17 avr 2023

Rencontre avec Emeric Tchatchoua, fondateur du label 3.Paradis adoubé par Billie Eilish et Maluma

Depuis sa création en 2013, le label franco-canadien 3.Paradis poursuit son ascension jusqu’à atteindre en 2018 la demi-finale du prix LVMH. Son vestiaire mixte convoque aussi bien l’univers du streetwear que celui du tailoring : rencontre avec le créateur Emeric Tchatchoua, nouveau visage de la mode.

propos recueillis par Nathan Merchadier.

Le créateur Emeric Tchatchoua © Nathan Merchadier

Emeric Tchatchoua : de l’institut Marangoni à la demi-finale du prix LVMH 

 

Du haut de son mètre quatre-vingt-dix, derrière ses lunettes de soleil aux branches épaisses et aux verres légèrement teintés, la tête pensante du label 3.Paradis ne cache pas son enthousiasme lorsqu’il se présente à nous, dans un café du 9e arrondissement de la capitale. Emeric Tchatchoua, 35 ans, propose depuis près de dix ans des collections de prêt-à-porter haut de gamme, dans le sillage du label Off White du regretté Virgil Abloh. Suite à son passage éclair à l’Institut Marangoni à Paris, Emeric Tchatchoua met le cap sur Montréal, au Canada, pour terminer ses études de mode. Adoptées par des personnalités du monde de la musique — de Billie Eilish au rappeur colombien Maluma en passant par la star du hip-hop Usher — ses créations sont aujourd’hui vendues à travers le monde entier et appréciées pour leur minimalisme et le symbole de paix qu’elles véhiculent : les colombes, dont il orne ses modèles. En 2018, il se hisse jusqu’en demi-finale du prix LVMH, une reconnaissance qui le conforte dans ses ambitions. Il exporte ses créations hors de l’Hexagone, en imaginant des collaborations avec des labels déjà installés (Levi’sRimowa), mais aussi avec le club de football qui le fait rêver depuis son plus jeune âge, le Paris Saint-Germain, avec lequel il crée une collection capsule en 2021. Dernière collaboration en date, celle qu’il dévoile en mars 2023 avec la marque d’automobile Peugeot sur les réseaux sociaux : un sweat aux couleurs mystérieuses rappelant les aurores boréales. Aujourd’hui, Emeric Tchatchoua partage son temps entre son atelier parisien du 18e arrondissement et le Canada, où il a fait ses premiers pas en tant que designer. Rencontre. 

Le créateur Emeric Tchatchoua © Nathan Merchadier

Rencontre avec le créateur Emeric Tchatchoua

 

Numéro : D’après la rumeur, il ne se passe strictement rien sur la scène créative canadienne … 
Emeric Tchatchoua : 
Et c’est un peu vrai (rires). J’ai eu la chance de commencer mes études supérieures à Paris à l’Institut Marangoni. Quand j’ai posé mes valises à Montréal, j’ai bien senti que l’école voulait nous préparer au marché de la mode canadien. Les références ne sont pas les mêmes, le marché montréalais est beaucoup plus commercial et se positionne sur un milieu de gamme. Il va être compliqué de faire évoluer la mode à Montréal, surtout si les écoles ne se positionnent pas sur le créneau du luxe. Même s’il y a beaucoup d’artistes talentueux et de gens qui ont envie de faire des choses, il n’y a pas d’infrastructures autour pour qu’ils puissent se développer comme en Europe. Je m’ennuyais beaucoup à l’école, c’est à ce moment-là que j’ai décidé de lancer ma marque.

 

Vos dernières collections semblent infusées d’un fort sentiment de “positivité”. Êtes-vous inquiet pour l’avenir du monde ? 
Non, car je sais qu’au fond l’être humain est une bonne personne. Je suis globalement assez optimiste pour le futur. 

 

Est-ce précisément ce message que vous souhaitez porter à travers votre label ?
Avec 3.Paradis, mon but était en fait de créer un écosystème plus doux que tout le reste de la société. Je l’ai pensé pour qu’il soit plus chaleureux pour moi-même, comme une sorte de thérapie. J’espère bien sûr que d’autres personnes pourront aussi trouver du réconfort à travers la marque. 

 

Dans vos interviews, vous dites que la mode japonaise vous a beaucoup influencé lors de vos débuts en tant que créateur, est-ce toujours le cas ? 
La mode japonaise a été ma porte d’entrée dans le milieu de la mode. Quand j’étais jeune, j’ai vu une photo de Pharrell Williams portant un sweat du label Bape. Les motifs m’avaient intrigué et j’ai eu envie de faire des recherches. De fil en aiguille, j’ai découvert UndercoverRei KawakuboIssey Miyake … Je suis vraiment tombé amoureux de toutes ces créations, comme un enfant qui découvre un nouveau monde. Pendant un moment, je ne sortais plus de chez moi, je passais mon temps sur internet et sur des blogs à rechercher plein de nouveaux labels et de créateurs. Je trouvais aussi toutes ces créations plus accessibles et plus faciles à comprendre, elles n’étaient pas empreintes des codes élitistes de la mode qu’on trouve en Europe. Ça m’a touché directement. Cette énergie m’a enfin poussé à m’intéresser à l’art et plus globalement à la culture, en commençant par le flat art japonais puis en élargissant mes découvertes à tous les champs de l’art contemporain. Tout cela a finalement été un moyen de revenir à la mode européenne pour mieux la comprendre.

