22 nov 2022

Raf Simons met fin à son label : retour sur 9 pièces cultes du créateur

Un mois après avoir présenté un défilé femme printemps-été 2023 aux airs de rave party a Londres, Raf Simons vient d’annoncer la clôture de son propre label de mode  après 26 ans d’activité. Retour sur 9 pièces cultes du créateur, figure de proue d’un renouvellement de la mode pour homme dans les années 90.

Raf Simons, hoodie “KOLLAPS”, collection printemps-été 2002. Réédition Redux.

Un mois après avoir présenté un défilé femme printemps-été 2023 aux airs de rave party a Londres, Raf Simons vient d’annoncer la clôture de son propre label après 26 ans d’activité. Figure de proue d’un renouvellement de la mode pour homme dans les années 90, le créateur anversois issu de “l’école belge” a contribue a redéfinir le vestiaire masculin puis féminin à travers sa ligne fluide et oversize à la sensualité délicate, imprégnée par la vivacité, le style et les combats d’une jeunesse engagée. Passé par la direction artistique de Jil Sander (2005-2012), de Dior collections femme (2012-2015), de Calvin Klein (2016-2018) et enfin de Prada, où il officie depuis 2020 en tant que directeur créatif aux côtés de Miuccia Prada, l’homme aujourd’hui âgé de 54 ans a assumé ces missions très diverses tout en poursuivant avec assiduité l’activité de son label fondé en 1995. L’occasion de se replonger dans sa riche carrière autant que son esprit foisonnant, nourri aussi bien par l’art et le design que l’univers du sport et de la musique à travers 9 pièces cultes, réalisées entre 1998 et 2019.

 

1. Le pull en maille “araignée” de Raf Simons : la sensualité au masculin

 

Dès son arrivée discrète dans le paysage de la mode au milieu des années 90, cela devient rapidement évident : le style Raf Simons s’affirme par une relecture du vestiaire masculin et la redéfinition d’une nouvelle élégance, en phase avec la jeunesse de l’époque, de ses transformations et de ses combats. L’ancien designer industriel le démontre rapidement par des collections affirmant la sensualité et la fluidité de l’homme bien loin des canons ‘une virilité dominante, comme en atteste ce pull “Cobweb” en laine de mohair noire, dont les mailles ajourées et asymétriques semblent imiter le motif d’une toile d’araignée. Portée sur un col roulé blanc lors du défilé automne-hiver 1998-1999, la pièce moulante épouse par sa coupe et sa construction le galbe du torse autant qu’elle y apporte une grande délicatesse. Le créateur de mode reprendra ce principe dans des collections ultérieures à travers plusieurs pulls et hoodies “filet”, construits à base de résille pour dévoiler le haut du corps.

Raf Simons, défilé automne-hiver 2001-2002, “Riot! Riot! Riot!”.

2. Le bomber camouflage de Raf Simons : un signal fort de la tendance streetwear à venir

 

Lorsque Raf Simons présente son défilé automne-hiver 2001, cela fait un an que le créateur s’est retiré du calendrier pour se consacrer à l’enseignement à l’université d’arts appliqués à Vienne. Intitulée “Riot! Riot! Riot!”, la collection qui marque son retour dans la semaine de la mode dégage un doux parfum de révolte : tout en superpositions de sweats à capuche, blousons et longs manteaux, celle-ci s’inspire du style des jeunes d’Europe de l’Est, particulièrement d’Ukraine et de Roumanie, que Raf Simons a croisés sur sa route. Porté par-dessus des manteaux et pantalons noirs, ce bomber effet camouflage couvert de patchs à l’effigie de David Bowie et du groupe Bauhaus en noir et blanc signés par son proche ami et collaborateur, l’artiste Peter De Potter, est particulièrement emblématique de leur allure, vêtement historiquement porté par des mouvements de jeunes rebelles – skinheads puis rappeurs – autant que la tendance à l’oversize du créateur belge. On peut également y identifier les prémices de l’émergence future d’une mouvance streetwear, qui se déploiera dans l’ensemble de la mode occidentale une quinzaine d’années plus tard. Porté par le chanteur Drake dans son clip Toosie Slide en 2020, ce blouson est depuis devenu une véritable pièce de collection, arboré également par les stars Rihanna ou encore Kim Kardashian. De son côté, le bomber deviendra l’une des pièces centrales du vestiaire Raf Simons, fréquemment décliné au fil de ses collections.

Raf Simons, pull “Cobweb”. Collection automne-hiver 1998-1999.

