Qui est Luca Magliano, co-lauréat du Prix Karl Lagerfeld 2023 et créateur d’une mode queer italienne ?
Avec son label Magliano, Luca Magliano propose des collections au design minimaliste pour hommes, inspirées de la culture populaire de Bologne, sa ville natale et largement influencées par le cinéma italien, qui l’émeut depuis son plus jeune âge. Numéro est allé à sa rencontre.
propos recueillis par Nathan Merchadier.
Magliano, une nouvelle mode italienne masculine queer et italienne
Libertaire, queer et éminemment italienne, c’est par ces termes que Luca Magliano décrit les inspirations de ses créations lors de notre rencontre. En découvrant les collections qu’il présente depuis la création de son label Magliano, c’est surtout cet aspect libertaire qui nous saute aux yeux. Dans la coupe de ses vêtements – souvent très ample et déconstruite -, dans leurs couleurs (du sable au gris en passant par le kaki) et jusqu’à sa manière de les mettre en scène lors de ses défilés (dans des lieux underground et souvent oubliés). Une manière de créer que Luca Magliano a acquis en se formant directement dans l’un des nombreux ateliers spécialisés dans la technique de la maille dans la région rurale de l’Emilie-Romagne. Depuis, il ne cesse de réinventer, au fil des saisons, un vestiaire masculin minimaliste et parfois inspiré d’œuvres cinématographiques italiennes auxquelles il est très attaché. Et s’il cite parmi ses créateurs fétiches, Franco Moschino (le créateur du label Moschino) pour son ironie et son sens de l’humour, rien ne semble s’inscrire dans la tradition d’une mode italienne glamour et flamboyante à la Versace et Dolce & Gabbana. Lorsqu’il arrive parmi les neufs finalistes de l’édition 2023 du prix LVMH (la compétition qui récompense depuis 2013 les jeunes créateurs de mode) Luca Magliano déborde de joie, mais garde néanmoins la tête sur les épaules. À quelques semaines de l’annonce du nom du vainqueur du prix LVMH, rencontre avec le créateur italien Luca Magliano.
Interview de Luca Magliano, créateur italien finaliste du prix LMVH 2023
Numéro : Quand et pourquoi avez-vous créé votre label Magliano ?
Luca Magliano : J’ai commencé Magliano il y a cinq ans, en 2017. J’avais environ 30 ans, j’avais de bon contacts dans la production car j’avais travaillé dans ce milieu-là plus jeune (ndlr, un stage auprès du créateur Alessandro Dell’Acqua). La région de Bologne est par ailleurs très réputée pour ses manufactures de vêtements. J’ai commencé à faire des vêtements comme une simple expérience, mais lorsque j’ai commencé à créer pour moi-même, j’ai beaucoup aimé ça et je me suis dit que c’était peut-être le bon moment pour commencer quelque chose. Aujourd’hui, avec Magliano, nous avons déjà créer une petite histoire. Et saisons après saisons, nous voilà ici, en finale du prix LVMH !
Quel est votre premier souvenir lié à la mode ?
J’ai toujours été attiré par les vêtements. Je me souviens que quand j’étais jeune, ma soeur m’avait aidé à confectionner une queue de sirène avec quelques serviettes.
Quels créateurs de mode vous inspirent ?
J’adore regarder le travail d’autres designers, mais le tout premier à m’inspirer a été Franco Moschino. Il n’a pas eu besoin de créer des vêtements d’une complexité incroyable pour me séduire. J’aime son ironie et son sens de l’humour, sa sorte d’approche intellectuelle du vêtement, mais assez déconstruite et très populaire.
Comment définiriez-vous votre label en quelques mots ?
Prêt-à-porter. C’est un mot français d’ailleurs (rires) mais pour moi, c’est très important. Un autre terme central pour comprendre notre marque pourrait être l’Italie : dans le goût, dans les coupes et les couleurs, dans ce désir de proposer des vêtements comme un moyen de célébrer. Je pense aussi pouvoir dire qu’il y a quelque chose d’étrange dans nos créations, quelque chose d’imparfait et de parfois surprenant. Enfin, il y a une esthétique Queer dans nos collections.
“J’ai grandi dans une communauté gay et toutes les personnes qui m’entouraient m’ont appris que “trash” était un langage de rébellion” – Luca Magliano
Vous parlez souvent de votre amour pour la maille. D’où cela est-il venu ?
