Les confessions de Cindy Bruna, la mannequin star engagée qui fait ses débuts au cinéma
À 30 ans, la mannequin solaire et engagée Cindy Bruna multiplie les aventures et les prises de paroles importantes. Tout en continuant à faire sensation à chacune de ses apparitions mode. Récemment, elle brisait le silence autour des enfants co-victimes de violences conjugales dans un livre poignant, à la fois intime et sociétal. Aujourd’hui, elle tente sa chance au cinéma dans un film fantastique et déjanté qui se déroule dans le milieu des sapeurs, Prosper. Rencontre avec une artiste totale. Et très humaine.
propos recueillis par Violaine Schütz.
Des jambes interminables, des boucles brunes incendiaires, un sourire solaire… Devant la beauté quasi surnaturelle de Cindy Bruna, mannequin française star de 30 ans qui a défilé pour les plus prestigieux créateurs, on pourrait naïvement imaginer que toute son existence est pavée de lumière. Mais c’est une facette beaucoup plus sombre que la beauté engagée, aux origines italiennes et congolaises, dévoilait en 2022, dans un livre-confession poignant intitulé Le jour où j’ai arrêté d’avoir peur.
Cindy Bruna, mannequin, auteure et actrice à suivre
La muse de Jean Paul Gaultier et Olivier Rousteing y témoigne des violences morales et physiques que son beau-père infligeait à sa mère, devant elle et sa sœur. Devenue une ambassadrice très impliquée du réseau d’associations Solidarité Femmes, Cindy Bruna brise ainsi un tabou absolu, celui des enfants co-victimes de violences conjugales. Digne, courageuse et apaisée, elle y raconte son combat contre le silence, les agressions, le racisme, le patriarcat, mais aussi sa lutte pour une redéfinition de l’amour débarrassée de tout résidu passionnel toxique.
Autre moment fort ? La star a fait sensation, le 23 septembre 2024, au défilé L’Oréal Paris à l’Opéra Garnier, à Paris, lors d’un show qui défendait une idée de la beauté inclusive, sororale et joyeuse. Aujourd’hui, la mannequin se lance un nouveau défi : un premier grand rôle au cinéma. Elle donne en effet la réplique à Jean-Pascal Zadi dans le déjanté Prosper, un film qui nous plonge dans le monde fascinant des sapeurs. L’occasion de discuter avec cette artiste attachante de l’importance du vêtement, de ses envies et de ses convictions. Fortes et belles, à son image.
L’interview de Cindy Bruna, mannequin et actrice à l’affiche du film Prosper
Numéro : Qu’est-ce qui a donné envie de jouer dans le film Prosper ?
Cindy Bruna : C’était une super opportunité pour moi parce que ça fait partie de mes premiers castings pour le cinéma. Et que c’est mon premier rôle dans un long-métrage. Quand j’ai fait mon premier casting et que j’ai rencontré le réalisateur, Yohann Gloaguen, j’ai été frappée par sa passion. Il m’a transmis sa passion et j’ai tout de suite été emportée. Et dès que j’ai lu le script, j’ai tout de suite été touchée par l’histoire. Celle d’un homme qui n’a pas confiance en lui et qui va rentrer dans le monde de la sapologie. La sapologie, ça vient du Congo. C’est en lien avec mes origines parce que ma maman est congolaise. Je trouvais que tout était aligné. Je suis à moitié congolaise et le film commence au Congo et la sapologie, c’est quelque chose que je connaissais par ma famille. Le thème de la confiance en soi est aussi très bien abordé. J’aimais l’idée d’utiliser le vêtement pour prendre confiance.
Le film nous plonge dans la culture congolaise et dans la culture des sapeurs. Que saviez-vous du milieu des sapeurs avant ça ?