3. Le hoodie “KOLLAPS” de Raf Simons, emblème de la colère d’une nouvelle génération 

 

Sept lettres noires et lettres capitales forment le mot “KOLLAPS” sur un hoodie blanc sans manches. Cette stylisation du terme “collapse” (“effondrement”, en anglais) est à l’image de l’esprit pessimiste et révolté de la collection printemps-été 2002 de Raf Simons, où le sentiment de rébellion semble monter d’un cran par rapport aux saisons précédentes. Le visage encagoulé, les mannequins s’y succèdent dans des ensembles monochromes rouges, blancs ou noirs, jusqu’à enflammer le podium en brandissant des fumigènes colorés. Un message politique que l’on peut lire sur l’imprimé de ce hoodie, dessiné une fois de plus par le graphiste et photographe belge Peter De Potter, qui a continuer à travailler aux côtés de Raf Simons pendant des années sur la direction artistique, la publication de livres ou encore la réédition de pièces d’archives du label. “Nous sommes prêts et désireux d’allumer le feu, seulement nés trop tard” ; “Tout nous appartient, car nous sommes excités, dubitatifs, angoissés” ou encore “Levez vous ! Évasion” peut-on lire sur le devant de ce vêtement, comme l’hymne d’une génération hantée par les angoisses présentes et à venir. Comme une coïncidence, la collection a été imaginée quelques mois seulement avant les attentats du 11 septembre 2001, qui marqueront un tournant majeur dans l’histoire mondiale.

Raf Simons, défilé automne-hiver 2003-2004, “Closer”. Parka agrémentée des couvertures de Peter Saville pour l’album “Power, Corruption and Lies” de New Order. Courtesy of Raf Simons.

4. La parka New Order de Raf Simons : l’expression d’un créateur mélomane

 

 

La passion de Raf Simons pour la musique n’est un secret pour personne, particulièrement pour le punk, le rock et la new-wave du début des années 80 qui irriguent nombre de ses collections. En atteste son défilé automne-hiver 1998-1999, où le créateur belge faisait déjà se succéder une série de mannequins vêtus d’une même chemise rouge écarlate et cravate noire en hommage au célèbre uniforme des membres de Kraftwerk, groupe allemand majeur précurseur de la musique électronique. En 2003, le créateur décide de rendre hommage à deux autres de ses groupes favoris : Joy Division et New Order, emblématique du post-punk en Angleterre. En collaboration avec le graphiste et directeur artistique britannique Peter Saville, qui réalisa plusieurs de leurs pochettes d’album pour le label Factory Records, le créateur de mode belge a pu plonger dans ces archives et lui emprunter plusieurs de ces créations visuelles – comme la couverture de Power, Corruption and Lies, sorti par New Order en 1983 – pour les intégrer au dos de longues parkas en coton coupe “fishtail”, soit terminées en pointe à l’image d’une queue de poisson. L’occasion pour les deux designers de se rejoindre autour d’un terme, “interzone”, qui définira selon eux la transversalité entre les médiums artistiques. Par la suite, Peter Saville retravaillera à plusieurs reprises avec Raf Simons, réimaginant notamment le logo de Calvin Klein lors du passage du créateur belge à la direction artistique du label américain.

Raf Simons, défilé printemps-été 2003 “Consumed”. Courtesy of Raf Simons / Silver League.

5. La chemise “Consumed” de Raf Simons, pour dénoncer les dérives du capitalisme et de la mondialisation

 

 

Un visage masculin découpé de profil sur fond blanc, une partie du logo du fabricant d’appareils optiques et de photographie Canon, un crâne orné d’ailes d’anges, le visage de la mannequin des sixties Penelope Tree ou encore l’inscription caritative “Benefit for”… Voilà un aperçu non exhaustif des éléments que l’on peut retrouver floqués sur cette chemise noire dévoilée lors du défilé printemps-été 2003. Dans cette collection intitulée “Consumed”, Raf Simons dénonce les dérives d’une société mondialisée saturée par les images et les logos, s’ancrant dans l’inconscient collectif au point d’inciter naturellement à un consumérisme matériel et visuel croissant. Au-delà des vêtements, ces assemblages d’éléments disparates issus de la publicité et de la communication de masse seront même tatoués sur le torse de l’un des mannequins du défilé, comme pour marquer l’adhésion consentie de nos corps à ce système, dans lequel l’industrie de la mode joue un rôle primordial.

Raf Simons, chaussures “De Stijl”, extraites de la collection printemps-été 2008. Photo : The Salvages.

6. Les chaussures “De Stijl” de Raf Simons , rappel de son amour pour l’histoire de l’art et du design

 

 

Il est toujours bon de le rappeler : Raf Simons envisageait d’abord d’embrasser une carrière de designer industriel, suivant des études dans ce domaine à la LUCA School of Arts de Genk à l’orée des années 90. Jusqu’au jour où Linda Loppa, créatrice et directrice du département mode à la prestigieuse Académie Royale d’Anvers l’incite le jeune homme à se diriger vers le vêtement et créer son propre label. Les premières amours du créateur n’ont cessé toutefois de se refléter dans sa passion pour le mobilier et l’objet – en atteste sa collection de textile d’ameublement pour la marque Kvadrat –, mais aussi pour l’histoire de l’art et du design. Présentées dans la collection printemps-été 2008, les chaussures de randonnée “De Stijl” en sont l’exemple même, références explicites dès leur titre au mouvement artistique néerlandais éponyme fondé en 1917 : dans la lignée des peintures abstraites de Theo van Doesburg et Piet Mondrian, on retrouve sur ces accessoires où se mêlent le cuir, le plastique ou encore le liège des compositions graphiques et géométriques faites de lignes dans des couleurs élémentaires – noir, rouge, jaune, bleu et blanc. Très rare mais devenu iconique dans la carrière du créateur, notamment depuis sa représentation dans un épisode des Simpsons, le modèle a même été réédité en 2017 par le retailer The Salvages.

