9 fév 2021

Valentino red, Hermès orange, Fendi yellow: when fashion shows its true colours

Le rouge Valentino, le jaune Fendi, le rose “shocking Schiaparelli” ou encore le blanc Margiela : de nombreuses maisons de mode ont fait d’une couleur leur emblème, parvenant même parfois à l’inscrire dans l’inconscient collectif. Retour sur l’histoire des six teintes les plus célèbres de la mode contemporaine. 

6. Thom Browne : le gris

 

xxxx

Pourquoi pense-t-on immédiatement au rouge lorsque l’on évoque Valentino ? Comment le jaune est-il devenu la couleur phare de la maison Fendi ? Quelles significations le blanc revêt-il dans l’histoire de la Maison Margiela ? Ces questions prouvent une chose : au-delà de son logo, des vêtements et accessoires cultes, un label de mode utilise très souvent la couleur pour inscrire dans l’inconscient collectif sa signature. Encore plus immédiate qu’un nom, qu’une police ou qu’un dessin, déclinée directement sur les pièces, sur les campagnes mais aussi le packaging, cette dernière attrape le regard et résonne dans notre esprit avant même d’être conscientisée. Certaines maisons s’approprient d’ailleurs si bien ce vocabulaire visuel que la couleur par elle-même, isolée, convoque leur nom, comme le orange cuit rimant désormais avec Hermès. Mais derrière ces teintes emblématiques se cachent souvent des anecdotes, rencontres fortuites ou obsessions intimes, voire le développement explicite, comme chez Yohji Yamamoto avec le noir, d’une véritable philosophie. Numéro a décrypté six d’entre elles.

1. Fendi : le jaune, une lumière bienvenue

 

 

Dès sa fondation en 1925 à Rome, Fendi se spécialise dans les sacs et, surtout, dans la fourrure. Et si cette dernière fait la réputation de la maison italienne dans le monde entier depuis bientôt un siècle, elle apporte avec elle une gamme colorée caractéristique de ce matériau naturel rare, oscillant entre différentes nuances de bruns, de beiges, de gris et de roux selon les pelages utilisés. Mais il y a une trentaine d’années, une nouvelle couleur s’ajoute au vocabulaire Fendi jusqu’à devenir sa signature : un jaune chaud et dense, entre paille et bouton d’or. Inspirée par le matériau dit pergamena – parchemin, en italien – qui habillait de nombreuses malles et valises dans les années 30, la teinte apparaît tout d’abord discrètement sur quelques modèles de sac en nylon et en cuir, avant d’envahir le packaging des pièces proposées par la maison, revenir dans chaque collection d’accessoires et même s’inviter sur les vêtements avec audace : dans sa collection automne-hiver 2012, Karl Lagerfeld et Silvia Venturini Fendi dévoilent même un manteau de fourrure chamarré recouvert de ce jaune étincelant. Plus récemment, pour la saison homme automne-hiver 2020-2021, la directrice artistique de la maison a transformé les désormais historiques sacs shopping en papier rigide et les boîtes en carton Fendi en accessoires en cuir exceptionnel, teint dans cette couleur emblématique.

2. Hermès : le orange, un heureux hasard

 

 

Aujourd’hui, Hermès rime avec orange. Pourtant, les intentions d’origine de la maison étaient bien loin de se porter sur cette couleur chaude et lumineuse. Emile-Maurice Hermès souhaitait plutôt au XIXe siècle faire du marron sa couleur signature en écho au cuir qui fait la renommée de ses produits : dans les années 1920, les premières boîtes Hermès seront donc faites dans un papier brun-beige à grain afin de respecter cet héritage. Puis arrive la Seconde Guerre Mondiale. Faisant face à de nombreuses restrictions dans l’approvisionnement de ses matériaux, Hermès se voit contraint pour ses emballages en carton de choisir la seule couleur disponible à l’époque : le orange. Petit à petit, du bolduc aux boîtes qu’elle décore, la teinte devient aussi culte que le célèbre cheval emblématique de la maison, qui l’associe d’ailleurs souvent au marron de ses cuirs d’exception. Aujourd’hui, le orange Hermès habille près de neuf cents formats de boîtes, des plus petites au plus larges, des plus rondes aux plus carrées, au point que ces contenants deviennent eux-mêmes des objets cultes revendus au prix fort sur les sites de vente de seconde main. Quant aux vêtements, ceux-ci accueillent de temps en temps, par petites touches, le orange, comme cet élégant col roulé en laine fine présenté dans la collection automne-hiver 2019-2020.