Comme ma maman est congolaise, la sape, je connaissais un petit peu. Mais j’ai quand même appris pas mal de choses grâce au film. J’ai rencontré des sapeurs, avec qui j’ai pu échanger, notamment avec Jocelyn Armel dit le beau Bachelor et avec Arlene Peleka. J’ai aimé la passion des sapeurs qu’on a rencontrés. Ils ont partagé beaucoup de choses avec nous. Il y en avait beaucoup qui venaient du Congo et qui avaient fait le déplacement exprès pour le film. Ils étaient beaux, élégants. J’ai ainsi compris un peu plus la dimension politique de la sape. C’était un moyen de s’approprier les vêtements des colonisateurs à l’époque des colons au Congo et de les utiliser pour se célébrer eux-mêmes. Le tout avec une touche de fantaisie qui leur était propre. Il y a une histoire profonde derrière la sapologie. C’est vraiment un art de vivre, un art de se célébrer et un mode de vie.
“Jean-Pascal Zadi m’a donné une énergie folle.” Cindy Bruna
Comment décririez-vous le rôle d’Anissa, que vous incarnez ?
C’est un super rôle. J’aime beaucoup Anissa. J’ai été touchée par sa complexité parce que je devais aussi devenir King (un gangster assassiné dont l’esprit s’empare de personnes vivantes, ndlr). Ce double jeu était un vrai challenge car je devais incarner deux personnages. C’est une femme forte, indépendante, qui sait ce qu’elle veut et où elle va. Elle est ambitieuse et amoureuse, mais ne se laisse pas définir non plus par sa relation. Et elle va vivre des moments tragiques, comme le deuil, avec la mort de King, mais elle va se relever et chercher, aux côtés de Prosper, qui a tué King. C’est une femme décidée. J’ai aimé la voir traverser tous ces moments et ces émotions dans le film et découvrir ses failles. Elle est complète et humaine.
Vous avez commencé comme mannequin et vous débutez au cinéma. Comment avez-vous préparé ce rôle ?
J’ai été accompagnée d’une coach qui s’appelle Carine et j’ai travaillé plusieurs scènes avec le réalisateur lors des castings. Ensuite, j’ai rencontré Jean-Pascal Zadi, avec qui j’ai pu échanger, puis travailler et perfectionner les scènes en duo, en échangeant des idées. Et en proposant des choses différentes tout en étant guidée par le réalisateur. La première rencontre avec Jean-Pascal s’est déroulée à Saint-Denis, dans un petit appartement. Il était en retard, je tiens à le dire. Mais surtout, il m’a donné une énergie folle dès qu’il est qui est entré dans la pièce.
“Je trouve ça beau de s’affirmer à travers ses vêtements.” Cindy Bruna
Que vous a apporté votre rencontre professionnelle avec Jean-Pascal Zadi ?
C’est un gars formidable, brillant et talentueux qui a cru en moi aussi et qui m’a donné ma chance. Donc, je suis aussi dans ce film beaucoup grâce à lui. Et dès le début, il a été emballé. On a travaillé des scènes, il y avait une vraie alchimie et jusqu’au bout, une vraie générosité de sa part, même dans le jeu. Et j’ai beaucoup appris aussi de son lâcher prise. Parce que forcément, c’était mon premier film et que j’ai beaucoup travaillé mes scènes car j’avais un peu d’appréhension. Sur le tournage, il est toujours très détendu. C’était marrant de voir ça… J’ai eu beaucoup de chance de partager l’écran avec lui.
Les costumes ont une grande importance dans Prosper. Comment vous ont-ils aidée à entrer dans votre personnage ?
Pour moi, les costumes et le maquillage sont un vrai moment de transformation en début de journée pour pouvoir entrer complètement dans le rôle et dans le personnage. Surtout que là, c’était autour de la sape. Anissa n’est pas une sapeuse, à proprement parler, mais elle aime la sape et évolue dans un monde de sapeurs. Donc elle est toujours très élégante. Cela amène de la force au personnage. Elle peut aussi s’affirmer à travers ses vêtements, comme le font les autres personnages. Ce que je trouve beau.
“Mon prochain projet est une comédie romantique avec Omar Sy produite par Netflix.” Cindy Bruna
Quel est le meilleur souvenir que vous gardez du tournage ?
