Qui est Nelick, le rappeur qui propose une alternative au rap trop sombre ?
Deux ans après l’EP “Vanille Fraise” et son extension “Supplément Chantilly”, Nelick défend, Mon cœur bat, un premier album de “rap indie à la française frappé d’un esprit funk intime et romantique”. Numéro a rencontré ce galopin à la nonchalance chic pour saisir les subtilités de son personnage.
Par Alexis Thibault.
Nelick a perdu toute notion du temps. Voilà déjà cinq mois que le disque qu’il va présenter cette année est terminé. La tournée promotionnelle survient peut-être un peu trop tard… le rappeur a déjà la tête ailleurs. Mais il s’agit d’un premier album, donc, quoi qu’il en soit, il va falloir affronter les journalistes. Deux ans après l’EP Vanille Fraise et son extension Supplément Chantilly, le galopin flegmatique présente Mon cœur bat [Entreprise], quatorze morceaux de “rap indie à la française frappé d’un esprit funk intime et romantique”, pour reprendre les termes de son label. Et pour ce nouvel opus, disponible le 5 avril, il s’est adjoint les services de son bras droit, le producteur Kofi Bae, mais aussi du réalisateur et ingénieur du son Renaud Letang, collaborateur du groupe l’Impératrice et des artistes Chilly Gonzales et Benny Sings.
Mon cœur bat, l’album de Nelick façon rap indie à la française
Dans les pages des magazines, une expression revient souvent pour définir ce jeune homme de 26 ans aux airs de gendre idéal : syndrome de Peter Pan, ou le refus de grandir. Mais il faudra creuser davantage pour saisir les subtilités de Nelick, personnage complexe qui ne semble pas se rendre compte de l’ampleur de ses angoisses, préférant les clips vidéo multicolores aux courts-métrages cafardeux. Dans sa playlist : Jamiroquai, J. Cole, Kendrick Lamar, Jungle, Portishead, Frank Lee White ou Passion Pit. Dans sa bibliothèque, on trouve, entre autres, un roman de Laurent Gounelle, qui confirme que l’interview tombe à pic : L’homme qui voulait être heureux (2008). Rencontre.
L’interview du rappeur Nelick
Numéro : Avez-vous compris quelque chose au film Tenet, vous ?
Nelick : Rien du tout. J’ai détesté ce film. C’était le pire moment de ma vie ! Pourtant j’étais vraiment motivé. J’étais en plein dans ma phase “cinéma” parce que j’ai un sacré retard à combler. J’en ai marre de me faire engueuler par mes potes qui hurlent dès que j’ai le malheur de ne pas connaitre un film culte. Donc je révise mes classiques pour qu’ils arrêtent enfin.
L’avis de vos amis a-t-il tant de valeur que ça ?
Je crois bien. D’ailleurs, j’ai toujours eu besoin d’être entouré d’eux. C’est très important pour moi. Comme s’il fallait obligatoirement que je laisse une trace dans leur mémoire. Ça me rassure…
En studio, Renaud Letang nous laissait aller au bout de notre délire. Une fois que nous étions pleinement satisfait, il nous lançait un regard amusé qui signifiait : “Je vous aime beaucoup les gars, mais ce que vous venez de pondre, c’est rincé.” Donc nous recommencions tout depuis le début.
Quel type d’élève étiez-vous à l’école ? L’intello du premier rang, le grand timide, le perturbateur ?
Le petit con… Je voulais simplement faire marrer mes potes. C’était le seul moyen que j’avais trouvé pour être un peu spécial et m’en sortir parmi les loups. Regardez-moi, je ne pouvais clairement pas me battre, j’allais obligatoirement me faire défoncer ! [Rires.] Il fallait bien que je trouve un subterfuge pour que les types les plus dangereux m’apprécient.
Pourquoi ressentiez-vous donc ce besoin irrépressible d’être… spécial ?
Parce qu’il fallait absolument l’être. Je viens d’une cité de Champigny-sur-Marne [94]. Dans mon groupe d’amis, j’étais le seul Blanc, et je voulais prouver que j’avais quelque chose à apporter à la bande. Tout le monde écoutait du rap. Moi, pas vraiment. Donc l’étiquette du mec marrant me convenait parfaitement… Je vous raconte ça mais, depuis, je ne vois plus aucun d’entre eux. À l’époque, j’avais surtout deux meilleurs amis : l’un est décédé et l’autre est en prison. Donc je ne regrette pas vraiment d’être parti. À l’époque, quand j’ai commencé à rapper, tout le monde se foutait de ma gueule. Certaines villes de banlieue ont des airs de prisons et comme personne ne fait rien, on se moque très vite de ceux qui osent faire quelque chose. Parce que là-bas, tout le monde cherche à être le plus normal possible. C’est la conformité totale. Finalement, j’ai atterri à Montreuil. Cette fois, c’était mi-street, mi-bourge, vous aviez le choix.
Et quel traumatisme de votre enfance vous incite désormais à vous habiller si élégamment ?
