6 avr 2021

Pourquoi faut-il découvrir Pièces Uniques, le jeune label français qui monte ?

Fondé il y a cinq ans par le jeune créateur français Edmond Luu, le label Pièces Uniques se démarque par ses pièces unisexes aux airs d’uniformes d’une impeccable précision. Focus sur un nouveau nom de la mode, aussi discret que prometteur.

Par Matthieu Jacquet.

Portraits par Aveuglance.

Edmond Luu ne sort ni de la Central Saint Martins, ni de l’Académie d’Anvers, ni de l’Institut Français de la Mode. Pourtant, rien n’aurait pu le dissuader donner vie à son rêve : lancer son label de mode. À seulement 19 ans, le jeune Français, encore étudiant en publicité, fonde, seul, son label de vêtements unisexe. Un choix risqué mais nécessaire pour ce passionné d’image, de musique et de mode, qui lorgne depuis des années sur les sweat-shirts rottweiler de Riccardo Tisci chez Givenchy, les Perfectos et les slims signés Hedi Slimane chez Saint Laurent ou encore les chaussures Maison Margiela. “Je n’avais pas les moyens de m’offrir ces pièces, donc j’ai cherché à les transformer”, se remémore le créateur. Dès le lycée, le Francilien se met alors à acheter des vêtements en fripes, à les retaper en ajoutant ou retirant du tissu, à jouer avec les détails, ou encore à les déchirer en les passant à la ponceuse, avant de les revendre.

 

 

Un créateur précoce hors des sentiers battus

 

 

En 2016, ce sens de la débrouille et le succès de ses pièces customisées payent : ils lui permettent de réunir le pécule suffisant pour créer sa propre griffe sans emprunter les sentiers classiques de la mode. Le jeune homme met un point d’honneur à ne pas associer son nom à son label —“par crainte du mauvais œil”, précise-t-il en souriant. Il lui préfèrera plutôt Pièces Uniques, une expression française appelant plusieurs niveaux de lecture : d’abord, très littéralement, celui de proposer des créations originales qui, une fois portées, apportent à leur propriétaire ce sentiment de singularité tant recherché par les aficionados du vêtement. Ensuite, par la polysémie du terme « pièce », il ouvre le label sur d’autres univers, des “pièces” de monnaie, aux “pièces” de mobilier, en passant par les espaces intérieurs, qui reflètent tous le goût immodéré d’Edmond Luu pour le design. Enfin, le nom de son label pourrait aussi passer pour un pied-de-nez à sa propre fascination pour la création industrielle et son infinie reproductibilité, reflet d’un label qui valorise aussi bien la singularité de ses modèles que le savoir-faire des ouvriers de ses usines.

“Je ne dors pas beaucoup !” confie Edmond Luu avec humilité. On le croit bien volontiers. En plus de son poste de manager créatif à la communication média de la maison Dior, le créateur gère l’intégralité des aspects de son label, du dessin des modèles à la direction artistique des campagnes, en passant par la production des collections. Tout commence sur Photoshop et Illustrator : pendant des heures, Edmond Luu y dessine les formes de ses nouvelles créations avant de les transcrire en patrons, conseillé par des modélistes. Caractérisés par leur grande précision, ses vêtements reflètent l’attrait du designer pour les lignes droites et orthogonales, les formes géométriques et les coupes structurées, la symétrie et les détails techniques, mais aussi les demi-teintes, couleurs sobres et silhouettes monochromes. On y ressent la rigueur de la mode japonaise et l’impact conceptuel de créateurs tels que Yohji Yamamoto et Rei Kawakubo, mêlés au fonctionnalisme d’un prêt-à-porter plutôt américain, amené par exemple plus récemment par Matthew Williams dans son label Alyx et à la direction artistique de Givenchy. Sur les grands classiques du vestiaire masculin – trench, gilet ou encore jogging – le jeune homme ajoute des poches plaquées à rabat, des lignes de couture élégantes, passepoils et surpiqûres, ou encore des bandes et logos floqués. Il redessine aussi les volumes, cintrant de larges chemises et vestes à la taille, afin d’écrire un vocabulaire stylistique échappant aux écueils de la facilité commerciale. “Je savais dès le départ que je ne voulais pas être une marque de hoodies et de tee-shirts, raconte Edmond Luu. J’ai commencé par un manteau, un kimono et un bomber, et je n’ai ajouté des tee-shirts qu’au bout de trois ans d’activité !”