Final du défilé Valentino haute couture printemps-été 2008.

3. Valentino : le rouge, une véritable obsession

 

 

“Le rouge est une couleur fascinante : c’est la vie, le sang de la mort, la passion, l’amour, le remède absolu à la tristesse, à la morosité”. Tout semble dit dans ces mots prononcés par monsieur Valentino Garavani, père de la célèbre maison de couture qui porte son prénom depuis 1959. Car aux yeux du créateur italien, la puissance du rouge prend racine dans le récit intime d’une véritable émotion esthétique. Lorsqu’il est étudiant à Barcelone, le jeune homme se rend un soir au théâtre de l’Opéra où il aperçoit, dans une loge, une femme âgée dont la beauté retient son attention. La raison : le contraste entre le gris de ses cheveux et le rouge profond de sa robe en velours, qui se décline également sur les tenues de nombreuses autres spectatrices. Dès lors, la couleur entre dans l’abécédaire de son imaginaire et de ses collections, où elle se fait synonyme de féminité, de fatalité et de force pendant des décennies. On parle même du “rouge Valentino” pour décrire cette teinte coquelicot qui se présente aussi bien drapée autour des corps, mate ou satinée, unie, plissée ou brodée, transparente ou opaque. Début 2008, Valentino Garavani tire sa révérence et quitte la direction artistique de sa maison : lors du final de son dernier défilé haute couture, le créateur vient saluer devant l’ensemble de ses mannequins, toutes vêtues d’une même robe rouge droite asymétrique cintrée sous la poitrine. Une manière poétique de faire ses adieux tout en laissant l’éternelle couleur s’épanouir entre les mains de son successeur Pierpaolo Piccioli.

4. Schiaparelli : le rose, un choix audacieux

 

 

Shocking pink : voilà comment Elsa Schiaperelli baptise le rose fuchsia qui deviendra si caractéristique de ses créations. En 1936, neuf ans après avoir ouvert sa propre maison de couture à Paris, la créatrice italienne cherche les tissus qui composeront sa prochaine collection lorsque son attention se pose sur un rose éclatant. “La couleur a flashé devant mes yeux, se remémore-t-elle en 1954. Brillante, impossible, effrontée, seyante, vivifiante, comme tous les oiseaux et poissons du monde réunis, une couleur de la Chine et du Pérou mais pas de l’Ouest. Une couleur choquante, pure et non diluée.” Très rapidement, le rose déferle sur les robes de la maison dont elle appuie un esprit excentrique et joyeux à l’orée de la Seconde Guerre Mondiale : en 1938, on le retrouve notamment sur une somptueuse cape en ratine brodée par la maison Lesage de paillettes, lames et fils métalliques or qui dessinent un soleil à visage humain. La créatrice va même jusqu’à teindre de rose un parfum lancé en 1937, baptisé justement “Shocking!” en hommage à cette couleur caractéristique. Aujourd’hui, le directeur artistique de Schiaparelli depuis deux ans Daniel Roseberry a décidé de s’emparer de cet élément fondateur de la maison, selon lui “très moderne” et qui symptomatique de l’apport d’Elsa Schiaparelli à la mode. “Petit à petit nous allons commencer à explorer le Shocking pink de façons nouvelles et même, peut-être, choquantes”. Dévoilée il y a deux semaines dans sa nouvelle collection haute couture, une robe rose courte intégralement brodée de tubes de verre sur un moule à la musculature exagérément saillante semble déjà avoir franchi ce pas.