Le moment le plus fort et touchant, c’était pour moi la procession, une marche pour le personnage de King, que l’on voit à la fin du film. Nous étions dans les rues du quartier de Château Rouge, à Paris. Et il y avait tous les sapeurs. On ne savait pas s’il allait pleuvoir ou pas. On marchait dans les rues et les gens sortaient à leur balcons pour voir ce qui se passait. Il y avait des tam-tams. Il y a des gens qui sont entrés en transe. C’était très émotionnel et beau de nous voir tous ensemble marcher dans les rues de Château Rouge. Sinon, il y a eu plein de moments forts avec Jean-Pascal, des fous rires, beaucoup de fous rires. Et des instants où je lui ai demandé de se concentrer parce que j’avais besoin de rester concentrée et de faire ma scène.
Avez-vous d’autres projets au cinéma ?
Mon prochain projet sera un film pour Netflix. Il s’agit d’une comédie romantique qui s’appelle French Lover, a été réalisée par Nina Rives et sortira en fin d’année. Je joue aux côtés d’Omar Sy et ça a été aussi une expérience incroyable. C’était un autre beau challenge pour moi, un troisième projet à l’écran après la série Cat’s Eyes. C’est un début dans le cinéma et je prends beaucoup de plaisir. J’apprécie cette industrie et j’apprends surtout beaucoup.
“Les violences verbales, physiques, psychologiques, sexuelles et financières sont étroitement liées.” Cindy Bruna
En 2022, vous avez sorti un livre, Le jour où j’ai arrêté d’avoir peur, qui a fait beaucoup de bruit. Vous avez alors enchaîné les interviews pour la télévision et la radio…
C’est une bonne chose, car le but c’était que le message passe, qu’on parle du fléau des violences conjugales et de la position des enfants en tant que co-victimes. Il fallait que ce livre touche un maximum de gens pour les sensibiliser à ces sujets, et puisse servir, je l’espère, d’instrument de prévention. Le terme de co-victime est assez récent. Avant, on parlait d’enfants “témoins”. C’est un vrai pas en avant, car cela veut dire qu’on a pris conscience aujourd’hui que, même si les enfants ne sont pas eux-mêmes battus, voir leur mère victime de coups et d’agressions verbales laisse des séquelles sur eux. Ce sont des traumatismes qu’on garde à vie.
Quel a été le déclic qui vous a poussée à l’écriture de ce livre ?
Je me suis retrouvée, pendant le premier confinement, avec ma mère et ma sœur, durant plusieurs jours. Cela n’était pas arrivé depuis longtemps, en tout cas, pas depuis l’époque où ma mère est sortie de la spirale des violences que lui infligeait mon beau-père. Ce confinement nous plaçait chacune dans une sorte d’introspection, et en même temps nous étions ensemble. Nous avons alors commencé à avoir des discussions profondes, et le tabou des violences s’est brisé peu à peu. Je me suis souvent interdit de parler de ces violences. Parce que je n’étais pas prête, et que je ne m’autorisais pas à dévoiler cette histoire qui appartenait à maman, je gardais le silence. Je voulais avoir son autorisation et son soutien pour prendre la parole.
“La première violence arrive parfois assez tôt, mais on ne s’en rend pas compte.” Cindy Bruna
Est-ce que votre mère a accepté tout de suite que vous racontiez son histoire dans un livre ?
Oui, mais au départ je voulais qu’elle écrive elle-même ce livre. Sauf qu’elle était trop bouleversée pour entreprendre cette démarche. Elle m’a cependant fait confiance pour m’en charger à sa place. Je me suis posé beaucoup de questions sur ma démarche, et je me suis rendu compte que c’était une façon de me libérer moi-même, autant que ma mère et ma sœur. Je devais ce livre à ma maman, à moi, et aux autres femmes. Il a été rédigé comme une lettre écrite à ma mère. Je lui parle directement en utilisant le “tu” et je lui ai dédié. Comme une évidence.