Raf Simons, défilé automne-hiver 2014-2015, manteau réalisé en collaboration avec l’artiste Sterling Ruby.

7. Le manteau Raf Simons x Sterling Ruby, fruit d’une rencontre artistique au long cours

 

 

En 2005, Raf Simons découvre le travail de l’artiste américain Sterling Ruby. Les deux hommes ne le savent pas encore, mais leur rencontre donnera lieu plus tard à une collaboration prolifique sur le long terme. Après une première collection capsule de pièces en denim délavé réalisée en tandem en 2009 pour Raf Simons, le créateur de mode belge à peine nommé à la direction artistique de Dior invite le plasticien à travailler avec lu  dès son premier défilé haute couture pour la maison parisienne, créant trois robes bustier aux couleurs vibrantes à base de tissus dont les fils ont été imprimés d’après des peintures de l’artiste. Mais le défilé automne-hiver 2014-2015 de Raf Simons marquera le triomphe de leur fusion artistique : du décor composé de drapeaux américains boudinés aux dizaines de vêtements dans la salle, la patte de Sterling Ruby se déploie partout au sein de ce défilé présenté à Paris. Sur les draps de laine mouchetée ou encore la maille épaisse des pulls, on voit surgir plusieurs formes abstraites et colorées ainsi que des imprimés trompe-l’œil de matières délavées ou passées à l’acide. Ce manteau est l’exemple parfait de la collaboration entre ces deux passionnés d’art, assumant la transversalité des médiums avec une référence directe aux toiles abstraites de l’Américain. Une transversalité aura également un effet sur l’artiste : en juin 2019, au Pitti Uomo de Florence, Sterling Ruby dévoilera au grand jour la première collection de son label de mode S.R. STUDIO LA. CA., alors tout juste lancé.

Raf Simons, défilé printemps-été 2017 au Pitti Uomo, Florence. Collaboration avec la Mapplethorpe Foundation.

8. La chemise Robert Mapplethorpe de Raf Simons, hommage émouvant à un maître de la photographie

 

 

Si Raf Simons n’hésite pas à développer des collaborations avec des artistes vivants, il a eu également l’occasion de travailler directement avec l’héritage d’artistes défunts. En atteste sa collection printemps été 2017 présenté à Florence lors du 90e salon de mode masculine Pitti Uomo, où le créateur a rendu hommage à un photographe majeur de la seconde moitié du 20e siècle : Robert Mapplethorpe. Pendant que le travail de l’Américain subversif disparu en 1989 était à l’époque célébré par la sortie d’un documentaire sur HBO et plusieurs expositions aux États-Unis, le Belge a pu collaborer avec la Mapplethorpe Foundation. Au fil de la quarantaine de silhouettes présentées, chacune intègre au moins un cliché de cet artiste qui a marqué son époque par ses images en noir et blanc sulfureuses, explorant de front l’érotisme homosexuel ou encore la culture BDSM. Sur cette chemise ample en popeline blanche flottant sur le corps avec légèreté, on retrouve ainsi deux autoportraits du photographe dénudé, témoignage mouvant et émouvant de son héritage encore très vivace.

Paires de sneakers adidas by Raf Simons’ RS Chrome Ozweego (2019).

9. Les adidas Ozweego Chrome de Raf Simons, illustration d’un génie de la sneaker

 

 

On connaît le talent du créateur belge pour la redéfinition de la masculinité à travers son travail de la coupe et de la silhouette. Mais il serait réducteur de se replonger dans l’héritage de Raf Simons sans évoquer l’un des domaines d’expression majeurs de son talent : la sneaker. Réinterprétée à de nombreuses reprises et avec audace au sein de ses collections, cette chaussure de sport a connu sous l’œil de l’ancien directeur artistique de Jil Sander et de Dior une évolution marquante. Lors de son défilé automne-hiver 2013, Raf Simons dévoile ses premiers modèles réalisés en collaboration avec Adidas, marquant les débuts d’une collaboration au long cours avec le label de sportswear. De nombreux modèles iconiques d’Adidas, tels que la Stan Smith et la Ozweego, seront revisités par le créateur au fil des saisons. En 2019, celui-ci propose une version “Chrome” de la seconde, où le design caractéristique du modèle créé dans les années 90 se voit recouvert à sa base par une semelle réfléchissante effet miroir, apportant une luminosité étonnante en bas du pied, tandis que la tige est déclinée en six coloris au choix – noir, blanc cassé, gris, rouge, rose pastel ou bleu roi.