Pourquoi le défilé Maison Margiela Artisanal est-il spectaculaire ?
Ce jeudi 25 janvier 2024, à la tombée de la nuit, John Galliano était au sommet de son art avec un défilé Maison Margiela Artisanal spectaculaire. Un show présenté sous le pont Alexandre III qui vient clore en beauté la Fashion Week haute couture printemps-été 2024.
par Léa Zetlaoui.
Un défilé Maison Margiela Artisanal sous le pont Alexandre III
Ce jeudi 25 janvier 2024 à Paris, les quais de la rive gauche situés sous le pont Alexandre III vont être le théâtre d’un moment de mode inoubliable, qui rappelle les grandes heures de la haute couture.
À la lueur de la première pleine lune de l’année, et tandis qu’une fine bruine tombe sur Paris, les invités du défilé Maison Margiela Artisanal – parmi lesquels Kim Kardashian et Kylie Jenner, Nadia Lee Cohen et Yves Tumor – prennent place dans un décor cinématographique rappelant les bistrots, ou plutôt tripots, de la fin du 19e siècle, conçu avec La Mode en Images.
Vétéran d’une époque révolue où les créateurs de mode étaient à la fois couturiers et showrunners, John Galliano présente ce soir-là un défilé spectaculaire (qui valait bien une heure de retard), clôturant en beauté une Fashion Week haute couture printemps-été 2024 en demi-teinte.
Lucky Love, Leon Dame et Gwendoline Christie, les muses Maison Margiela
En préambule de ce défilé Maison Margiela Artisanal, John Galliano convie Lucky Love qui interprète sa dernière chanson Now, I don’t need your love, accompagné d’un gospel. Egalement danseur, artiste de cabaret transformiste et acteur, le chanteur français, dont un tube avait déjà rythmé le défilé Maison Margiela printemps-été 2024, livre une performance poignante qui installera une atmosphère propice au spectacle qui s’ensuivra.
C’est au cours de la pandémie de Covid-19 que John Galliano a repensé ses défilés de mode en expérimentant de nouvelles techniques de diffusion. Si, à l’époque, le recours au format vidéo était incontournable, le créateur britannique a repoussé les limites en fusionnant la performance théâtrale, physique et numérique avec une approche véritablement innovante. Un exemple flagrant de cette évolution est son défilé Maison Margiela Artisanal 2022, un récit inspiré du genre littéraire Southern Gothic, conçu alors comme une pièce de théâtre et capturé par des caméras intégrées à la performance. Des caméras qui enregistraient et diffusaient simultanément la vidéo pour un public numérique, créant ainsi une expérience immersive et captivante.
Pour son défilé Artisanal 2024, John Galliano mêle une fois de plus numérique et live show en utilisant la vidéo comme un prélude cinématographique. Invoquant le Paris du photographe Brassaï, sublimé par une réalisation en noir et blanc hitchcockienne et des bruitages exagérés, le court-métrage — projeté sur des écrans dans la salle — nous emmène dans une promenade au cœur des entrailles de Paris.
Au clair de lune et le long de la Seine, on y croise plusieurs créatures nocturnes, comme le mannequin Leon Dame, qui après avoir descendu les marches du pont Alexandre III, apparaît sur le quai. Vêtu d’un corset et d’un pantalon noir, la muse de John Galliano inaugure le show, déambulant lascivement parmi les invités.
La galerie de personnages qui lui succèdent adoptera la même démarche fantaisiste, œuvre du movement director Pat Boguslawski, exaltant une collection magistrale où les dandys et poupées de John Galliano rencontrent la vision radicale de Margiela. Au bout de vingt minutes, le défilé s’achève sur une apparition théâtrale de l’actrice britannique Gwendoline Christie – dont les talents de mannequin s’étaient déjà illustrés chez Thom Browne. Un final mémorable pour un défilé magistral, qui vaudra à la maison une standing ovation de dix minutes.
John Galliano, un couturier au sommet de son art
Ce vendredi 26 janvier 2024, le défilé Maison Margiela était de toutes les conversations des professionnels du milieu, faisait le buzz sur les réseaux sociaux et s’attirait les éloges de la presse. Et pour une fois, la présence du clan Kardashian-Jenner n’était pas la seule raison de ce retentissement médiatique.
