16 mar 2023

Palais Galliera : 7 événements mode qui ont enflammé l’année 1997

Jusqu’au 16 juillet 2023, le Palais Galliera présente “1997 Fashion Big Bang”, une exposition dédiée aux grands bouleversements de la mode lors d’une année historique pour ce secteur. Arrivée d’Alexander McQueen chez Givenchy et de John Galliano chez Dior, retour en grâce de la haute couture avec Thierry Mugler, ou encore créations conceptuelles de Martin Margiela et Rei Kawakubo… Retour sur 7 moments mode qui ont marqué l’année 1997, éclairés par le commissaire de l’exposition Alexandre Samson.

1. La première collection d’Alexander McQueen chez Givenchy : des débuts clivants

 

Si le génie d’Alexander McQueen (1969-2010) a rarement été égalé, le créateur britannique n’a pas toujours fait l’unanimité. En janvier 1997, quelques mois après avoir été nommé nouveau directeur artistique de la maison Givenchy par Bernard Arnault suite au départ du fondateur, le jeune homme présente son premier défilé pour la prestigieuse maison française. Coiffes surmontées d’un aigle ou des cornes d’un buffle, robes au toucher velouté drapées sensuellement autour du corps, bustiers flamboyants couverts de plumes ou d’un imprimé python… Inspirée par les tenues antiques et dominée par l’alliance du blanc et du doré, la collection du Britannique recevra un accueil mitigé, une partie des journalistes regrettant de ne pas y trouver davantage de références à l’histoire de la maison et d’ancrage dans la tradition de la haute couture française. D’autres craignent aussi de voir chez cet “enfant terrible” rebelle et transgressif l’émergence d’une mode trop théâtrale et provocante qui risquerait, dans la lignée d’un Thierry Mugler, de s’approcher davantage du costume que du vêtement. Toutefois, une grande partie des éléments qui feront le “style McQueen” y sont déjà présents, tels le travail du corset et du tailoring, la réinterprétation voire la subversion d’éléments de l’histoire de l’art, ou encore la création de personnages hybrides et d’humains augmentés. Si la deuxième collection du jeune créateur anglais pour la maison sera plus appréciée, ce dernier quittera Givenchy en 2001 afin de s’épanouir dans son propre label où il ne cessera de surprendre avec des collections toujours plus époustouflantes. 

2. L’assassinat de Gianni Versace : la mort d’un créateur star

 

En 1997, Gianni Versace est à l’apogée de sa gloire : sa maison, créée dix-neuf ans plus tôt, a plus de succès que jamais, et a fait du quinquagénaire une figure très médiatisée du monde de la mode et de la culture. Le 15 juillet, alors que le créateur italien s’apprête à rentrer dans sa villa de Miami Beach, il est abattu froidement de deux balles à l’arrière de la tête. Les motivations de son assassin Andrew Cunanan restent encore à ce jour une énigme : le jeune tueur en série, qui n’avait alors aucune relation connue avec Gianni Versace, les a emportées dans la tombe en se suicidant huit jours après ce dernier meurtre. Bouleversées par cet événement tragique, de nombreuses personnalités publiques, de Lady Diana à Karl Lagerfeld en passant par Elton John, se rendent aux obsèques du créateur, dont le visage fera la couverture du prestigieux magazine Time deux semaines après le drame, finissant de l’ériger en icône de la pop culture.

 

Encore aujourd’hui, l’assassinat de Gianni Versace reste un grand mystère, auquel le réalisateur Ryan Murphy a même consacré en 2018 une saison de sa série d’anthologie American Crime Story. Ce décès brutal marque aussi un tournant dans l’histoire de la maison : bras droit du créateur, sa sœur Donatella Versace prend alors sa place au poste de directrice artistique, qu’elle occupe toujours, 28 ans plus tard. D’ailleurs, en regardant aujourd’hui l’ultime collection du créateur, qui avait été présentée quelques jours seulement avant sa disparition, difficile de ne pas y avoir des signes prophétiques de la tragique destinée qui l’attendait :  au fil des silhouettes, des croix latines s’invitent en broderies dorées sur le côté de robes sexy, moulantes et satinées, ou en pendentifs plus discrets autour du cou jusqu’à recouvrir, à la fin du défilé, le visage d’une mariée sous un voile. Autant de symboles étrangement annonciateurs d’un destin funeste à venir.