 

 

Le culte du détail et l’éclectisme des styles

 

 

La signature Pièces Uniques s’inscrit dans des détails emblématiques. Les cols des chemises et polos, pour la plupart, sont coupés à leur pointe. Les doublures des vestes et des manteaux sont aussi étudiées et élégantes que leur endroit, dotant souvent les pièces d’une fonction réversible. Tous les boutons en zinc argenté présents sur ses créations portent un numéro unique, et leur design imite celui des yuans, pièces de monnaie chinoises, traditionnellement trouées pour y faire passer un fil. Enfin, chaque vêtement porte le logo du label, “la clé”. Inspirée du labyrinthe édifié par le sculpteur Xavier Corberó en Catalogne, sa forme carrée dessinant un E minuscule apparaît tantôt sur la tirette des fermetures à glissière et sur les boucles de ceinture, tantôt imprimée en 3D sur divers tissus. Plus ou moins visible, de front ou de dos, elle devient alors le blason d’une communauté fictive à l’instar des quatre discrets points de couture blanche des vêtements signés Maison Margiela.



Appliqué à ne pas s’enfermer dans un seul style, Edmond Luu enrichit l’univers de Pièces Uniques en cultivant l’éclectisme. Les basiques revisités côtoient les survêtements élégants, aussi bien que les blazers et pantalons habillés ou les combinaisons et blousons techniques. Depuis un an, le label développe d’ailleurs sa production de techwear en étroite collaboration avec des usines spécialisées. Le design des pièces n’a rien à envier à leurs qualités fonctionnelles innovantes : matières protégeant du vent et de l’eau, qualité du Nylon et des cordons élastiques, jusqu’aux ouvertures laissant passer les écouteurs, tout est peaufiné jusqu’au moindre détail. En résultent des parkas et pantalons graphiques gris perle ou sable agrémentées de lignes, zips et autres formes abstraites appliquées, et dont les coupes droites et l’apparente rigidité formelle évoquent les uniformes militaires chinois, inspiration revendiquée du créateur.

Pièces Uniques, collection automne-hiver 2020-2021. © Bilal El Kadhi

L’uniforme d’une nouvelle réalité

 

 

Si Edmond Luu s’essaie désormais à la production de bagues et colliers ainsi que de sacs en cuir végan, ce n’est que pour mieux compléter sa vision créative. Cherchant, à travers ses collections, à ouvrir la porte d’“univers dans lesquels on peut vivre”, chacune de ses pièces serait ainsi l’uniforme d’un personnage de ses mondes imaginaires, “comme une armure que chacun porterait au quotidien”. Boulimique de films de science-fiction, de super-héros comme Iron-Man, de mangas comme Cowboy Bepop et d’autres séries d’animation, le créateur observe attentivement les tenues de leurs protagonistes, jusqu’à commander des reproductions de ces costumes pour s’amuser à les revisiter. En partant directement du vêtement, Edmond Luu déroule le fil de ses propres histoires, définit leur esthétique et surtout leurs formes. Pour construire certains vêtements, il a même pris son courage à deux mains afin de contacter Michael Kaplan, chef costumier des films cultes Blade Runner, Fight Club, des Batman de Christopher Nolan et des trois derniers épisodes de la saga Star Wars.

 

Contre toute attente, l’Américain a répondu à l’appel du jeune créateur et lui a même offert ses conseils pour réaliser le drapé de ses blazers asymétriques, les “Slashs”, qui rappellent aussi bien les kimonos des célèbres Jedi que les costumes conçus par Christian Dior. Déclinées dans un beige chaud, ces créations réapparaissent dans la dernière collection Pièces Uniques, qui (comme les précédentes) nous invite dans une nouvelle région du monde, voire de l’univers. “Chaque saison, je m’imagine comme devant un planisphère”, explique Edmond Luu. Ainsi, après la Lune, le Soleil, puis les cinq éléments chinois, la saison automne-hiver 2021-2022 prend place dans un paysage dépouillé et aride, où terre, mer et ciel trouvent ensemble leur équilibre. Son nom : “Between Sky and Earth”, illustration efficace d’un créateur aux pieds ancrés dans le sol, le regard portant vers l’infini.