sont montrées intéressées par le projet, la problématique principale réside dans la recherche de partenariats. Malgré une dimension technique optimale, l'objectif s’oriente surtout vers l’obtention monétaire via une plate-forme de paiement, les tarifs des expositions seront évidemment indexés. Seconde étape, le développement d’Isiko sur casque de réalité virtuelle. Car si le numérique est vecteur d’une nouvelle forme de partage, il a évidemment changé notre logique de consommation et nos conditions d’accès à cette dernière. Trois musées français sur quatre cherchent à développer leur identité visuelle en ligne mais seulement une petite partie utilise véritablement cette plate forme digitale comme un média. Récemment, la troisième scène de l’Opéra de Paris annonçait fièrement son érection, prototype visant l’hybridation des genres. Une révolution que le MoMa entame dès 2013 en lançant des programmes interactifs, un système de géolocalisation et un poste de directeur des Contenus et de la stratégie numérique du musée.
“Leur projet n’est ni une menace ni la solution à tous les problèmes de l’art, il faut simplement l’entendre comme paramètre auxiliaire.”
L’exigence et l’austérité croissante de certaines expositions peut en partie exprimer le manque d’intérêt des visiteurs nationaux. L’intérêt pour le projet dépend finalement de l’âge des visiteurs. Pour Hugo, élève de troisième croisé aux abords du Centre Pompidou “Il faut vivre avec son temps, au moins je ne suis pas obligé de me déplacer.” Cette vision est évidemment sujette à débat, le plus jeunes ne voient que rarement le musée comme un lieu digne d’intérêt lorsque les expositions ne sont pas ludiques. L’ouverture au numérique pourrait ainsi les initier différemment à la culture. La réserve principale demeure dans la perte sensorielle relative au virtuel. Romain, 42 ans, également visiteur du Centre Pompidou, nous donne son avis “Chez soi, il n’y a pas d’expérience esthétique. Certes Isiko est une aubaine pour ceux qui ne peuvent pas se déplacer mais personnellement, j’ai besoin de faire le tour de l’œuvre, d’en comprendre la matière sans la toucher. Malgré l’innovation, il y a une forme de dénaturation de l’œuvre.” Chloé et Clément, documentalistes en Histoire, tentent de résoudre le problème qui viendrait, en réalité, de bien plus loin. Selon eux, il s’agit d’intensifier les partenariats entre la province et la capitale. Qui serait assez fou pour critiquer la décentralisation culturelle ? Ils avouent que le numérique est une excellente idée s’il n’est pas utilisé à mauvais escient. L’unicité d’une œuvre reste liée au coup de pinceau, le numérique n’est que le reflet d’une image : “L’aspect sacré de l’œuvre intervient dans son unicité et la possibilité de sa perte. Leur projet n’est ni une menace ni la solution à tous les problèmes de l’art, il faut simplement l’entendre comme paramètre auxiliaire.”
Les visites d’expositions virtuelles entreprennent une démarche avant-gardiste et amènent à se questionner sur le caractère éphémère de l’art et sa démocratisation.
C’est avec l’arthérapeute Marie-Laure Colrat que nous tentons de comprendre les enjeux de ce projet. Malgré un regard sceptique Isiko serait pour elle une bonne source d’information et permettrait de comprendre l’ensemble du travail des commissaires d’exposition, les liens entre les œuvres les unes par rapport aux autres car il s’agit d’entreprendre une réelle compréhension de l’espace. C’est en abordant le rapport entre l’image et le matériau que naît sa frustration. En dépit d’une vision critique du numérique, les visites d’expositions virtuelles entreprennent une démarche avant-gardiste et amènent à se questionner sur le caractère éphémère de l’art et sa démocratisation.