16 minutes dans le bureau de François Hollande
L’artiste Laurent Grasso propose une vidéo immersive et hypnotique au cœur du bureau élyséen de François Hollande, à découvrir jusqu’au 14 janvier à la galerie Perrotin.
Par Thibaut Wychowanok.
Soyons honnête, au risque de décevoir, Élysée, la vidéo de 16 minutes de Laurent Grasso consacrée au bureau présidentiel de François Hollande n’est pas un documentaire sur les coulisses du pouvoir. Vous n’y découvrirez aucun secret sur ses arcanes, (presque) aucun objet saugrenu dont la révélation par la caméra faciliterait la compréhension du plus haut personnage de l’État. L’œuvre n’est d’ailleurs pas plus un commentaire politique sur la présidence Hollande, “normale” ou “vacante”, dont le bureau inoccupé témoignerait. Si, au hasard des mouvements de l’objectif, apparaissent à l’écran les unes des quotidiens posés sur le bureau (“Macron” pour Le Monde, “État d’urgence” pour Libération) ou un ouvrage consacré à Charlie Hebdo, ce ne sont tout au plus que des clins d'œil amusés ou émouvants. Laurent Grasso l’explique lui-même, “le bureau du Président a été préparé par ses équipes en vue de la journée de tournage, il y a tout juste un an.” Rien n’a été laissé au hasard. Et ce n’est pas là l’important.
La puissance de la vidéo de Laurent Grasso tient tout entière dans ses qualités plastiques, dans ce qui fait d’elle une œuvre d’art à part entière. Son dispositif d’abord, simple. La caméra agit au sein du bureau élyséen comme un scanner d’hôpital sur le corps du patient. Elle traverse les espaces de manière fantomatique, les découpant pour les analyser avec une neutralité toute scientifique : gros plan sur les moulures d’or, travelling sur les fenêtres, sur les ouvrages, sur un texte annoté, sur un téléphone tout droit sorti des années 90. 15 personnes et 2 caméras auront été nécessaires pour mettre en place ces mouvements dans les 60 m2 du bureau. Tout y est mis au même plan, successions linéaires d’aplats de matières : or, bois, plastique.
“Le temps a chargé le lieu de quelque chose qui continue à se diffuser et que la caméra essaie de capter.“ Laurent Grasso
Quel effet ce dispositif produit-il ? Une impressionnante impression d’errance et de perte de repères qui finit, au bout des 16 minutes, par transformer l’approche scientifique en une transe psychique à laquelle l’inquiétante musique de Nicolas Godin (la moitié du groupe Air) participe pleinement. “Le temps a chargé le lieu de quelque chose qui continue à se diffuser et que la caméra essaie de capter, commente Laurent Grasso. Plus que le bureau lui-même, ce qui m'intéresse est la part fantasmatique que chaque objet dégage. Je cherche à capter l'invisible, la substance du temps, les fantômes du lieu.” À tel point que la caméra semble un moment pénétrer littéralement la matière pour la filmer dans une transparence fantomatique. À lui seul, l’effet visuel résume le propos : le pouvoir n'est pas à chercher en surface ou dans les apparences d’un décorum. Éternel, il forme un corps immatériel, un esprit qui habite les lieux, leur donne leur aura et s’attache, périodiquement, à un Président, avant d’être transmis à un autre (référence assumée par l’artiste à la théorie des deux corps du roi). On vous avait prévenus, qu’il s'agisse de François Hollande n’a vraiment aucune espèce d'importance.
Elysée, un film de Laurent Grasso, à la galerie Perrotin, 10 impasse Saint-Claude, Paris 3e, jusqu'au 14 janvier. www.perrotin.com