3. La veste Stockman de Martin Margiela : une réflexion sur le vêtement

 

À l’évocation du nom de Martin Margiela, la veste Stockman apparaît la plupart du temps comme l’une de ses pièces emblématiques. Son principe est simple : la toile de lin brut qui recouvre habituellement les mannequins de couture est décousue de son support en bois puis repiquée pour être enfilée autour d’un buste – humain, cette fois-ci. En référence aux Stockman – ces mannequins utilisés par les créateurs pour créer leurs vêtements, marqués d’un chiffre tamponné à l’encre noire (indiquant la taille qu’ils incarnent), Margiela marque également ses vestes d’un numéro de série appliqué au tampon qui permet de les distinguer. Plus qu’un coup de communication, cette idée étonnante du discret Belge ne fait qu’étayer sa réflexion déjà visionnaire : à une mode spectaculaire et glamour, le créateur oppose non sans ironie des collections radicales et dépouillées de superflu revenant à l’essence du vêtement, à l’instar de cette pièce qui ne raconte rien d’autre que les origines de sa conception.

 

Portée, la veste Stockman fusionne avec le corps, qu’elle transforme en objet standardisé et en toile vierge – à l’image du blanc, dont Margiela fait sa couleur signature, qu’il décline des blouses de ses employés jusqu’au décor de ses boutiques. Dans cette démarche tautologique du créateur, également artiste, on peut aussi déceler un clin d’œil aux ready-made et des artistes tels que Marcel Duchamp, mettant en scène des objets à l’état brut dans l’espace d’exposition afin d’interroger sur leur valeur. Martin Margiela sera si enthousiaste face à ce principe qu’il le déclinera la saison suivante, avec des pièces mêlant toile de Stockman, papier blanc de patronage tracé et découpé, et fils de bâti apparents, complétant la panoplie du couturier dans son atelier.

4. Les “lumps and bumps dresses” par Comme des Garçons : le corps transformé

 

Une jeune femme blonde, les yeux cernés de noir et la chevelure montée en chignon, regarde l’horizon. Si sa pose a tout des mannequins des grands magazines de mode, le spectateur est immédiatement frappé par sa silhouette étonnante : sous un tissu vichy noir et blanc, son épaule gauche semble remonter jusqu’à son menton tandis qu’un de ses seins paraît bien plus gros que l’autre, et descend presque au niveau du nombril. Utilisée pour annoncer l’exposition au Palais Galliera, cette photographie de 1997 met en scène ce qui restera sans doute l’une des pièces les plus importantes de la décennie, la “lumps & bumps dress” de Comme des Garçons. À l’image de cette robe, toutes celles de cette collection pensée par la créatrice Rei Kawakubo suivent un même principe : leurs matériaux souples sont doublés de tulle par endroits, générant sous le tissu des volumes étonnants et irréguliers, du haut de la poitrine aux jambes en passant par les hanches. Sur certaines, telle celle présentée sur l’affiche de l’exposition, les carreaux réguliers du vichy accentuent encore ces déformations.

 

Si la mode expérimentale et peu conventionnelle de la fondatrice du label japonais n’avait pas toujours été bien reçue en Europe par la presse et le public, notamment lors de son arrivée à Paris en 1981, cette collection printemps-été 1997 finit de légitimer sa vision avant-gardiste et d’installer la créatrice aux confins de la mode et de l’art. Le chorégraphe américain Merce Cunningham lui donne d’ailleurs carte blanche fin 1997 pour réaliser les costumes et la scénographie de sa pièce “Scenario”, après avoir fait auparavant appel à Andy Warhol et Robert Rauschenberg. Pour le spectacle, la Japonaise réalise de nouvelles robes du même acabit en utilisant un jersey plus extensible et des coussins en plumes, idéaux pour amortir les corps. Les mouvements des danseurs se déployant sur la scène de la Brooklyn Academy of Music, à New York, montrent combien ces vêtements sont plus confortables qu’ils ne le paraissent.

6. La première collection de John Galliano chez Dior : le début d’une ère

 

Lorsque Gianfranco Ferré quitte la direction artistique de la maison Christian Dior en 1996, les spéculations sur l’identité de son successeur vont bon train. Thierry Mugler, Jean Paul Gaultier ou encore Vivienne Westwood… de nombreux créateurs sont pressentis pour prendre sa suite, mais le choix de Bernard Arnault se porte finalement sur un jeune Britannique prometteur du nom de John Galliano. Déjà à la tête de son propre label depuis une dizaine d’années, c’est en janvier 1997 que le créateur présente son premier défilé pour la maison française, au Grand Hôtel de Paris, dans un décor de salon haute couture reconstruit version XXL. Cinquante tenues y sont dévoilées, en hommage aux cinquante années d’activité de la maison.