Dans le livre, vous dites que vous auriez eu besoin de témoignages d’autres personnes pour comprendre ce qui se passait à la maison, de vos 4 ans à vos 15 ans. Ce livre, est-il aussi écrit pour l’enfant et l’adolescente que vous avez été ?
Oui, je pense en effet que ça m’aurait aidée. Même si je ne peux pas en être sûre… C’est pour cela que je voulais parler de tous les types de violences. Les violences verbales, physiques, psychologiques, sexuelles et financières sont étroitement liées. On ne s’arrête parfois qu’au “physique” mais malheureusement le « verbal » compte aussi beaucoup et cause presque autant de dommages. C’est un mécanisme sournois qui s’installe petit à petit, et souvent hélas, s’aggrave. La première violence arrive parfois assez tôt, mais on ne s’en rend pas compte. On a aussi du mal à s’identifier comme victime, ce qui rend d’autant plus compliqué la sortie du statut de victime. C’est un mot qui peut être vu comme rabaissant et engendrer de la honte. Mais il est important que la honte change définitivement de camp pour aller du côté des oppresseurs et non des oppressés.
“En devenant une femme, je me suis dit : « Non, ce n’est pas normal qu’à mon premier casting, je sois discriminée à cause de ma couleur de peau. Et qu’on me le signale dans un racisme décomplexé.”” Cindy Bruna
Aviez-vous cerné, enfant et adolescente, même inconsciemment, les ficelles de ce mécanisme ?
Je ne pense pas que, quand on est soi-même sous cette emprise, on puisse comprendre tout ce qui se joue. Ma prise de conscience est arrivée beaucoup plus tard, à l’adolescence. Je me souviens de la fois où mon beau-père a parlé de partir en Thaïlande avec ma mère. Je me suis dit que, s’il parvenait à l’isoler totalement, ce serait la fin. C’était un piège qui m’angoissait, de la même manière que quand ma mère a commencé à travailler pour mon ex-beau-père, un choix qui la rendait dépendante de lui économiquement.
On sent, dans le livre, un besoin de domination de la part de votre ex-beau-père. Sa violence, sa jalousie, le fait qu’il traite votre mère comme si elle lui appartenait, comme un objet, c’est le patriarcat qui semble être à l’œuvre. Ce qui s’est passé vous a rendu d’autant plus féministe ?
Oui, c’est une évidence. On peut retrouver chez ma sœur comme chez moi, même si nous sommes très différentes sur certains points, une farouche envie d’indépendance. Évidemment, cela vient de l’état de dépendance que ma mère a subi. C’est quand j’ai intégré l’association Solidarité Femmes, en 2017, que je l’ai vraiment compris. Même si j’avais été co-victime et victime [son beau-père a levé une fois la main sur Cindy, ndr], j’ignorais les chiffres et les racines de ce mal. Au départ, on croit qu’un homme est violent parce qu’il est alcoolique, on lui donne des excuses, sans remonter aux sources du problème. En parlant avec d’autres femmes de l’association, en leur posant des tonnes de questions, je me suis rendu compte qu’à la source, il y a les inégalités homme-femme, le patriarcat qui domine encore nos sociétés, entre autres choses. J’ai aussi compris que c’est la façon dont ma mère, d’origine congolaise, avait été éduquée avec l’idée du “Blanc sauveur”, venant du colon au Congo, qui expliquait en partie ce qu’elle a traversé.
“Mon processus de guérison est surtout passé par ma foi.” Cindy Bruna
Le racisme dont faisait preuve votre ex-beau-père envers votre mère, votre sœur et vous, en aviez-vous conscience quand vous viviez sous le même toit ?
Pas vraiment, car je n’étais pas formée, éduquée à certaines questions. On peut subir le racisme sans le comprendre tout à fait. Je n’avais pas conscience, plus jeune, d’être différente. En grandissant, en allant vers l’adolescence, j’ai commencé à réaliser tout ça et je savais que quand mon beau-père employait ce mot horrible [on apprend dans le livre qu’il la qualifie de “négresse”, ndr], ce n’était pas normal. Je sentais un inconfort profond. C’est un peu comme lorsqu’on fait mine de rire en entendant une blague limite, tout en étant gêné. Ce sont des micro-agressions qu’on apprend à encaisser jusqu’au jour où l’on se rend compte qu’elles nous blessent. En devenant une femme, je me suis dit : “Non, ce n’est pas normal qu’à mon premier casting, je sois discriminée à cause de ma couleur de peau. Et qu’on me le signale dans un racisme décomplexé.”
