Qui est Robert Wun, le créateur prodige qui a enchanté la semaine de la haute couture ?
Sombres et flamboyantes, les créations de Robert Wun séduisent aussi bien Beyoncé que Björk et Cardi B. Jeudi 25 janvier dernier, le jeune prodige hongkongais enchantait la semaine de la haute couture avec son défilé printemps-été 2024.
Par Matthieu Jacquet.
Un défilé acclamé au Palais de Tokyo pour le printemps-été 2024
Jeudi 25 janvier 2024. Nous sommes l’ultime jour de la semaine de la haute couture à Paris et une salle du vaste Palais de Tokyo revêt un habit rouge. Pour son nouveau défilé, Robert Wun annonce – littéralement – la couleur : la collection sera à l’image de la teinte écarlate puissante qui enveloppe le podium, allégorie du sang comme de la passion amoureuse. D’une démarche lente et gracieuse, la première mannequin laisse apprécier tout le détail de sa robe noire moulante, parsemée de centaines de perles qui scintillent comme des gouttes de pluie dans la nuit, éclairées par la lune. L’étonnement devant tant de sophistication et de technicité ne fera que croître avec les vingt-trois silhouettes suivantes. Sur certaines, les bustiers, gants, voiles et jupes transparentes se voient maculés de taches noires ou colorées – telles des toiles sur lesquelles on aurait lancé la peinture –, d’écritures brodées, ou encore d’un imprimé flammes. Dans d’autres, des jupes boutonnées ou zippées jusqu’en bas se ferment sur les jambes de la même manière qu’une veste, pendant que leurs rabats dessinent à la taille un col de chemise géant. Autour de quelques ensembles, de somptueux taffetas bleu électrique, blanc immaculé ou rouge vif se déploient en corolle ; tandis que sur d’autres silhouettes, des satins de soie enserrent les corps avec sensualité grâce à un habile travail de drapé.
Une collection d’accessoires aux accents dramatiques complète ces suprenantes et théâtrales panoplies, des immenses chapeaux-parapluie qui protègent la tête aux lunettes de soleil papillon dont les extrémités en pointe s’allongent bien loin des yeux, en passant les mains en plastique qui encadrent quelques visages, donnant naissance à de véritables tableaux surréalistes. L’humour teinté d’onirisme de Dalí n’est pas loin, le futurisme sombre de Ridley Scott non plus. En attestent les quatre derniers ensembles : vêtues de robes aux nombreux détails, entre bustier pointu, basques plissées en accordéon, jupe corsetée, visage casqué et manches volantes harnachées au dos, deux femmes s’avancent, comme des guerrières ou les antagonistes d’un récit de science-fiction ; avant qu’une une mariée au voile et à la robe couverts de perles rouges, elle, semble émerger d’un récit sanguinolent. Enveloppée de rouge jusqu’aux cheveux, la dernière modèle se voit surmontée au dos d’un mannequin sans visage, tel un esprit frappeur qui semble faire – ou défaire – sa robe en direct. L’image a tout pour être virale. Sans nul doute, le jeune créateur londonien a réussi son coup.
Robert Wun, un créateur qui habille Beyoncé et Céline Dion
Robert Wun n’est pas de ces créateurs qui aiment se montrer, ou dont on croise le visage partout dans les événements mondains qui rythmes les semaines de la mode. Malgré cette discrétion, le nom du trentenaire originaire de Hong Kong est aujourd’hui bien connu des stars : depuis quelques années, ses pièces foulent les tapis rouges, arborées par Cardi B ou Billy Porter, ou les scènes des plus grandes salles de concert, portées par par Beyoncé, Céline Dion, Lady Gaga ou encore Björk – autant d’artistes qui incarnent à leur manière sa vision avant-gardiste. En 2015, le créateur imaginait déjà un costume pour le personnage d’Effie Trinket dans le dernier volet de la saga Hunger Games, puis, l’année suivante, habillait les danseurs du ballet royal britannique. En 2022, il remportait le prix Spécial de l’ANDAM, prestigieuse récompense pour les talents prometteurs de la mode. En janvier 2023, son label était invité à défiler dans le calendrier très exclusif de la haute couture, le même jour que les maisons Mugler et Fendi, devenant alors le premier designer hongkongais à bénéficier de ce privilège.
Une consécration pour celui qui, dès son adolescence, s’amusait à customiser ses propres vêtements. Diplômé du London College of Fashion en 2012, le créateur démontrait dès sa collection de fin d’études son goût pour les proportions extrêmes, le plissage et le fronçage, les ensembles monochromes – en l’occurence noirs ou blancs – et les lignes pures, mais aussi pour les accessoires excentriques – bottines ultra compensées aux tiges pointant vers le haut – et une direction artistique déjà très léchée, qui convergeaient déjà vers l’extravagance douce et poétique qui caractérise désormais ses créations. Fondateur de son propre label en 2014, après deux ans à travailler en freelance, le créateur ne cesse d’y infuser son goût pour le cinéma fantastique et horrifique, de Princesse Mononoké à Ça en passant par les classiques Blade Runner et Matrix, incontournables références des créateurs millennials, dont les atmosphères imbibent ses pièces à la fois sombres et flamboyantes taillées pour des personnages de science-fiction. Devant ses collections, on pense également aux créations sensationnelles d’Eiko Ishioka, costumière du Dracula de Coppola (1992) et des films The Cell et The Fall, ou encore, devant la mariée sanguinolente du dernier défilé, scène finale culte de Carrie (1976) de Brian de Palma. Une cinéphilie qui n’empêche pas le créateur basé dans l’East London de livrer des références plus intimes : captivant éventail de couleurs vives, sa collection automne-hiver 2021 rendait ainsi hommage à sa grand-mère avec des pièces conçues d’après ses oiseaux favoris.
