Thierry Mugler in 9 cult collections
Après avoir été dévoilée au musée des Beaux-Arts de Montréal en 2019, puis présentée au Kunsthal de Rotterdam en 2020, l’exposition “Thierry Mugler : Couturissime” débarque à Paris en pleine Fashion Week pour s’installer entre les murs du musée des Arts décoratifs, désormais rebaptisé MAD. Dès ce 30 septembre, il sera possible d’y plonger dans l’univers fantastique du couturier français de légende, porté par ses collections avant-gardistes et de nombreux prêts exceptionnels. À cette occasion, retour sur neuf collections de Thierry Mugler qui ont marqué la passionnante histoire de sa maison jusqu’à son départ en 2001.
Par Matthieu Jacquet.
Il est l’un des créateurs de mode les plus marquants de notre siècle : pendant 30 ans, Thierry Mugler a déployé, collection après collection, sa vision avant-gardiste de la mode. Avec lui est apparue une nouvelle femme, puissante et sulfureuse, refaçonnée dès la fin des années 70 par une silhouette structurée instantanément reconnaissable : taille très fine et corsetée, épaules larges, hanches et poitrines soulignées. Initialement destiné à devenir danseur de ballet, le jeune Thierry Mugler a finalement transcrit son amour du corps dans la conception de vêtements. À force d’audace et de persévérance, ce perfectionniste crée en 1973 sa première collection Café de Paris, et organise deux ans plus tard son tout premier défilé avec encore de maigres moyens.
Chez Mugler, la féminité se veut frontale et entièrement assumée.
Extravagante, sexy et parfois irrévérencieuse, “sa mode se conjugue au superlatif ”, écrit Nathalie Bondil, directrice générale et conservatrice en chef du Musée des beaux-arts de Montréal. “Chapeaux surdimensionnés, perruques fluo, (…) poitrine aérodynamique, robes moulées, corsets rutilants, décolleté-fesses”, autant de caractéristiques qui dessinent le style Mugler. Chez lui, la féminité se veut frontale et entièrement assumée : dès son premier total look en 1979, ses pièces guident la femme vers son émancipation à travers l’affirmation d’un corps cuirassé indéniablement résistant aux affronts de la société. Au-delà des silhouettes, sa virtuosité s’illustre également dans son utilisation de nombreux matériaux non conventionnels : en adaptant le caoutchouc, le chrome, la résine ou le Plexiglas aux formes du corps, le créateur marque un véritable tournant technique dans la mode des années 80-90, qui s’éloigne peu à peu du portable pour s’approcher du fantasme. Son regard affûté y mêle alors une sensualité libérée à l’univers de la science-fiction et au futurisme. Avec lui, incontestablement, la mode s’inscrit dans l’art.
Pourtant, après deux décennies de profusion et de succès, le créateur tire sa révérence en 2001 en présentant sa dernière collection de prêt-à-porter. Lassé du rythme effréné, s’accélérant toujours davantage, de l’industrie de la mode, il s’oriente vers la création de spectacles et de costumes pour la scène. Toutefois, son riche héritage ne cessera d’être revisité par des créateurs revendiquant son influence, ainsi que de nombreux artistes telles Lady Gaga, Beyoncé ou Cardi B, qui y puisent encore aujourd’hui leurs tenues. Actuellement célébrée par une grande rétrospective au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) – accompagnée d’une première monographie publiée par le musée et les éditions Phaidon – son œuvre immense y révèle ses trésors à travers une judicieuse sélection de pièces. Afin de mieux cerner l’influence de cet utopiste de la mode, retour sur neuf de ses collections emblématiques.
Prêt-à-porter automne-hiver 1984-1985 : et la mode devint spectacle
En mars 1984, Thierry Mugler crée l’événement : pour célébrer les dix ans de sa maison, il organise le premier défilé-spectacle ouvert au public en Occident. Afin d’accueillir cet ambitieux projet, le créateur choisit le Zénith, salle de concert du quartier parisien de la Villette. En pleine effusion des années 80, la mode rencontre alors plus que jamais les mondes du théâtre et la musique dans cette production haute en couleur, qui attire plus de 6000 spectateurs. Sur le podium, 250 tenues se succèdent : des femmes parées d’une auréole et d’ailes dorées se font les anges de cette collection, qui pousse l’émerveillement à son paroxysme avec la descente majestueuse de Pat Cleveland du plafond, figure de madone drapée dans une parure céleste et étoilée.