5. Maison Margiela : le blanc, un signe d’appartenance

 

 

De Paris à Tokyo en passant par Shanghaï, il suffit de se rendre dans une boutique Margiela pour le voir : le blanc est la couleur signature du label fondé par Martin Margiela en 1989. Derrière le Palais Royal dans la capitale française, on le retrouve par exemple tout de suite sur la peinture des pneus empilés qui encadrent la porte de la boutique jusqu’à la bibliothèque au fond de la pièce, les portants et même la table de billard sur laquelle les vêtements sont exposés. Car c’est de ce même blanc que le créateur belge repeint, dès les années 90, ses vêtements upcyclés et même ses célèbres chaussures tabi, toujours dans l’optique de faire table rase de l’existant et de lui attribuer une texture unique. Dans les ateliers de la maison, ce parti pris esthétique est poussé d’un cran : tous les murs et le mobilier brut sont assortis dans cette teinte suprême et si les sièges ne le sont pas, ils se voient recouverts d’une housse immaculée. Quant aux employés, ils revêtent tous chaque jour une blouse blanche qui rappelle celle des laborantins. D’ailleurs, lorsque certains se montrent au public pour présenter les pièces de la collection printemps-été 1998 sur des cintres dans un défilé mémorable, tous endossent cet uniforme à la fonction aussi bien pratique que symbolique incarnant, à l’instar des masques portés par les mannequins, la volonté de d’invisibilité recherchée par Martin Margiela dès ses débuts. Comme l’écrit Olivier Saillard, “au ‘Je’ cultivé et surexposé, il préfère l’anonymat de la blouse blanche que tous dans sa maison enfilent avec une fierté d’appartenance.” Preuve ultime : les quatre fils de couture blancs visibles au dos de tous les vêtements Margiela, manière de signaler subrepticement une griffe que seuls les adeptes sauront reconnaître…

6. Yohji Yamamoto : le noir, une philosophie du vêtement

 

 

Si une couleur a sans aucun doute été utilisée par tous les créateurs de mode, c’est bien le noir. Plébiscitée pour son élégance intemporelle, son adaptabilité, sa qualité luxe, sa profondeur, ses résonances sombres et mélancoliques, celle-ci revient chaque saison dans la majorité des collections de vêtements et accessoires, où elle se fait plus ou moins discrète jusqu’à y être exclusivement présente. Malgré ce succès affranchi des tendances, personne n’aura exploité le noir comme Yohji Yamamoto. Depuis le lancement de son label en 1972, le créateur japonais en a fait sa couleur fétiche générant une véritable devise esthétique. Ce sont avant tout le vestiaire sombre et sobre de sa mère, endeuillée après la mort de son mari, et l’expérience de la vie urbaine en plein cœur de Tokyo – dont les myriades de couleurs, de lumières et la frénésie visuelle incitent à l’épurement – qui façonnent l’imaginaire du jeune homme dans les années 40 et 50. Ses premières créations sont d’ailleurs des tee-shirts noirs qu’il arbore fièrement dans la capitale, en signe de protestation contre le boom économique. Souvent enveloppantes, les pièces qu’il imagine ensuite se servent du noir pour radicaliser et essentialiser la silhouette, pour manifester une lutte silencieuse entre le corps et l’environnement mais aussi brouiller les frontières du genre. Cinquante ans après ses débuts officiels, de ses vêtements à son identité visuelle, le créateur continue à exploiter le noir sous toutes ses formes et l’associe même de temps en temps à la couleur… mais “le noir finit toujours par gagner”, précise-t-il avec résignation. “[Il] peut avaler la lumière ou aiguiser les choses. Mais par-dessus tout, le noir dit “Je ne te dérange pas, alors ne me dérange pas non plus !”, déclarera-t-il même un jour.