Depuis ses débuts, Robert Wun défend en effet une mode aux confins du vêtement et du costume dont la force dramatique n’est pas sans rappeler celle de certains de ses aînés, du glamour offensif de Thierry Mugler à l’opulence théâtrale de John Galliano pour Dior. Comme beaucoup de passionnés de mode de sa génération, toutefois, c’est surtout dans la lignée d’Alexander McQueen que le trentenaire semble s’installer. Teintées du même romantisme macabre, certaines pièces du dernier défilé, comme les chapeaux parapluie, les silhouettes exagérées, et la prédominance du rouge, du noir et du blanc, trouveraient d’ailleurs tout à fait leur place dans collections “l’enfant terrible de la mode britannique”, notamment la fameuse The Horn of Plenty (automne-hiver 2009-2010). L’excentrisme et le raffinement des pièces contrecarrent les exigences de l’industrie de la mode : après la pandémie, le créateur repense son business model et arrête le prêt-à-porter en 2022 pour se concentrer sur le sur-mesure.
Des principes stylistiques forts
Plutôt que définir une thématique différente chaque saison, Robert Wun semble dérouler une grande collection évolutive qui s’enrichit de nouveaux chapitres au fil des années. Une continuité qui repose sur des principes techniques et stylistiques forts : le travail du volume, d’abord, où les proportions des épaules et des hanches s’accentuent grâce à des matériaux rigides, les silhouettes s’allongent avec de longues traines, et des formes tonnantes peuvent apparaître, à l’instar des fleurs créées par des morceaux de tissus découpés comme des pétales géants, puis assemblés au centre de la poitrine dans la collection automne-hiver 2020-2021. La superposition, ensuite : les perfectos se portent au-dessus de surchemises et de chemises, les basques des hauts couvrent les jupes, qui elles-mêmes couvrent les longs pantalons, tandis que les jeans se dédoublent dans des guêtres, également en denim.
Mais aussi le détournement ingénieux des basiques du vestiaire : les chemises, vestes tailleur et manteaux sont étirés pour se raccrocher à la taille et former des corolles ; les hoodies deviennent crop pour dévoiler le buste ; l’ajout de coutures fait des joggings de véritables pantalons de costume affûtés ; tandis que les laçages des corsets s’invitent le long des jambes, et les sangles autour du buste… Digne héritier d’Issey Miyake, le créateur a également fait des plissés l’une de ses signatures, contrebalançant la structure des vestes avec des pantalons amples ou des manches qui donnent au mouvement une élégance aérienne, tandis que le matelassage, le fronçage et le drapé créent par ailleurs d’autres jeux de textures et de lumière. Le tout dans des camaïeux de couleurs, parfois vives – bleu roi, vert émeraude, jaune paille –, qui provoquent une véritable vibration visuelle.
La haute couture à Paris, ou la consécration d’un designer de talent
Un riche arsenal que le créateur met à profit avec son défilé haute couture printemps-été 2023 l’an passé. À l’hôtel d’Evreux sur la place Vendôme, haut-lieu historique de la mode et du luxe, Robert Wun remplit son contrat avec vingt-et-une silhouettes mettant à l’honneur le travail de la main. Des milliers de cristaux Swarovski sont brodés un par un sur des pièces — l’un des ensembles demandera plus de 600 heures de travail – pendant que d’autres, plus imposants, forment une coiffe autour du visage, des fils de lurex pendent des cols, parsemés de perles bleues ou blanches, d’immenses plumes de faisan noires bordent les épaules d’une mini-robes, avant que l’ensemble final ne dévoile un large manteau en taffetas noir, orné de plumes de coques blanches fixées sur des tiges imprimées en 3D. Grâce à l’ANDAM, le créateur a pu bénéficier du mentorat de Bruno Pavlovsky, président des activités mode de la maison Chanel, et des précieux savoir-faire des maisons du 19M. Et le résultat est là.
Baptisée “Fear”, cette collection dévoile également une robe de mariée blanche en organza perforée de trous aux airs de brûlures. Une référence à la fameuse collection automne 2016 de Moschino, et ses robes cramoisies tout droit sortie d’un incendie ? Le mystère reste entier. Un an plus tard, toutefois, difficile de ne pas voir cette tenue comme l’annonciatrice de la robe sanguinolente dévoilée jeudi dernier. Mais à l’angoisse suggére par le titre du défilé printemps-été 2023, Robert Wun répond pour le printemps-été 2024 avec une collection emplie d’espoir, intitulée “For Love”. Jadis brûlée, aujourd’hui ensanglantée, la mariée – grand leitmotiv des défilés couture – s’y montre alors plus déterminée et puissante que jamais.