Prêt-à-porter printemps-été 1989 : Mugler et ses sirènes
Le monde aquatique a toujours été source féconde d’inspiration pour le créateur. Dans la collection “Les Atlantes”, il s’inspire de la faune et de la flore marine pour déployer un conte des abysses peuplé de sirènes. Tailleurs structurés, robes métalliques et combinaisons se succèdent dans les tons blancs, bleus et argentés. Pièces maîtresses de la collection, les bustiers-coquillages en verre cranté et les bracelets assortis, réalisée par le maître sculpteur Jean-Jacques Urcun, marquent le début d’une longue collaboration avec le créateur.
Prêt-à-porter automne-hiver 1989-1990 : quand le vêtement rencontre l’automobile
Si les pièces de Thierry Mugler révèlent son amour pour la construction, il n’est pas surprenant que le vêtement, chez lui, ait si rapidement rejoint l’automobile. Avec la collection “Hiver Buick”, il assume une référence totale aux voitures américaines des années 1950, et particulièrement les modèles conçus par Harley J. Earl. À travers ses choix de coupes et de matériaux, le créateur tente de saisir leur forme et leurs reliefs dans des ensembles s’appuyant sur des lignes fortes où le métal et les réflecteurs rencontrent le tissu. Exemple littéral : le célèbre bustier-carrosserie “roulé comme une Buick”, porté par Naomi Campbell (et réalisé, lui aussi, en collaboration avec Jean-Jacques Urcun), illustre l’esprit fantasque de Mugler mêlant l’humour à la sensualité.
Prêt-à-porter printemps-été 1992 : cuir et caoutchouc avec Les Cow-boys
Deux ans après la voiture, ce sont désormais les cavaliers du Far West qui inspirent le créateur. Pour sa collection “Les Cow-boys”, il fait défiler une armée de motobikeuses toutes de cuir vêtues, du Perfecto corseté à franges aux cuissardes attachées à la taille, plus de vingt ans avant celles imaginées par Vetements avec Manolo Blahnik. Au-delà du cuir, Thierry Mugler décline la peau de vache et les chapeaux de cow-boy, et introduit un matériau encore assez peu exploité dans le prêt-à-porter de luxe : le caoutchouc. L’une des pièces mémorables de la collection restera son bustier “Harley Davidson” avec guidon et miroirs compris, clin d’œil au bustier-carrosserie de 1989. Celui-ci deviendra célèbre grâce au clip “Too Funky” de George Michael réalisé par Mugler lui-même à partir d’images de son défilé.
Haute couture automne-hiver 1992-1993 : des débuts réussis dans la haute couture
En 1992, Thierry Mugler est autorisé par la Chambre syndicale de la couture à entrer dans le club très fermé de la haute couture en tant que « membre invité », et à présenter sa première collection de haute couture, à une époque où celle-ci souffre d’un manque de modernité et d’audace qui lasse la presse et les acheteurs. Pour cette collection, le créateur choisit comme théâtre la magnifique piscine du Ritz qui donne son nom à la collection. Pour l’occasion, il invite dans son atelier une vingtaine de couturières qui travailleront avec lui à la création de pièces uniques articulées autour du corset. En résulte une collection d’une précision remarquable où le sens du détail sublime la créativité. Son succès immédiat vaudra ensuite au créateur d’officier comme membre permanent de la haute couture pendant dix ans.