La région dans laquelle j’ai grandi est pleine d’ateliers qui travaillent la maille. La première chose que j’ai fait en tant que créateur de mode était donc autour de cela. Aujourd’hui, dans la plupart des industries, ces méthodes de créations de vêtements sont faites par des femmes qui ont commencé à faire cela très jeune pour devenir indépendantes. Quand elles m’ont appris cette méthode de travail, elles m’ont aussi transmis leur passion pour ce métier. Je suis bien sûr tombé amoureux des matériaux et de la technique mais je suis aussi tombé amoureux de ces femmes qui m’ont enseigné l’art de la maille.
Pourquoi avoir choisi de mettre en avant des matériaux upcylés dans votre dernière collection ?
Je viens d’une région en Italie, près de Bologne, où il existe une grande tradition de ne pas gâcher, autant le domaine du textile et dans la vie en général. Depuis notre dernière collection, l’upcycling est toujours présent, pour la simple et bonne raison qu’il donne du sens à nos créations. Les matières que nous sélectionnons ont une histoire, elles portent une émotion et un message. C’est très intéressant de travailler à partir de quelque chose qu’on ne choisit pas complètement (ndlr, des matériaux deadstock), qui se glisse sur notre chemin pour faire naître quelque chose de nouveau.
D’où vient cette esthétique queer dont vous parliez, mais aussi ce goût du kitch et du trash que l’on perçoit dans vos images ?
J’ai grandi dans une communauté gay et toutes les personnes qui m’entouraient m’ont appris que “trash” était un langage de rébellion qui s’inscrivait en opposition aux codes bourgeois. C’est pour cela que j’adore les matières lourdes et que mes créations peuvent parfois avoir l’air kitch.
Vous parlez aussi fréquemment dans vos interviews d’une volonté libertaire lorsqu’on évoque vos créations. Comment cela se retrouve-t-il visuellement dans vos vêtements ?
Pour moi, une vision libertaire dans la création de mode se situe à l’opposé des règles et des conventions bourgeoises. Par exemple, nous n’utilisons jamais de Bleu Navy dans nos créations, car cela se rapproche d’une couleur bourgeoise. Elle représente un certain monde qui ne nous plaît pas.
“J’aime le cinéma car c’est la dernière chose romantique qui existe dans notre monde” – Luca Magliano
Une esthétique très cinématographique se dégage de la campagne MAGLIANORAMA que vous dévoilez en 2021. Le septième art vous inspire ?
J’aime le cinéma car c’est la dernière chose romantique qui existe dans notre monde. Tous les pays ont une histoire et une culture liée au cinéma. En Italie, c’est quelque chose de très prégnant, j’ai grandi en regardant beaucoup de films anciens et c’est un langage visuel et populaire que j’affectionne tout particulièrement. Ce n’est pas élitiste, même si vous pouvez y rencontrer la philosophie et des concepts plus éloignés de la réalité. Je ne pense pas qu’il existe un cinéma qui exclut des gens.
En 2020, vous faites défiler vos mannequins dans une salle de billard assez sombre. Les lieux de culture populaire vous inspirent beaucoup ?
Oui bien sûr. Dans cette optique, nous avons voulu mettre en avant des endroits de la ville qui sont souvent oubliés des périodes de Fashion Week à Milan, et plus globalement des gens qui ne sont pas impliqués dans le monde de la mode. Il y a beaucoup de vérité dans nos créations mais rien de réaliste, nous nous mettons souvent dans des postures de rêveurs. Les endroits dans lesquels nous organisons nos défilés sont chargés d’histoires fortes et sont porteurs d’un message qui l’est tout autant. La salle de billard dont vous me parlez est un lieu incroyable et aurait pu servir de décor pour un film.
Vous figurez aujourd’hui dans la liste des 9 finalistes du prix LVMH, est-ce une nouvelle étape importante pour votre label ?
Oui bien sûr, ce serait mentir que d’affirmer le contraire. Nous devenons plus visibles à l’international, en dehors du petit milieu en Italie où nous commençons à nous faire un nom. Mais rien n’a changé dans notre façon de travailler C’est génial !
La finale du Prix LVMH 2023 se tiendra le 7 juin prochain à la Fondation Louis Vuitton.