 

Reflet de sa curiosité débordante, cette première collection de John Galliano réunit déjà de nombreuses références très éclectiques. Il convoque ainsi les portraits du peintre Giovanni Boldini et les silhouettes en S de la Belle Époque dans de longues robes bombées à l’arrière. La flamboyante parure des perroquets inspire une spectaculaire robe fourreau ornées d’immenses plumes d’aras colorées, tandis que les Années folles et l’orientalisme du début du 20e siècle inspirent une robe de satin vert  bordée de fourrure et brodée d’arabesques, ou encore des robes en perles et brodées de sequins. La figure de Mitzah Bricard, muse de Christian Dior, inspire quant à elle plusieurs robes à traîne et même une couleur, un délicat lilas. Le peuple masaï, d’Afrique de l’Est, inspire de son côté des  motifs géométriques aux couleurs vives déclinés sur des pagnes, corsets et collerettes. Saluée par la critique, la collection “Mitzah masaï” annonce d’emblée l’extravagance, l’audace, et le mélange des genres et des cultures qui caractérisera les quatorze années mémorables de John Galliano chez Dior.

7. La collection “Les Insectes” de Thierry Mugler : repousser les limites du corps

 

La Semaine de la haute couture printemps-été 1997 s’impose comme l’une des plus fabuleuses de la décennie. Après les débuts d’Alexander McQueen chez Givenchy, puis de John Galliano chez Dior, Thierry Mugler clôture la saison et fait sensation avec l’une de ses collections les plus iconiques : “Les Insectes”. Si le créateur français était déjà connu depuis les années 70 pour repousser les limites du corps en présentant des pièces hybrides où l’humain faisait corps avec la carrosserie d’une moto, la cuirasse d’un robot, des ailes d’anges dorées ou encore des coquillages, ce nouveau vestiaire va encore plus loin en imaginant des silhouettes féminines fusionnant avec ces petits animaux invertébrés qui fascinent le créateur par “leur caparace, leur graphisme très futuriste”.

 

Au fil des ensembles, Thierry Mugler transpose ainsi les caractéristiques des insectes à l’échelle humaine : robes sculpturales à taille ultra marquée et empiècements en vinyle imitant des carapaces, cape satinée inspirée des ailes de cigale, chignons ornés de grandes antennes et large lunettes occultantes pour rappeler les yeux des mouches, jusqu’aux gracieuses ailes du papillon aux couleurs chatoyantes que l’on découvre dans le dos d’une mannequin… Chef-d’œuvre de technique et de savoir-faire, la collection du créateur se réapproprie les codes historiques de la haute couture – on y discerne par exemple des références au fameux New Look de Christian Dior – pour les inviter dans son univers fantastique et futuriste. Une fois de plus, “Les Insectes” met en exergue la collaboration de Thierry Mugler avec des virtuoses tels que son corsetier Mr. Pearl ou encore le designer Abel Villareal, qui propose une exceptionnelle robe “pneu” en caoutchouc et en cuir – énième fusion de la femme et l’automobile. Outre les tenues mémorables qui continuent d’inspirer nombre de créateurs et d’artistes, l’impact de cette collection se répercute jusqu’à aujourd’hui notamment dans les lunettes Butterfly, gros succès de ces dernières années de la maison Balenciaga.

 

“1997 FASHION BIG BANG”, jusqu’au 16 juillet 2023 au Palais Galliera, Paris 16e.

5. Le sac Baguette de Fendi : la naissance du it-bag

 

Forme allongée et lignes courbes, anse courte et fine, rabat doté d’un fermoir à logo double F… Discret mais très apprécié, le sac Baguette de Fendi est sans doute aujourd’hui l’un des accessoires de luxe les plus reconnaissables. On en oublierait presque que sa création remonte à 1997 : à l’époque, Silvia Venturini Fendi, alors directrice artistique des collections accessoires de la maison italienne, imagine un sac petit, élégant et fonctionnel qui serait porté comme une baguette de pain sous le bras, en référence au fameux cliché français. Lors de sa sortie, le sac passe relativement inaperçu, mais la maison réussit un tour de force lorsqu’en 1998, lors d’une de ses grandes ventes presse, de nombreuses journalistes et amatrices de mode s’en emparent.

 

Sur les rangs des défilés de la saison suivante, le Baguette est partout sous le bras des figures les plus influentes de la mode, qui l’imposent immédiatement comme le nouvel accessoire tendance. Le sac à main fait alors son chemin jusqu’à la télévision, où il triomphe à l’aube des années 2000 dans la série à succès Sex and the City. Son héroïne Carrie Bradshaw, la passionnée de mode incarnée par Sarah Jessica Parker, l’arbore dans de nombreux épisodes et ne cache pas son amour pour cet accessoire. Apparue pour la première fois sous la plume de la journaliste Suzy Menkes en référence à ce sac, l’expression “it-bag” est née, et conduira de nombreuses maisons à créer de nouveaux sacs iconiques dans la lignée de celui-ci. 26 ans après sa création, le Baguette reste toujours aussi actuel, réinterprété par la maison au fil des saisons et des projets. En décembre 2022, la maison italienne s’associait notamment à Sarah Jessica Parker pour proposer une collection capsule déclinant le modèle Baguette présent dans Sex and the City dans plusieurs dégradés colorés – fuchsia, bleu ciel, rouge…–, rehaussés de paillettes.