20 fév 2019

Première vente aux enchères mondiale de Martin Margiela chez Artcurial

À l'occasion de la première vente aux enchères entièrement dédiée au créateur culte Martin Margiela organisée – du 6 au 11 mars – par Artcurial, Numéro a rencontré Pénélope Blanckaert, directrice du département Hermès Vintage & Fashion Arts de l'illustre maison de vente parisienne.

Numéro : Est-ce la première fois que vous organisez une vente aux enchères exclusivement consacrée au créateur Martin Margiela?

Pénélope Blanckaert : Absolument. C’est même une première mondiale.

 

Pourquoi maintenant?

Il faut toujours un temps de digestion pour apprécier l’œuvre d’un créateur. En 2019, nous célébrons un double anniversaire, les 30 ans de sa maison et les 10 ans de son départ. La vente est focalisée uniquement sur la période où Martin Margiela dirigeait la création. Elle retrace les 20 ans de son travail, avec des pièces issues des premières comme des dernières collections.

 

Étiez-vous familière de son travail?

Je connaissais évidemment son travail, notamment grâce à de précédentes ventes où nous avions proposé quelques pièces, mais je le connaissais mal. Appréhender le travail de Martin Margiela n’est pas facile, car il y a deux niveaux de lecture, le deuxième étant son processus créatif lui-même. Je me suis rendu compte que sa mode est vraiment conceptuelle et cérébrale, et pas minimale comme on a déjà pu l’entendre!

 

Comment avez-vous trouvé et choisi les quelques 270 pièces qui seront proposées lors de la vente aux enchères?

Tout a commencé il y a un an et demi, lors d’un inventaire à Anvers en Belgique (ville de Martin Margiela), chez une dame très avant-gardiste. Celle-ci nous a confié une dizaine de pièces extrêmement fortes, rares et compliquées à trouver. Notamment, la robe-housse en plastique gainée de scotch (automne-hiver 1992-1993) et la veste-patron en papier indéchirable de la collection “Plat” (automne-hiver 1996-1997). Nous les avons mises de côté sans trop savoir quoi en faire, car elles étaient trop belles pour être présentées dans une vente mode classique. Puis les collectionneurs professionnels de la boutique Quidam de Revel – très grands fan de Margiela – ont commencé à se défaire de leur impressionnante collection de vêtements, pour se concentrer sur les bijoux. Après avoir eu l’idée d’une vente dédiée, Grégoire Marot, fondateur du bureau de presse Favori m’a présenté Christophe Brunnquell. Directeur artistique du magazine Purple pendant 15 ans, il a côtoyé cet univers underground et fut une véritable caution pour valider nos choix. Par ailleurs, il y a deux ans chez Artcurial Vienne, j’avais rencontré la photographe Marina Faust, grande collaboratrice de Martin Margiela, qui a accepté de me vendre des pièces. Puis, après avoir contacté Martin Margiela, j’ai reçu un appel de sa muse Kristina de Coninck, qui m’a confié 25 pièces complètement introuvables comme le sac supermarché (printemps-été 1990) ou d’autres pièces du début. En réalité, ce qui est compliqué chez les créateurs, c’est de trouver des pièces des premières collections, car il en existe peu et elles ne sont pas forcément éditées.

 

Ces collectiopnneurs n’ont-ils pas eu du mal à se séparer de ces pièces?

Si, on sent bien que ce n'était pas uniquement des vêtements pour eux.  Ça représente une époque, une aventure, ça incarne quelque chose. Pour  Kristina, on sentait qu’il y avait un attachement très intime à ces créations – d’autant qu’elle a défilé pour Margiela.

 

Comment avez-vous fait pour identifier et expertiser les pièces?

Il faut d’abord rendre hommage à Alexandre Samson, conservateur de la création contemporaine au Palais Galliera. S’il existe divers ouvrages sur le créateur, le catalogue de l’exposition Galliera [qui s'est tenue en 2018] est incontestablement l’un des meilleurs. C’est un outil formidable qui décrit collection après collection, le cheminement de sa pensée.

 

Avez-vous été en contact avec Martin Margiela?

