Rencontre avec Franck Chevalier, le styliste qui a habillé Diana Ross, Jay-Z et Daft Punk
Après avoir fait ses débuts chez Jean Paul Gaultier à la fin des années 1980, Franck Chevalier s’envole à Los Angeles afin de représenter outre-atlantique les marques françaises les plus prometteuses. C’est alors qu’il devient le styliste favori des stars (Jamiroquai, Daft Punk, MC Solaar, Michael Jackson) qui louent son œil esthète et ses références de mode pointues. Rencontre avec une légende urbaine, construite entre Paris et L.A.
propos recueillis par Nathan Merchadier.
Une encyclopédie de la mode. C’est peut-être la première pensée qui nous vient à l’esprit lorsque l’on rencontre Franck Chevalier, dans son atelier du 10e arrondissement à Paris. Du haut de son mètre quatre-vingt-dix-sept, le créatif à l’allure imposante nous présente les derniers prototypes (inspirés par le streetwear) de la marque Punishment Paris. Un label qu’il pilote depuis 2021 aux côtés de Gilles Rosier, rencontré il y a plus de quarante ans chez Jean Paul Gaultier.
De Jean Paul Gaultier à Suprême NTM : un créatif parisien touche-à-tout
Né à Paris, le designer a longtemps porté de multiples casquettes qui l’ont amené à graviter dans les hautes sphères de la mode. Après ses débuts pour le service de presse de Jean Paul Gaultier au milieu des années 1980, il reprend les rênes d’un club branché dans le 14e arrondissement qu’il baptise Zoopsi. S’y croisent alors aussi bien les personnalités du monde de la mode que des passionnés de rap et de musique soul. À ce sujet, son associé Gilles Rosier se rappelle avec nostalgie : “C’était l’un des premiers endroits de Paris dans lequel il y avait un mélange entre des mondes très distincts. Franck a toujours réussi à fédérer une communauté de gens cool autour de lui”.
Quelques mois plus tard, Franck Chevalier devient le premier manager du groupe de rap NTM, fondé par Joeystarr et Kool Shen, avant de s’envoler pour Los Angeles, à la fin de l’année 1990. Là-bas, il fonde un bureau de presse qui représente pour la première fois des marques françaises en Californie (Azzedine Alaïa, Jean Paul-Gaultier, Jean Colonna), et finit par devenir le proche collaborateur du photographe David LaChapelle et le styliste préféré des stars de la musique : de Jamiroquai à Diana Ross en passant par Michael Jackson. Rencontre.
L’interview de Franck Chevalier, styliste qui habille les stars de la musique
Numéro : Racontez-nous vos débuts chez Jean-Paul Gaultier.
Franck Chevalier : Un jour, je suis allé dans les bureaux de Jean Paul Gaultier pour un de se fameux castings sauvages. Je ne connaissais pas vraiment ce milieu car j’étudiais l’économie politique à l’université. Mais j’ai finalement été retenu et par la suite, j’ai aidé ponctuellement l’un des attachés de presse de la marque. Ils m’ont demandé si je voulais travailler avec eux et j’y suis finalement resté pendant cinq ans.
Comment avez-vous bifurqué vers le monde de la musique ?
À l’issue de cette expérience, j’ai signé en tant que manager du groupe Suprême NTM en juillet 1990. Du fait de mon expérience chez Jean Paul Gaultier, j’étais le premier à faire porter des vêtements de créateurs aux membres d’un groupe de rap dans un clip. Parallèlement, j’ai pris la direction d’un club que j’ai baptisé Zoopsi, ce qui signifie selon le dictionnaire : “une hallucination visuelle mettant en scène des animaux”. Puis à la fin de cette année, je suis parti m’installer à Los Angeles.
Pourquoi avoir décidé de vous installer à Los Angeles à cette époque ?