 

La collaboration entre 3.Paradis et le PSG (2022) © Rashidi Noah

Vous avez présenté votre première collection femmes en 2022 en faisant défiler vos mannequins dans la boutique du pâtissier Cédric Grolet (7 millions d’abonnés sur les réseaux sociaux). Était-ce un « coup » pour faire du buzz ? 
Cédric Grolet et Yohann Caron sont des amis proches. Je vais souvent dans leur café et je voulais montrer aux gens une part de moi-même, comme une plongée dans mon intimité. L’idée de faire ce défilé dans leur café est venue d’une discussion commune. Le travail de Cédric Grolet et de Yohann Caron est très minutieux et remarquable, je voulais montrer qu’en se donnant les moyens, en travaillant énormément, il était possible d’accéder à un statut d’excellence. Le parcours de Cédric est très particulier, il a toujours énormément travaillé jusqu’à ce qu’il devienne le meilleur pâtissier au monde. Enfin, le format de ce défilé était très important pour moi. Les tout premiers défilés de mode étaient présentés dans des salons, à l’heure du thé. Ce défilé était ma première véritable présentation en France, il n’y avait qu’une poignée d’invités et je l’ai imaginé comme un hommage à l’histoire de la mode.  

 

Comment est née votre rencontre avec Peugeot ? L’univers automobile vous intéresse-t-il ? 
J’ai dans un premier temps été sceptique, mais en m’intéressant à leur proposition, je me suis dit que ça pouvait avoir du sens. Ils travaillaient sur un prototype de voiture électrique baptisé Inception. Nous avons ainsi réfléchi à créer une veste dérivée du prototype de cette voiture du futur. En mobilisant les mêmes technologies et en puisant dans un savoir-faire très particulier, nous avons finalement pu créer une veste, imprimée en trois dimensions qui, visuellement, crée l’effet d’une aurore boréale. La veste ne sortira jamais, comme la voiture d’ailleurs, car ce n’était qu’un prototype. En s’éloignant de la volonté de commercialiser quelque chose, nous nous sommes lancé le défi de créer une pièce unique et techniquement très intéressante. 

 

Depuis le départ de Virgil Abloh, une place est-elle restée vacante dans le paysage de la mode selon vous ? 
Son travail était extraordinaire et ce qu’il a fait dans le milieu de la mode est historique. Je ne pense pas qu’il ait laissé une place vacante, car personne n’est capable de faire ce qu’il a réussi à créer. Virgil Abloh a réussi à ouvrir des portes dans un milieu plutôt fermé et c’est au futur de la mode de lui rendre hommage en continuant d’imaginer des collections dans la lignée de ce qu’il a initié. 

 

Vous avez été demi-finaliste de l’édition 2019 du LVMH Prize. Votre victoire aurait-elle été une différence de taille ?
Lorsque nous sommes arrivés en demi-finale, LVMH nous a dit “vous avez déjà gagné”. Le prix m’a apporté beaucoup de confiance en moi, au-delà d’une crédibilité. Cela m’a persuadé de continuer dans ce chemin, en gardant en tête les valeurs que je souhaite partager et sans prendre de raccourci. 

La campagne 3.Paradis pour l’automne-hiver 2021 © Rashidi Noah

Pourquoi avoir choisi la colombe comme emblème de votre label ? 
J’ai perdu un membre très proche de ma famille et j’ai voulu lui rendre hommage. La colombe était un moyen de représenter toutes les valeurs que cette personne m’a transmises et qui résident depuis le début au cœur de la marque. Ce symbole a évolué au fil du temps. Au début, il apparaissait simplement sur quelques vêtements, puis il est devenu récurrent dans mes designs. Il est même devenu quelque chose de réel quand on a fait apparaître de vraies colombes dans le shooting du lookbook que l’on a photographié chez ma grand-mère. Chez elle, cet animal était très présent dans les peintures accrochées sur les murs, sur des sculptures… Je n’en avais jamais pris conscience, mais je pense que grandir au milieu de tous ces symboles m’a beaucoup influencé.

 

En 2019, vous avez présenté une de vos collections à la Fashion Week de Lagos au Nigéria. Chanel présentait il y a quelques mois son défilé des métiers d’arts 2022-2023 à Dakar, au Sénégal. Quel avenir voyez-vous pour la création de mode en Afrique ? 
Je pense que l’Afrique va être le principal continent à développer au niveau de la mode. Il y a une myriade de talents, de savoir-faire et de profils créatifs. En Europe, il y a beaucoup de tendances et de thèmes, qui vont et viennent au fil des saisons. Des hommages, des cycles, des courants qui deviennent ringards pendant un temps et qui font leur grand retour dix ans après. Je pense qu’en Afrique, il y a quelque chose d’assez nouveau qui pourra influencer notre manière de créer dans le futur, dans le milieu de la mode mais aussi au-delà. 

 

“J’ai refusé beaucoup plus de collaborations que je n’en ai accepté ”

 

Avez-vous déjà refusé une collaboration ?
J’en ai refusé une il y a deux jours, et globalement, j’ai refusé plus de collaborations que je n’en ai accepté. Je n’ai pas l’impression que le monde ait besoin de plus de produits. Lorsqu’on collabore avec une marque, c’est un échange : le label de l’un gagne de la visibilité et de l’autre côté, la marque gagne de la crédibilité. J’ai tellement confiance en ce que je fais que je ne pense pas avoir besoin de visibilité, et je pense que la crédibilité ne s’achète pas. J’ai également une vision à long terme et je me pose souvent la question “qu’est-ce qu’on va faire au-delà de créer un produit ?” Pour moi, un produit est forcément la conséquence d’un message. 

La campagne 3.Paradis pour le printemps-été 2021 © Rashidi Noah