Grâce à la directrice de la librairie Artcurial, Géraldine Martin, j’ai pu lui poser quelques questions par e-mail auxquelles il a répondu. Mais il s’agissait uniquement d’informations assez factuelles, sur la commercialisation ou des dates. En effet, Martin Margiela reprenait des pièces d’une collection à une autre, et certaines créations sont difficiles à dater.

 

Quelles sont vos pièces préférées?

J’aime beaucoup les escarpins “Fragile”. Ils font partie de la collection dite inachevée printemps-été 2006. J’ai fait l’expérience moi-même, en recouvrant des chaussures de scotch :  on rescotche à l’infini et de façon complètement hasardeuse. Celles de la vente ne sont finalement pas mieux faites. J’adore ce rapport extrêmement manuel à l'accessoire et ce détournement d'objets du quotidien. Puis en 1993, il a proposé des robes à fleurs – assez rares chez lui – construites à partir de robes des années 40 chinées aux puces. Il y a finalement une espèce de lutte entre fragilité et force dans ces pièces réassemblées entre elles. C’est assez touchant. Et puis, j'aime aussi énormément le haut fait avec sac de supermarché et son étiquette en scotch avec la date 1990, ou le collier avec le bouchon de liège.

 

Pourquoi Martin Margiela se distingue-t-il des autres créateurs?

D’abord, ce qui est génial avec Martin Margiela c’est qu’il est capable de mettre des mots sur son processus créatif, ce qui est finalement assez rare. On retrouve des problématiques liées au corps, aux volumes, aux proportions, à l’échelle des vêtements. Et cela va beaucoup plus loin : à l’époque, il a fait des choses insensées comme par exemple rééditer des pièces d’une collection à une autre. Alors que tous les créateurs cherchaient à marquer la rupture entre chacune de leurs collections, lui au contraire créait des liens. On peut citer aussi ces défilés rétrospectifs, tous les quatre ans. Il avait déjà une démarche slow fashion que l’on peut constater aujourd’hui chez des créateurs comme Alessandro Michele ou Phoebe Philo, dont le style s'inscrit dans une continuité. Il a été visionnaire et a apporté des réponses avant même que les questions soient posées.

 

Avez-vous perçu une réaction particulière à l'annonce de cette vente, au regard des précédentes?

Le nom de Martin Margiela, en effet, est très fédérateur et provoque quelque chose d’assez extraordinaire, un engouement exceptionnel. Dans le monde entier, il existe de véritables fans qui collectionnent ses pièces comme des œuvres d’art. J’ai rarement constaté ça avec d’autres maisons.

 

Pourquoi vos ventes mode sont-elles digitales?

Quand nous organisions des ventes physiques, les salles étaient vides et tout se passait sur Internet. L’aspect musée effrayait les enchérisseurs, même si les pièces proposées sont accessibles. Le digital désacralise et démocratise la vente aux enchères.

 

Comment avez-vous établi les estimations?

La cote, dans la mode, ça n’existe pas, ou alors seulement pour les sacs Chanel et Hermès, et quelques pièces Dior. Pour établir une estimation, on analyse les résultats des ventes précédentes de différentes maisons de ventes aux enchères, puis on modère. Pour cette vente, nous avons fixé des prix allant de 200 € à 5000 €, sachant que certaines créations sont introuvables, voire consistent en des prototypes qui n'ont jamais jamais estimés ou distribués.

 

Vos prix de départ sont relativement bas comparés à certains sites de dépôt-vente ou boutiques vintage.

Il faut rester réaliste, ne pas être prétentieux, satisfaire le client et attirer les enchérisseurs. Les estimations hautes effraient tout le monde. Je n’ai pas envie de faire des ventes élitistes pour des musées. J’aime bien l’idée que des jeunes femmes puissent acquérir des pièces et s’amusent avec la mode.

Vente de pièces vintage Martin Margiela chez Artcurial.

Exposition du 26 février au 6 mars 2019 : 7, rond-point des Champs-Elysées, Paris VIIIe.
Vente aux enchères, en ligne exclusivement, du 6 au 11 mars 2019 sur artcurial.com