Haute couture automne-hiver 1995-1996 : l’apogée Mugler
Après le sensationnel défilé au Zénith, Thierry Mugler se devait de célébrer les 20 ans de sa maison en bonne et due forme. C’est pourquoi il présenta au Cirque d’Hiver un défilé anniversaire spectaculaire et très complet, revisitant par catégories les figures fortes de ses collections. Parmi les créations notables se retrouvent les robots gynoïdes et les ensembles chromés, résultats d’une collaboration intensive avec Jean-Jacques Urcun sur la version féminine d’un androïde – le premier modèle fut réalisé avec Delcros pour la collection Superstar Diana Ross en 1991. Partant d’un soutien-gorge métallique, le vêtement se décline jusqu’à devenir une combinaison intégrale en métal et Plexiglas, une invention qui inspirera de nombreux créateurs, d’Alexander McQueen à Dolce&Gabbana. Autre pièce mémorable de cette collection, la fameuse robe fourreau-coquillage dans laquelle on a pu voir récemment Cardi B, lors des Grammy Awards 2019.
Haute couture printemps-été 1997 : derrière l’insecte, la femme
Si le style et la folie Mugler devaient être illustrés par une seule collection, Les Insectes serait sans doute l’une des plus appropriées. Le créateur s’y surpasse en imaginant un monde où les femmes fusionnent avec les insectes, adoptant leurs caractéristiques à échelle humaine : carapace, antennes, voire lunettes occultantes pour rappeler les yeux des mouches, jusqu’aux gracieuses ailes du papillon auxcouleurs chatoyantes. Autre pièce remarquable, le tailleur “pneu” réalisé en caoutchouc et en cuir grâce au designer Abel Villareal, énième fusion de la femme et l’automobile. Avec cette collection audacieuse, Thierry Mugler ne cesse de surprendre et contribue, aux côtés des nouveaux venus John Galliano et Alexander McQueen, à faire du printemps-été 1997 l’une des saisons de haute couture les plus excitantes de l’époque.
Haute couture automne-hiver 1997-1998 : la robe la plus chère de l’histoire de la couture
Dans la continuité la collection précédente, Les Chimères transforme les femmes-insectes en figures fantastiques et fantasmées, habitant les rêves du créateur. Cet imaginaire des contrées lointaines, Thierry Mugler le traduit par un regard tourné vers l’Orient, ses cultures et ses esthétiques : on retrouve au fil des pièces les influences de la Russie ou de l’Asie de l’Est. Clou du spectacle, la robe Chimère dans lequelle Adriana Karembeu se mue en une créature hybride, une sirène ailée aux couleurs de l’arc-en-ciel. Conçue par Jean-Jacques Urcun et le corsetier Mr Pearl, cette incroyable création est aujourd’hui estimée comme l’une des robes haute couture les plus chères de l’histoire.
Prêt-à-porter automne-hiver 2001-2002 : des adieux féroces
À l’orée des années 2000, la mode fait face à une nouvelle concurrence, celle de la grande distribution et de la fast fashion qui amènent de nombreux labels à repenser leur modèle économique. Souffrant de ce bouleversement des achats et de cette demande toujours croissante, Thierry Mugler décide de mettre fin à ses activités dans la mode. Plus tard, le créateur le dira lui-même : “La mode a été un vrai véhicule émotionnel et artistique dans les années 1970, 1980 et 1990, le look était extrêmement important. C’était un vrai jeu, mais ça ne l’est plus. J’ai poussé la mode à son maximum, mais aujourd’hui, la création est limitée par l’argent, le marketing et le rythme fou des collections.” En mars 2001, il présente sa dernière collection de prêt-à-porter : baptisée Les Fauves, celle-ci met en scène des mannequins à l’allure féroce, cheveux gonflés, habillées de cuirs blancs, beiges, bruns ou noirs et recouvertes d’imprimés léopards. Une manière pour le créateur de faire ses adieux au monde de la mode avec dignité, la tête haute et le regard dirigé vers d’autres horizons.
Thierry Mugler : Couturissime, du 30 septembre 2021 au 24 avril 2022 au MAD, Paris.
En lien avec l’exposition, le musée des Beaux-Arts de Montréal a publié avec les éditions Phaidon une grande monographie consacrée à Thierry Mugler.