14 oct 2019

Pourquoi la ligne “Givenchy Atelier” bouscule la mode

De la haute couture produite comme du prêt-à-porter. Voilà comment pourrait être définie la ligne Givenchy Atelier. La maison fondée il y a 67 ans propose une alternative qui semble raisonnée et bien pensée face à une industrie de la mode et du luxe, en pleine remise en question, contrainte de jongler en permanence entre la défense de son identité créative et les attentes du grand public.

1. Givenchy, de la haute couture au prêt-à-porter 

 

L’art de notre métier, tel celui du peintre, doit donner l’impression que l’œuvre s’est exprimée d’un seul jet. Le seul moyen d’y parvenir : posséder totalement la technique”, disait Hubert de Givenchy, cité dans  dans l’ouvrage “Créateurs de mode” (1999) de Pamela Golbin, ancienne conservatrice générale du musée des Arts décoratifs. Cette citation résume à elle seule l’élégance et la sobriété qui émanaient des créations aux coupes impeccables d’Hubert de Givenchy. Ce sont d’ailleurs ces robes, manteaux et autres tailleurs confortables dont émane une aura de luxe discret, qui séduiront l’actrice à la silhouette gracile, Audrey Hepburn. 

 

Si l’on prête souvent la paternité du prêt-à-porter, tel que l’on le connaît aujourd’hui, à Yves Saint Laurent en 1966, en réalité, Hubert de Givenchy lança dès 1954 une ligne plus commerciale. Baptisée “Givenchy Université” elle propose notamment la première robe-chemise, féminine et pratique. Mais c’est cependant à Yves Saint Laurent que revient l’honneur d’avoir nettement popularisé cette consommation de la mode. 

2. Clare Waight Keller, la force pas si tranquille

 

 

Chez Givenchy, la haute couture existe toujours aujourd’hui et défile au même titre que le prêt-à-porter. Et après Hubert de Givenchy, John Galliano, Alexander McQueen, Julien McDonald, Riccardo Tisci ont repris le flambeau. C’est désormais la créatrice anglaise Clare Waight Keller – nommée en mars 2017 – qui assure la direction artistique. En janvier 2018, la première femme à tenir les rênes de l’illustre maison dévoilait sa toute première collection de haute couture. 

 

Vraisemblablement moins dramatique que celles de ces prédécesseurs, la collection haute couture automne-hiver 2018 qui défilera s’impose néanmoins par la pureté de ces lignes, sa sensualité délicate et une modernité évidente qui ne sont pas sans rappeler les caractéristiques des créations du fondateur, qui décédera d’ailleurs quelques mois plus tard. À ce même défilé, Clare Waight Keller, lance la première ligne sur mesure pour homme de Givenchy. Depuis, celle qui eut l’honneur de réaliser la robe de mariée de Meghan Markle, continue de s’approprier l’héritage Givenchy en y injectant une touche de désinvolture et ce je-ne-sais-quoi de très contemporain dont elle seule a le secret. Sûrement l’expression inconsciente de ses origines tomboy britanniques. 

 

Il y a quelques semaines, lors de la Fashion Week parisienne, l’ancienne responsable du prêt-à-porter femme de Gucci sous l’ère Tom Ford (2000-2004), dévoilait sa collection printemps-été 2020, inspirée des New York et Paris de sa jeunesse, dans les années 90. Un mélange habile de minimalisme new-yorkais incarné par les business women, d’un grunge assagi par le style naturel de la Parisienne, le tout saupoudré de vestiges exubérants des eighties et agrémenté de nombreuses pièces en jeans (recyclés évidemment). En résulte un vestiaire aussi innovant qu’inattendu. Car, si jusqu’à présent la créatrice anglaise célébrait le style Givenchy, elle semble ici s’en affranchir.

3. Givenchy, du prêt-à-porter à la haute couture : le néo luxe

 

Décidément pleine de surprises, Clare Waight Keller lance aujourd’hui une toute nouvelle ligne sobrement intitulée “Givenchy Atelier”. Prenant le contre-pied de l’influence streetwear actuelle (certes toujours bien présente mais qui semble en perte de vitesse), de la saisonnalité dans la mode et de l’initiative démocratique lancée 65 ans plus tôt par le fondateur de la maison, “Givenchy Atelier” propose des pièces masculines, féminines et des accessoires qui associent un style ciselé à une réflexion haute couture et une production prêt-à-porter, pour offrir une qualité et un style pérennes. Un néo-luxe,  annoncé comme plus accessible, qui repose sur un savoir-faire remarquable et construit sur des coupes et volumes élégants, déclinés dans de belles matières, parfois agrémenté de détails précieux sans être ostentatoires. 

 

Pensée en noir et blanc, la ligne “Givenchy Atelier” condense les codes de la maison et semble non seulement célébrer l’héritage d’Hubert de Givenchy à travers ses lignes sobres et géométriques mais également ceux de ces successeurs : la théâtralité de John Galliano se décèle dans une chemise à plastron et manches bouffantes, la ligne fuselée d’un tailleur évoque les sirènes de Riccardo Tisci, la fente d’une robe longue asymétrique suggère la sensualité de Julien McDonald. Quant à l’homme, on retrouve des costumes impeccables en écho à ceux dessinés par Ozwald Boateng et des silhouettes plus streetwear, si chères à Tisci. Et c’est là tout le talent de Clare Waight Keller, que l’on percevait déjà lors de son passage chez Chloé (2011-2017) : proposer une attitude, une allure et parvenir, avec une subtilité extraordinaire, à s’approprier les codes d’une maison, les actualiser mais jamais en renier l’origine.  

 

Cette initiative rappelle, dans un sens très positif, celle de Phoebe Philo pour Celine en 2010 avec sa collection “Five Perfect Trousers” (cinq coupes idéales de pantalons féminins). Mais autres temps, autres mœurs. Dans un contexte qui prône la durabilité, l’intemporalité et la modération dans la mode, la ligne “Givenchy Atelier” s’affirme comme une manière habile de continuer à créer des collections éphémères, sans négliger d’en proposer des intemporelles. Finalement, un compromis réaliste et astucieux, qui montre que la maison Givenchy se préoccupe des enjeux de notre époque et trouve des solutions adéquats pour une industrie qui repose sur l’excellence et le rêve.

 

 

 

La collection Givenchy Atelier est disponible aux Galeries Lafayette et dans une sélection de points de vente jusqu'au 16 novembre 2019.