1 juin 2016

Cinq raisons de courir voir Heinz Mack à la Galerie Perrotin

Matthieu Poirier, commissaire de l’exposition Heinz Mack à la Galerie Perrotin jusqu’au 4 juin, nous explique en cinq points pourquoi l’Allemand est un artiste majeur et passionnant pourtant méconnu du grand public… jusqu’à aujourd’hui.

Propos recueillis par Thibaut Wychowanok.

1. Yves Klein le considérait comme le plus grand artiste de sa génération

 

“Depuis sa rétrospective au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris en 1973, Heinz Mack a été un peu oublié des institutions françaises. Pourtant, cet Allemand né en 1931 a été précurseur aussi bien de l’abstraction que de l’art cinétique et du land art… bien avant les Américains ! Les pièces présentées à la Galerie Perrotin ont été réalisées entre 1950 et 2016, et les plus anciennes donnent pourtant l’impression d’être totalement actuelles. Certaines peintures auraient pu être réalisées aujourd’hui par les frères Quistrebert qu’on a vus au Palais de Tokyo, les reliefs lumineux par Olafur Eliasson [bientôt exposé à Versailles], certaines sculptures par Jeppe Hein ou Carsten Höller. On reconnaît les précurseurs à leur descendance et à leur capacité à avoir tracé des directions suivies actuellement par de nombreuses stars de l’art contemporain. On croit souvent que le land art, par exemple, a été inventé par les Américains. Pourtant dès 1955-1958, Heinz Mack réalise des œuvres qui l’amorcent : il rapporte du désert des sacs entiers de sable pour façonner ses toiles. Il intervient en plein Arctique pour installer, au milieu des icebergs, une sculpture qui leur fait écho. C’est également l’un des inventeurs de l’art cinétique et un initiateur du renouveau de l’art abstrait. Yves Klein le considère à l’époque comme le plus grand artiste de sa génération.”

 

2. Plus que des peintures, plus que des sculptures : des reliefs rythmés comme une partition

 

“Le relief est une catégorie oubliée de l’histoire de l’art. Une “no go zone” entre sculpture et peinture. Heinz Mack en a été l’un des grands réinventeurs. Mais ce relief n’a pas pour objet de dessiner un personnage en le rendant plus réel : il est au contraire abstrait, à l’instar de cet aluminium repoussé vers l’arrière comme en joaillerie. Une forme surgit vers nous alors que l’on s’enfonce en elle. Ce travail autour du relief permet à l’artiste de jouer avec la lumière et l’ombre, essentielle dans son travail. Bien qu’abstraite, son œuvre est truffée de références au réel. On semble reconnaître ici la mer, là le désert. Mack tente par l’abstraction de reproduire la palpitation vitale du monde. La simplicité des faits permet la complexité des effets. Dans ses monochromes, il applique – à l’aide d’outils qu’il façonne lui-même – une peinture épaississante, de manière régulière, comme pour repérer une même note sur l’ensemble de la toile. Chaque toile devient un fragment d’une partition infinie. Cela ne doit rien au hasard puisque Heinz Mack était musicien. Sa monochromie est une monotonie musicale, un ton unique déployé dans le temps… et dans l’espace. Son approche de la musique était aussi expérimentale. Lorsqu’il se mettait au piano, il délaissait le clavier et jouait directement avec les cordes à l’aide d’aimants.”

 

3. Des œuvres qui nous rappellent que nous avons un corps

 

“La simplicité de l’objet chez Heinz Mack suscite des effets lumineux, perceptifs et sensoriels complexes. On passe son temps à bouger, à le contourner et à l’apprivoiser. À chacun de nos mouvements, les œuvres se révèlent autrement. Mack n’a de cesse de rappeler au spectateur qu’il n’est pas un piquet avec deux yeux fixes, mais au contraire un corps en mouvement et perceptif. Dans une époque où tout est image, et où toute image se regarde de façon fixe sur un écran, Mack, à l’inverse, nous invite à bouger autour de l’objet. Il orchestre ce mouvement pour faire du spectateur un acteur de l’expérience esthétique.”

 

 

4. Une personnalité fascinante et paradoxale

 

“Heinz Mack, c’est la carrure d’un Picasso et une sensibilité à fleur de peau. Toujours à cheval entre une virilité à l’ancienne et une féminité éthérée, Mack a été marqué par la guerre. Son père est mort du typhus dans un camp de prisonniers. Et, lorsqu’il étudiera à Düsselfdorf, ce sera dans une Allemagne ravagée : la bibliothèque ne compte que trois livres sur ses étagères… Alors, lorsqu’il créera avec d’autres le groupe ZERO en 1957, ce sera avec ce contexte très particulier en tête. Le collectif aura pour volonté profonde de repartir à zéro après avoir vu l’humanité descendre dans l’horreur absolue. Une renaissance portée par une philosophie profondément humaniste. Ce retour à zéro est aussi un retour au zéro de la création, à un cri primal de l’art.”

 

 

5. Une exposition digne d’un grand musée

 

“Pour l’expositon à la Galerie Perrotin, j’ai travaillé directement avec Heinz Mack en Allemagne. Nous avons sélectionné ensemble plus de 70 pièces qui rendent compte des grands sujets de son œuvre : la lumière, l’espace, le temps, la vibration, le rythme… Heinz Mack est un artiste prolifique, mais j’ai voulu me concentrer sur les oeuvres les plus emblématiques : de ce dessin réalisé en 1950 jamais montré jusqu’ici, jusqu’à des pièces prêtées par des musées ou des collectionneurs. Certains tableaux – je pense notamment aux tableaux en résine noire de 1957-1959 – peuvent atteindre un million d’euros.”

 

Heinz Mack, Spectrum, exposition conçue par Matthieu Poirier, Galerie Perrotin, 76, rue de Turenne, Paris IIIe. Jusqu’au 4 juin 2016.