Vous parlez dans ce livre de votre foi. Est-ce elle qui vous a aidée à supporter ce qui se passait ? Avez-vous fait une thérapie ?
Pour l’instant, je n’ai pas encore fait de thérapie. Je le ferai peut-être un jour. En tout cas, ce n’est pas quelque chose que j’écarte totalement. Mais mon processus de guérison est surtout passé par ma foi. Je me suis sentie accompagnée et protégée par elle. Mon refuge, après les cours, c’était d’aller à l’aumônerie qui se trouvait près de mon école. Cela m’a élevée.
“Il y a un avant et un après #MeToo.” Cindy Bruna
Pensez-vous que la mode, qui incarne le glamour, était un moyen d’oublier votre passé marqué par la violence ?
Non, ce n’est pas lié. La mode est quelque chose qui est arrivé car j’ai été repérée [à l’âge de 16 ans, sur une plage de Saint-Raphaël par Dominique Savri, qui est ensuite devenue son agent, ndr]. C’est une opportunité qui est venue à moi alors que je ne pensais pas que c’était possible d’en faire un métier [Cindy Bruna voulait devenir experte-comptable, adolescente, ndr]. Je n’y avais jamais pensé avant. Je n’osais même pas en rêver. J’ai commencé à rêver seulement une fois que j’avais intégré l’industrie de la mode.
Pendant longtemps les mannequins se sont tues. Puis, des femmes comme Naomi Campbell ont évoqué le racisme, et d’autres, comme Ashley Graham, ont dénoncé le manque de diversité dans la mode. Pensez-vous que les choses ont changé ?
Oui, les choses ont beaucoup évolué. Il y a notamment un avant et un après #MeToo. Ce mouvement a énormément aidé les femmes car on s’est rendu compte que, quand l’une d’entre nous parle, cela permet à une autre de le faire. Une chaîne de parole se crée. Parce que des femmes ont partagé leurs histoires, ça m’a donné le courage de parler de mon côté de ce qui se passait à la maison. Je me souviens m’être retrouvée en face d’une femme américaine prénommée Yolanda, via le réseau Solidarité Femmes, qui m’a raconté son récit fait de violences. Elle m’a donné la force de me confier à mon tour. Et après moi, d’autres, je l’espère, parleront parce qu’elles m’ont entendue. C’est la même chose pour le racisme. Une première femme va prendre le risque de dénoncer une situation, en prenant le risque d’affronter de mauvaises réactions, puis une autre va la suivre, puis dix autres. Et, face à cette solidarité, plus personne ne pourra se taire.
“Lors d’une séance de dédicace à la Fnac, à Paris, une femme encore très blessée, m’a parlé de son histoire. Nous avons pleuré ensemble.” Cindy Bruna
Quels ont été les retours à la sortie du livre ?
J’ai reçu beaucoup de témoignages de bienveillance. Je ne m’attendais pas à de tels retours. J’ai eu des tas de messages de femmes victimes, mais aussi d’hommes et d’ex-enfants co-victimes. Ils me racontent leurs histoires, me disent que mes mots les ont aidés. Lors d’une séance de dédicace à la Fnac, à Paris, une femme encore très blessée, m’a parlé de son histoire. Nous avons pleuré ensemble, nous sommes prises dans les bras et cela nous a fait du bien à toutes les deux. Nos histoires se faisaient écho. C’était un moment précieux. Une femme avec qui je travaille m’a raconté que le livre lui avait donné la force de pardonner. Un ami proche, qui a été co-victime de violences, s’est livré à moi. Rien que le fait qu’il se sente libre et assez en sécurité pour prendre la parole m’a émue. C’est déjà une victoire pour moi, et cela valide le fait que j’aie finalement décidé de me confier. Ça veut dire que j’ai pris la bonne décision. Ça a aussi libéré ma famille d’un tabou, du silence. Et je me sens plus apaisée.
