Tremaine Emory, nouveau directeur de création de Supreme, en 3 collaborations
De UGG, à Levi’s, en passant par la compagnie de danse new-yorkaise Alvin Ailey, retour sur trois collaborations – parfois improbables — du designer originaire d’Altanta Tremaine Emory, proche de Virgil Abloh, Frank Ocean et Kanye West, qui vient d’être nommé directeur de création de Supreme.
Par Chloé Sarraméa.
Le 28 novembre 2021 était une funeste journée pour le monde de la mode – et le monde en général. Virgil Abloh est mort. L’étoile foudroyée à seulement 41 ans était une figure de la diversité qui, en plus d’irradier la planète de son art protéiforme – de la musique au design en passant par la mode –, a littéralement propulsé certains de ses proches sur les devants de la scène en collaborant avec eux. C’est le cas de Tremaine Emory, 40 ans, fondateur du label Denim Tears. Si certains ne connaissaient pas, avant la sortie, à l’été 2021, d’un jean imaginé avec son ami de toujours – qui inscrivait, sur un Levi’s 501, des chandeliers noirs, des sigles “peace and love” ainsi que sa sobre et célèbre signature “Abloh” –, les aficionados d’une mode américaine engagée et responsable avaient déjà, eux, le créateur dans le viseur… Tandis qu’il a sorti sa première collection et fondé son label en 2019, cela fait vingt ans qu’il traîne dans le New York branché et dix qu’il gravite autour d’icônes de la pop culture et de la mode : de Marc Jacobs, pour qui il a travaillé au début des années 2010, à Frank Ocean, qu’il a aidé lors la sortie de son disque Blonde en 2016, Fraser Avey, le directeur de Stüssy qui l’a remarqué dans un club londonien pour son teeshirt Heron Preston et l’a ensuite engagé, en passant par Kanye West, pour qui il a été, un temps, le directeur de la marque Yeezy.
À son départ de Yeezy, et tandis qu’il a déjà en tête le lancement de son propre label Denim Tears, Tremaine Emory laisse une empreinte indélébile dans le milieu de la nuit. Il organise, avec le collectif de créatifs qu’il a co-fondé No Vacancy Inn, les soirées les plus en vogue aux États-Unis où se bouscule le gratin du rap. Toute l’écurie A$AP Mob s’y presse ainsi que Kanye West, Virgil Abloh, Frank Ocean, le designer d’1017 ALYX 9SM Matthew M. Williams, Yoon Ahn d’AMBUSH, Rick Owens, Shayne Oliver de Hood By Air, le célèbre animateur radio de la BBC One Benji B… Des affinités de longue date qui se imprégneront directement les collections Denim Tears du natif d’Atlanta. Il collabore, par exemple, avec le label japonais ultra confidentiel et favori des rappeurs Saint Michael ou imagine, pour No Vacancy Inn, des hoodies avec Stussy, l’une des marques pour il a travaillé à ses débuts. Et alors qu’il vient d’être nommé directeur créatif de Supreme par son fondateur James Jebbia, retour sur trois collaborations bientôt cultes qui font de Tremaine Emory et son label Denim Tears des incontournables de la mode américaine d’aujourd’hui.
1. La collaboration entre Denim Tears et David Hammons
Jusqu’au 5 septembre, le Met de New York consacre une exposition à la mode américaine. Des robes de bal géantes d’Oscar de la Renta aux pulls de Ralph Lauren tricotés du drapeau américain, on retrouve, dans la sélection de créations, aussi bien des designers actuels que certains des années 40. Parmi eux, Tremaine Emory. Son pull “Tyson Beckford”, en laine, est exposé : sorti en avril 2021, il est une réinterprétation des pulls iconiques de Ralph Lauren datant de la fin des années 80 aux treize bandes et cinquante étoiles.