« Chez Maison Margiela, Galliano livre un des plus beaux shows de la décennie” osait annoncer le quotidien français Le Figaro tandis que Vogue Runway, la plateforme dédiée aux défilés de mode titrait sa critique »John Galliano clôture une semaine de couture discrète avec un superbe coup de théâtre chez Maison Margiela” (John Galliano Caps Off a Subdued Couture Week With a Stupendous Coup de Théâtre at Maison Margiela).
Un consensus que seule une mise en scène sensationnelle ne peut justifier. Si le personnage extravagant des débuts à laisser place à une personnalité discrète, quarante ans après ses débuts, John Galliano, fils de plombier né à Gibraltar en 1960, demeure l’un des plus grands couturiers de sa génération, voire de l’histoire de la mode.
Un bref coup d’œil sur son défilé de fin d’études pour la Central Saint Martins School, intitulé Les Incroyables et inspiré de la France révolutionnaire, ou ses sensationnelles collections pour la maison Dior (1996-2011), serviront de piqures de rappel.
Pour en revenir à la collection Maison Margiela Artisanal 2024, il est expliqué qu’il aura fallu douze mois pour créer les pièces, dont certaines sont issues de nouvelles techniques développées par John Galliano et ses équipes des ateliers de haute couture. Évoquant l’art de s’habiller, mais aussi de se déshabiller, la collection joue de la transparence, de l’architecture du corps, de prothèses et des trompes-l’œil.
On pourra citer le seamlace qui désigne des vêtements en incrustation de dentelle ou d’autres matériaux découpés ensemble; le milletrage – une combinaison de mirage, mille-feuille et filtrage – pour des vêtements légers comme une plume se faisant passer pour des manteaux, des vestes ou des pantalons résistants; ou encore l’aquarelle, sur des robes évoquant les peintures de Kees Van Dongen, un nouveau terme utilisé pour le drapé du tulle ou de la mousseline, de la même manière qu’un peintre travaille l’aquarelle
Des pièces signées Christian Louboutin, Stephen Jones et Robert Mercier
Pour atteindre une tel degré de virtuosité, John Galliano s’est également entouré des meilleurs artisans français et britanniques.
Parmi eux, le chapelier Stephen Jones – qui collabore avec lui depuis son arrivée chez Dior, pour les loups moulés –; le sculpteur de cuir Robert Mercier pour des plastrons imitant à la perfection de la porcelaine – aperçus notamment sur Gwendoline Christie –; ou encore Cadolle, maison de lingerie fondée par Herminie Cadolle, qui a inventé le soutien-gorge en 1889, pour les corsets portés par les femmes, mais aussi les hommes, dont Leon Dame et Lucky Love.
Touche finale de ces silhouettes d’une rare complexité, les souliers naturellement. À mesure que les mannequins traversent la salle, se distinguent alors une semelle d’un rouge vif qui ne laisse place à aucun doute : les iconiques Tabi, présentées pour la première fois en 1989, sont bien l’œuvre du chausseur français Christian Louboutin. Prolongeant l’inspiration baroque des vêtements, les Tabi se parent de plateformes et talonnettes, évoquant les sabots ou les faux-cul des robes du XIXe siècle.
“John et moi nous sommes rencontrés il y a environ 40 ans lorsqu’il a emménagé à Paris. Travailler avec quelqu’un que vous aimez et respectez était vraiment la partie la plus agréable de la collaboration. De plus, la Maison Margiela a des codes tellement précis et forts auxquels on peut se référer, qui sont très bien conservés, » confiera par la suite Christian Louboutin dans un communiqué de presse.
Enfin, une des collaborations artistiques les plus impressionnantes de ce défilé – et la plus commentée sur les réseaux sociaux –, demeurant celle avec la make up artist Pat McGrath. Pour accompagner la vision du couturier, elle imagine un maquillage de poupée rétrofuturiste, avec une peau de porcelaine « glass skin” et des joues roses, des sourcils en arcs fins comme dans les années 30 exaltant des yeux peints de couleurs intenses, et des bouches subversives rouge sang ou noires.
Dans les heures qui suivent ce défilé spectaculaire et mémorable, l’euphorie est toujours palpable. On le confirme, ce show Maison Margiela Artisanal par John Galliano est l’un des plus beaux de la décennie. Et on espère qu’il sera suivi par de nombreux autres coups d’éclat.