5 juil 2019

Qui était Rudi Gernreich, le père de la mode unisexe?

Créateur de mode avant-gardiste, Rudi Gernreich a laissé sur les années 60 et 70 une empreinte indélébile en inventant le monokini et la toute première collection unisexe. Jusqu'au 1er septembre, le Skirball Cultural Center, centre culturel juif de Los Angeles, expose ses créations visionnaires. L'occasion de revenir sur l'héritage d'un personnage méconnu.

“Rudi Gernreich with models wearing his designs in front of Watts Towers” (c. 1965). Photograph © William Claxton, LLC, courtesy of Demont Photo Management & Fahey/Klein Gallery Management Los Angeles, with permission of the Rudi Gernreich trademark.

Son nom ne vous dit peut-être rien, pourtant son héritage est majeur. Rudi Gernreich, créateur d’origine autrichienne disparu en 1985, a marqué la mode de la deuxième moitié du XXe siècle par ses créations audacieuses, confortables et colorées, qui ont nourri les tendances vestimentaires des années 60 et 70. Avant-gardiste et engagé, il contribua considérablement à l’émancipation vestimentaire de la femme, créant pour elle des pièces fonctionnelles libérant le corps, loin des désirs masculins de sexualisation.

 

Aujourd’hui, Rudi Gernreich reste surtout connu pour être l’inventeur du monokini et l’un des premiers – si ce n’est le premier dans l’histoire de la mode – à avoir proposé dès 1970 un vestiaire unisexe, c’est-à-dire composé de pièces pouvant être portées aussi bien par les hommes que par les femmes. Jusqu’au 1er septembre, le Skirball Cultural Center, centre de la culture juive à Los Angeles, retrace le parcours de ce créateur visionnaire.

La mode par la danse

 

Né en Autriche dans une famille juive en 1922, le jeune Rudolph Gernreich connaît très tôt le deuil et l’exil : son père se suicide alors qu'il n'a que 8 ans puis, en réaction à un contexte d’antisémitisme grandissant en Autriche, il quitte le pays avec sa mère à 16 ans. À l’aube de la Seconde Guerre mondiale, il s’installe à Los Angeles, et rejoint la troupe de danseurs du chorégraphe Lester Horton dans laquelle il restera six ans. 

 

C'est par la danse que Rudi Gernreich vient au vêtement. Au Lester Horton Dance Theatre, le créateur crée de nombreux costumes pour les spectacles de la troupe, initiant une relation avec le monde du ballet qui restera très vive par la suite. En 1976, il réalisera pour la Bella Lewitzky Dance Company le célèbre “duotard”,  une combinaison "tandem" rouge reliant, tels des siamois, deux personnes par une seule jambe de pantalon. La même année, il imagine aussi la robe blanche “swan”, fabriquée dans un tissu tiré par des fils qui fige le vêtement dans son mouvement.

“Peggy Moffitt modeling the topless swimsuit designed by Rudi Gernreich” (1964). Photograph © William Claxton, LLC, courtesy of Demont Photo Management & Fahey/Klein Gallery Management Los Angeles, with permission of the Rudi Gernreich trademark.

Un créateur engagé

 

Après avoir travaillé, entre autres, aux côtés de la créatrice de costumes Edith Head ou encore de l’entrepreneuse de mode Hattie Carnegie, Rudi Gernreich commence à produire pour l’entreprise de l’Autrichien Walter Bass tout en créant ses propres pièces en freelance. En 1960, à Los Angeles, il lance son propre label, G.R. Designs, qui établit sa notoriété grâce à ses créations en maille et ses propositions plus expérimentales. Cherchant à briser les tabous autour la nudité, il produit en 1964 le tout premier monokini, un maillot de bain composé d’une culotte reliée aux épaules par de fines bretelles. Dévoilant la poitrine, l'objet fait immédiatement scandale, considéré comme obscène.

 

Rudi Gernreich exprime un véritable féminisme vestimentaire, allant jusqu’à appeler certains ensembles “Marlene Dietrich” ou “George Sand”.

 

Cette création ne sera que le début d’un grand nombre de pièces destinées à rendre le quotidien des femmes plus supportable en libérant leur corps : soutiens-gorge sans baleines, maillots de bain tricotés dénués de structures solides, robes amples et extensibles, chaussures plates… Rudi Gernreich exprime un véritable féminisme vestimentaire, allant jusqu’à appeler certains ensembles “Marlene Dietrich” ou “George Sand”. Militant pour la désexualisation du corps féminin et l’égalité des sexes, il fut aussi l’un des deux membres fondateurs de la Mattachine Society, l’une des premières organisations mobilisée en faveur des droits LGBT aux États-Unis. Son engagement pour la paix et la tolérance se prolongera d'ailleurs au début des années 1970, lorsque le créateur mettra en scène des mannequins portant des armes et des tenues inspirées par l’uniforme militaire pour dénoncer la guerre du Vietnam.

La révolution unisexe

 

Mais c’est en 1970 que Rudi Gernreich signe le coup de maître qui inspirera des générations de créateurs : sa collection unisexe. Pour la première fois dans l’histoire de la mode, un couturier propose des pièces interchangeables, pouvant être portées aussi bien par les hommes que par les femmes. Si Coco Chanel avait popularisé dès les années 20 le port du pantalon par les femmes et Yves Saint Laurent créé en 1966 le smoking féminin, le projet de Gernreich est encore différent : dans sa collection, le vêtement n’a plus de genre.

 

“Le futur impliquera  l’unisexe : les hommes porteront des jupes et les femmes porteront des pantalons.”

 

Ses combinaisons à col roulé en tricot et ses caftans en soie ornés d’imprimés aux couleurs vives s’adaptent à toutes les morphologies, témoignant d’un regard définitivement avant-gardiste sur le corps humain et ses multiples variations – de hauteur, de largeur, de sexe… Un statement créatif qui lui vaudra, bien après sa mort en 1985, d’être encore considéré comme l’un des pères du vêtement non genré. En 1971, Rudi Gernreich proclamait : “Le futur impliquera l’unisexe : les hommes porteront des jupes et les femmes porteront des pantalons.” Le créateur ne croyait pas si bien dire.
 

Exposition Fearless Fashion: Rudi Gernreich,
jusqu’au 1er septembre au Skirbal Cultural Center,
Los Angeles.

“Rudi Gernreich fashions at the Wiltern” (1985). Photo Collection, Los Angeles Public Library.