S’inspirant de l’histoire et de l’expérience collective des Afro-Américains, le designer a remplacé sur ce modèle le drapeau américain par une version de l’African American Flag de l’artiste David Hammons et la signature “RL” par la signature “DT”. Comme pour redonner à la communauté noire une place centrale, et souvent occultée, dans l’histoire de la mode américaine, les créations de celui qui considère [dans une interview accordée au New York Times] que qualifier quelqu’un de “‘créateur de streetwear’ est une façon de l’écarter », sont ici reconnues comme des éléments majeurs du lexique de la mode américaine, exposées aux côtés de tenues signées Marc Jacobs ou Michael Kors.
Tremaine Emory collaborera à nouveau avec David Hammons, utilisant son drapeau pour imprimer des Converse ainsi que sur un vestiaire signé Champion et rendant hommage au célèbre chorégraphe afro-américain Alvin Ailey. Ce dernier, dont la compagnie de danse contemporaine est mondialement reconnue, fascine le créateur. Il a décidé de travailler avec le directeur artistique de la compagnie, Robert Battle, pour imaginer des survêtements couverts de photographies de danseurs d’Alvin Ailey, des trenchs influencés par la pièce Hobo Sapiens et des pièces en madras [tissu coloré souvent porté dans les Antilles].
Le pull Tyson Beckford et les Converse x David Hammons sont en vente sur le site de Denim Tears.
2. La collaboration Denim Tears x Levi’s
Faisant également partie de l’exposition du Met In America : A Lexicon of Fashion, le jean “couronne de coton” est lui aussi une façon de raconter, sur et à travers le vêtement, l’histoire des Afro-Américains. Un récit souvent imprégné de souffrance, à l’image de celle endurée par les esclaves au XVIIIe siècle dans les champs de coton. Avec ce modèle, Tremaine Emory, qui a collaboré avec l’iconique marque de denim Levi’s et imaginé des jeans 501 imprimés (sur le devant et sur le derrière) de dessins de coton, a connu un succès fulgurant. Marc Jacobs lui-même s’est pris en photo avec le modèle, avec les bottes compensées qu’il ne lâche plus, tandis que Virgil Abloh en a livré sa propre interprétation. Demin Tears, a, depuis le lancement de cette collaboration avec Levi’s début 2020, été racheté par l’entreprise de distribution de vêtements américaine qui possède aussi Supreme et The North Face VF Corp pour la modique somme de 2,1 milliards de dollars fin 2020.
Denim Tears x Levi’s, en vente sur le site de Denim Tears.
3. La collaboration Denim Tears x UGG
C’est peut-être la collaboration la plus improbable de la palette de Tremaine Emory. Mais pas la moins intéressante. Dévoilées la semaine dernière, les paires de UGG imaginées par le fondateur de Denim Tears et désormais directeur créatif de Supreme sont, elles aussi, un hommage à l’histoire des Afro-Américains. Il s’est inspiré du récit des Sémioles noirs, ces esclaves – et leurs descendants – qui se sont échappés de la partie côtière de la Caroline du Sud et de la Géorgie pour le désert de Floride dès la fin des années 1600. Lui-même descendant, par son arrière grand-mère Onia, de ce peuple rebelle ensuite allié aux Indiens dont l’histoire lui était sans cesse racontée par sa grand-mère, le designer signe pour le label de bottes fourrées des réinterprétations de ses modèles phares, la Classic (mi-haute) et la Tasman (basse). Ces UGG arborent donc des motifs inspirés des techniques artisanales du sud-est des Etats-Unis. Ornés de broderies et de perles, les modèles font aussi référence à l’histoire de la Black Masking Culture de la Nouvelle-Orléans (également appelée « Indiens de Mardi Gras”), une tradition des indigènes qui souhaitaient célébrer Mardi Gras avec leurs propres codes, en créant des tenues ultra colorées faites d’ornements complexes. La collaboration a été annoncée par un film, Onia, que le designer a lui-même réalisé.
Les créations Denim Tears x UGG sont disponibles sur les sites des deux marques.