Quand tu arrives à Los Angeles en 1990, c’est la grande folie de Versace. En venant de Paris, je me suis dis que j’avais un regard à apporter. Armani était aussi le roi de la ville car il habillait les célébrités sur les tapis rouges : c’était en quelque sorte le règne italien. Paradoxalement, il n’y avait pas un seul designer français qui avait réussi à émerger là-bas. Il y avait sûrement un bureau de presse qui représentait des marques de l’Hexagone à New York, mais de ce côté-là de l’Amérique, ce n’était pas du tout la même énergie.
Quelles opportunités se sont alors présentées à vous ?
Quand j’ai quitté Paris, Azzedine Alaïa m’a donné quelques unes de ses pièces, Jean Paul Gaultier également mais aussi Xuly Bët. Lorsqu’ils ont découvert ce que j’apportais avec mon bureau de presse, les américains se sont emballés. Le styliste de Janet Jackson est venu me voir pour me demander un soutien-gorge signé Azzedine Alaïa. Et puis j’en ai eu marre de les voir rouler en Ferrari tout en empruntant les idées que j’apportais et j’ai décidé de me lancer en tant que styliste.
Comment êtes-vous devenu le styliste préféré des stars de la musique ?
Dans les clips sur lesquels nous avons travaillé, il y avait une diversité de groupes et de moyens financiers impressionnants (entre 2 et 3 millions de dollars) et surtout c’était très différent que d’habiller un musicien français qui pouvait se produire en concert à Paris. Pendant des années, j’ai collaboré avec des stars comme Diana Ross, Tupac Shakur, Michael Jackson, les Daft Punk, ou encore les Red Hot Chili Peppers et MC Solaar. C’était très enrichissant et il y avait une exposition colossale car c’était les débuts de YouTube. Certains clips sur lesquels je m’occupais du stylisme atteignaient facilement les 100 millions de vues.
Quels sont d’ailleurs vos meilleurs souvenirs de cette époque ?
Il y en a un qui me vient en tête, il s’agit du clip Greyhound (2012) de Swedish House Mafia, pour lequel je devais habiller cinquante personnes avec des vêtements de costume. Un autre sur lequel je garde de bons souvenirs était un clip de Miley Cyrus avec pour thème “oiseaux exotiques d’Amazonie”.
D’où vient votre goût pour la mode ?
Vivienne Westwood a formé mon goût car elle habillait les Sex Pistols et The Clash. Son style mélangeait des costumes traditionnels anglais à des détails provocateurs qui ont donné naissance au style punk. La mode définit nos identités et la manière dont on s’habille nous rattache à une sorte de groupe très précis. En tant que styliste, mon but était de bousculer tout cela afin de le questionner.
En 2021, vous rentrez en France et vous commencez à travailler sur la marque Punishment Paris. Comment abordez-vous cette nouvelle expérience ?
J’ai été formé pendant quinze ou vingt ans à poser mon regard sur un projet ou sur une personnalité afin de leur proposer une vision novatrice. Au moment de la pandémie de Covid 19, je suis rentré en France et on m’a proposé de travailler sur cette marque. Ce qui m’intéresse aujourd’hui avec Punishment Paris, c’est d’imaginer des collections de vêtements qui ont du sens et qui sont le fruit de mes influences diverses. Sur certaines pièces, on retrouve des références à l’univers musical qui m’a toujours passionné, tandis que sur d’autres s’invitent des détails qui s’inspirent de méthodes de conception textile plus anciennes. La plupart de nos pièces sont très exclusives car elles sont fabriquées à partir de tissus deadstock. Cette notion de “pièce unique” me plaît. L’idée même de saisons me semble aujourd’hui un peu désuète, alors nous avons essayé de créer un vestiaire complet en réinterprétant des basiques mais aussi en donnant vie à certains looks originaux.
Aujourd’hui, vous continuez finalement d’habiller les stars de la musique, mais avec votre propre marque…
Avec Gilles Rosier, nous nous inspirons beaucoup du sportswear et du workwear ainsi que de certains vêtements militaires que l’on associe à un style “dandy”. Récemment nos collections ont été aperçues sur des personnalités comme Joey Starr, Mathieu Kassovitz ou encore le rappeur SCH. C’est un signal encourageant.
Les collections Punishment Paris sont disponibles sur www.punishmentparis.com