Votre ex-beau-père, contre lequel votre mère a porté plainte et qui a été condamné, a-t-il lu le livre ?
Honnêtement, ça ne m’intéresse pas du tout de le savoir. Je n’ai pas de contact avec lui et n’essaie pas d’en avoir. D’ailleurs, je n’ai pas écrit ce livre pour lui, ni contre lui. Je défend une cause, mais je n’attaque pas. C’est un combat contre les violences conjugales, pas contre un homme. Je ne suis pas dans une démarche de vengeance. Au contraire, j’ai fait la paix avec ce qui nous est arrivé. Dans le livre, j’ai d’ailleurs essayé d’être la plus juste possible concernant les faits. J’ai un frère, – le fils de cet homme –, que j’aime, et je n’ai pas envie de le blesser.
“Pour moi, l’amour ne peut pas être toxique. Sa définition, son essence, est d’être quelque chose de pur et de beau.” Cindy Bruna
À la fin de votre ouvrage, on peut lire cette belle citation de l’universitaire, militante, et théoricienne américaine du black feminism bell hooks [dont le nom s’écrit tout en minuscules, ndr] : “L’amour est un acte, pas seulement un sentiment.” Est-ce que le message le plus important à retenir de ce livre, c’est qu’il faut redéfinir ce qu’est l’amour ?
Complètement. Pour moi, l’amour ne peut pas être toxique. Sa définition, son essence, est d’être quelque chose de pur et de beau. Il n’y a pas de véritable amour toxique. Il y a des hommes et des femmes toxiques, en amitié ou dans le travail, par exemple. Mais la relation toxique n’est pas de l’amour. Il est important de redéfinir l’amour comme un ensemble d’actes bienveillants envers l’autre. C’est essentiel pour que des femmes ne pensent pas que la jalousie et la possessivité sont des preuves de ce sentiment. On a tendance à croire que l’amour implique quelque chose de passionnel, de violent, de l’ordre de la possession. Sauf que l’amour ne tue pas.
En tant qu’ambassadrice du réseau d’associations Solidarité Femmes, que conseillez-vous à quelqu’un qui assiste à des violences ou en est victime ?
Il faut connaître le 3919, qui est une ligne d’écoute nationale ouverte 24h sur 24, 7 jours sur 7 et anonyme. Elle est tenue par des professionnels qui connaissent bien les craintes des femmes et se trouvent dans tout le territoire français, donc au plus proche des victimes. On peut demander une protection, des conseils, notamment juridiques, un endroit où aller. On est à la fois écouté et accompagné. Les personnes des associations sont ensuite capables de loger les victimes, tout en prenant en compte, avec patience, qu’il existe souvent des mouvements de va-et-vient entre le foyer de l’agressé et les hébergements d’urgence. Il ne faut jamais oublier que face aux violences, il faut se choisir et fuir. Mais il est également important de ne pas culpabiliser et juger les victimes, de comprendre qu’il n’est pas si facile de partir, de porter plainte, de divorcer.
Dans la foi, les notions de guérison et de pardon sont primordiales. C’est encore un peu tôt, peut-être, pour évoquer ces notions, mais y-a-il déjà chez vous un début de guérison et de pardon ?
Ce livre constitue clairement un début de guérison et de pardon. En même temps, j’ai peur d’utiliser le mot « pardon », car je ne me veux pas me mentir à moi-même. Ce que je sais, c’est qu’aujourd’hui, je ne veux pas de mal à cet homme. Je prie même pour lui.
Le jour où j’ai arrêté d’avoir peur (2022) de Cindy Bruna (éditions Harper Collins), disponible en librairie. Prosper de Yohann Gloaguen, avec Cindy Bruna et Jean-Pascal Zadi, actuellement au cinéma.