Rencontre avec Area, le duo qui électrise la mode new-yorkaise
D’une première collection printemps-été 2016 glamour et disco-glam, à des créations couture présentée en mars 2021, le label new-yorkais Area se distingue par un parcours étonnant où se croise artistes tchèques et couturiers français. Numéro a interviewé Beckett Fogg et Piotrek Panszczyk, les deux fondateurs du label finaliste du Grand prix de l’ANDAM 2021.
Par Léa Zetlaoui.
Inspiré du nom d’une boîte de nuit new-yorkaise qui connut ses heures de gloire dans les années 80, Area cultive dès sa première collection printemps-été 2016 (présentée en septembre 2015), un goût pour le glamour et le disco-glam, à coups de combi moulantes en lurex et de looks pastel gourmands. Au fur et à mesure des saisons, le label fondé par Beckett Fogg et Piotrek Panszczyk ( ex-étudiants de la Parsons school of design à New York, s’illustre par des défilés performance où se succèdent des silhouettes toujours plus clinquantes et rétro futuristes mais qui gagnent en maturité et en signification. Pour le printemps été 2019, on retiendra des chemises blanches impeccables et pantalons droits colorés et mini robes sobres d’égayent de parures et accessoires en référence à l’artiste et créatrice de jouets tchèque Libuše Niklová. La saison suivante, ils puisent dans l’héritage sixties et space age d’André Courrèges tandis que pour l’été 2020, le tailoring de Monsieur Dior et l’excellence de la coupe de Balenciaga se ressentent dans des créations sculpturales où les parures et ornements se pensent comme des composantes essentielles du vestiaire Area. La collection automne-hiver 2020 marque un véritable tournant pour le label. Tout d’abord, parce que les bijoux corporels deviennent des vêtements aux constructions très élaborées, mais aussi parce que les vêtements mélangent de nombreuses techniques et savoir-faire, qui témoignent de la volonté des créateurs de mettre en lumière différentes cultures. Quelques mois plus tard, en mars 2021 Area présentait finalement sa première collection de haute couture. alors qu’Area figure parmi les finalistes de l’ANDAM 2021, Numéro a interviewé Beckett Fogg et Piotrek Panszczyk.
NUMÉRO : En 2014, lorsque vous avez lancé Area, vous étiez l’un des rares labels à proposer des créations glamour et de ludiques, d’où vient toute cette fantaisie ?
AREA : En fait, nous trouvions qu’il y avait un vrai décalage entre la créativité qui existe à la source d’une collection et le vêtement final. La mode était traitée comme un objet marketing où le produit final destiné au consommateur avait perdu sa fantaisie initiale. Un vêtement nous attire quand il joue avec nos sens… il s’agir de la sensation visuelle que procure une couleur ou une texture comme de l’effet produit par un tissu luxueux ou des strass froids sur la peau.
Vous enrichissez chacune de vos collections d’un véritable propos anthropologique. D’où vient cette conscience et pourquoi la lier à vos créations ?
La mode est liée à l’humanité et à la culture, à l’idée de glamour comme à nos aspirations. Nous pensons que la mode a le pouvoir de mettre en valeur la personnalité et de renforcer la confiance en soi. Non seulement d’un point de vue matériel, mais aussi émotionnel : elle peut susciter des émotions très fortes. Mais nous pensons aussi croyons que ce sentiment devrait pouvoir être partagé par tout le monde. Depuis trop longtemps, la mode construit un discours normatif qui définit à quoi doit ressembler une personne à la mode, et qui fait preuve, selon nous, d’étroitesse d’esprit. Nous voulons, au contraire, que la haute couture puisse être appréciée par tout le monde.
Justement, en mars 2021, vous avez présenté votre première collection de haute couture. Qu’est-ce qui vous a séduit dans cette approche plus artisanale que le prêt-à-porter?
Dès notre première collection, nous ressentions déjà un lien très fort avec l’artisanat et la couture, qui n’a fait que s’intensifier et se complexifier au fil des saisons. Nous avons énormément appris, et j’ai l’impression que nous nous préparions depuis toujours à présenter, un jour, notre art dans sa forme la plus pure. C’est une façon plus concentrée de délivrer notre message.
Pourquoi avoir attendu cette année ?
En nous replongeant dans nos précédentes collections durant les confinements, nous avons constaté que, dans un seul défilé, nous regroupions trop de sous-collections – pré-collection, prêt-à-porter, et aussi pièces plus sophistiquées et artisanales, souvent réclamées par la suite, car très fortes. Or travailler simultanément du prêt-à-porter et de la couture est très difficile, car le processus de fabrication est complètement différent, et surtout, cela crée dans l’esprit de nos consommateurs une confusion entre toutes nos collections. Pour clarifier notre propos, nous avons donc décidé de diviser notre prêt-à-porter en quatre collections, et de présenter une ligne dédiée à la couture.
Ces deux dernières années, beaucoup de vos créations, conçues en 3D, ressemblent davantage à des sculptures qu’à des vêtements.
Beaucoup de nos pièces récentes s’apparentent en effet à des sculptures par deux aspects. D’abord parce que nous aimons jouer avec l’idée de mouvement et donner l’impression de drapé et de souplesse grâce à des motifs, des illustrations et des broderies. Ensuite, parce que nous travaillons énormément sur la structure de nos pièces. Nous étudions les constructions issues de la couture classique, par exemple la manière dont les robes de bal sont fabriquées, et nous cherchons des alternatives nouvelles afin de créer des formes inédites. Par exemple, nous allons évoquer le relief des plumes et de la fourrure, mais au lieu d’utiliser ces matières, nous allons les remplacer par des couches de cristaux entrelacées qui créeront le même effet visuel… . On peut vraiment parler d’ingénierie puisqu’il s’agit ici, quasiment, de sculpter les pièces couche par couche.
Les bijoux de corps en cristal ont une place très importante dans votre collection… quel sens ont-ils pour vous?
Ce qui est beau avec le cristal, c’est qu’il s’agit d’une matière modulable qui peut devenir n’importe quoi, selon la forme sous laquelle il est utilisé. Chaque saison, nous essayons de le retravailler d’une façon innovante. Ce qui nous intéresse par-dessus tout, c’est de fabriquer des objets ou des vêtements en cristal qui n’ont jamais existé auparavant.
Quelles sont les créations emblématiques d’Area ?
Quand on regarde notre travail au fil des années, on retrouve quelques pièces signature comme des ensembles blazer-jupe avec de longues franges en cristal, de spectaculaires bijoux de tête en cristal, ou des créations couture en cristal sculpté. D’une manière générale, je pense que les volumes imposants et les ornements audacieux se retrouvent dans la plupart de nos collections.