La facilité. Je m’habille comme ça pour ne pas prendre le risque de me foirer. Et puis j’ai toujours aimé endosser des rôles. Quand je porte une chemise et une cravate, c’est comme un cosplay, j’ai l’impression d’être un type qui va au bureau…
Cet album s’adresse à ceux qui ont peur d’être vulnérable. À ceux qui ont peur de souffrir. À ceux qui ont peur de tomber amoureux aussi…
Vous défendez cet année un premier album, Mon cœur bat, en quoi ce disque propose-t-il quelque chose de novateur dans l’industrie musicale ?
Vous voulez une réponse à la Kanye West ?
C’est vous qui voyez.
Je n’ai jamais entendu de sonorités comme celles-ci ailleurs. En tout cas jamais en France. Le rap actuel est tellement sombre. J’ai l’impression de proposer une alternative avec cet album. Disons que c’est une œuvre plus… vulnérable.
La vulnérabilité est-elle paradoxale avec les codes du rap ?
Je ne crois pas. Je suis moi-même en pleine phase de déconstruction. C’est tellement plus intéressant d’en faire une force. Pour autant, cela ne m’empêche pas de verser à fond dans l’egotrip dans certains morceaux comme Qui veut la peau de KiwiBunny par exemple. Pour la première fois, j’ai eu l’impression de vraiment savoir ce que je faisais. J’ai collaboré avec un ami, le producteur Kofi Bae, et le réalisateur Renaud Letang qui a clairement hissé le projet à un niveau supérieur. Il a apporté trente années d’expérience. Nous étions tous les trois en studio à chercher des idées, Renaud s’installait dans un canapé et nous dirigeait : “Faites-ci, faites-ça, ajoutez un synthé ici, supprimez ça…” Nous mettions parfois deux heures à trouver la bonne suite d’accords ou l’effet de reverb qui va bien. Et Renaud nous laissait aller au bout de notre délire. Une fois que nous étions pleinement satisfait, il nous lançait un regard amusé qui signifiait : “Je vous aime beaucoup les gars, mais ce que vous venez de pondre, c’est rincé.” Donc nous recommencions tout depuis le début. [Rires.] La confiance s’était installée et les choix devenaient binaires : ça marche ou ça ne marche pas. Pour la première fois de ma vie, je n’étais attaché à rien. J’étais capable de repartir d’une feuille blanche après avoir travaillé trois jours sur un morceau. Rien à voir avec mon procédé habituel. Enfin je pouvais laisser de la place… à l’erreur.
“J’ai l’impression que…” Cette expression revient souvent tout au long de l’album. Vous semblez incapable d’expliquer clairement ce que vous ressentez.
C’est exactement ça. J’ai beaucoup de mal à identifier mes émotions. Dans ce premier album, j’ai enfin réussi à dire ce que j’avais à dire. Et les textes représentent exactement ce que je ressentais à l’instant T.
Vous êtes sur que ça va ? On peut discuter si vous voulez…
[Rires.] Oui ça va, ne vous inquiétez pas ! Il y a quelque chose de très mélancolique dans cet album parce qu’il a fonction d’exutoire. J’y ai foutu mes moments de joie mais aussi mes chagrins d’amour.
Si tous les morceaux de cet album venaient à disparaître et que vous ne pouviez en sauver qu’un, lequel choisiriez-vous ?
Oh non… vous êtes dur !
Allez, je vous en accorde deux parce que vous m’êtes vraiment sympathique…
2Late, le deuxième morceau de l’album. Selon moi, c’est le plus abouti. Peut-être parce que, pour la première fois de ma vie, j’ai écouté un de mes propres morceaux en étant fier. Je me suis même demandé si c’était vraiment moi qui avait fait ça ! En fait, j’ai vraiment l’impression d’avoir créé quelque chose qui me ressemble et que je n’ai jamais entendu ailleurs. Peut-être parce que c’est une sorte de rap funk indé qui n’existe pas. J’ai toujours du mal à savoir qui je suis vraiment. Un jour je suis un petit con, un autre je suis très mature. Et dans ce morceau, il n’y a rien qui ne soit pas… moi. Il exprime toutes mes facettes. Il m’a ouvert une voie vers ce que je voulais faire. Un egotrip sérieux, pas mal d’humour et une pointe de crooner romantique. Je sauverai également Casper, le morceau le plus “énervé” du disque. Je n’en suis pas satisfait à 100% mais disons qu’on a fait du mieux qu’on pouvait.
Et cet album, à qui s’adresse-t-il selon vous ?
À ceux qui ont peur d’être vulnérable. À ceux qui ont peur de souffrir. À ceux qui ont peur de tomber amoureux aussi…
Et vous, de quoi avez-vous peur ?
De perdre mon innocence. C’est déjà arrivé par le passé. Certainement lorsque j’ai découvert l’industrie musicale d’ailleurs. Mais je crois l’avoir retrouvée peu après. J’avais simplement perdu ma passion pour la musique et l’écriture. Il faut croire que je l’ai retrouvé grâce à ce disque.
Mon cœur bat [Entreprise] de Nelick, disponible le 5 avril 2024.