Owlle, étoile incandescente de la pop française, photographiée par Numéro
À l’approche de la sortie de son nouvel album, Numéro a invité Owlle à revêtir les pièces phares de la nouvelle collection H&M Studio SS22 pour une série mode exclusive. Après deux albums remarqués, l’autrice, compositrice et chanteuse parisienne reviendra le 11 mars prochain avec un nouveau disque, Folle Machine. Elle y défend une électro-pop aventureuse et poétique chantée pour la première fois en français. L’occasion de rencontrer celle qui fait se percuter avec grâce mélodies dansantes et expérimentations dignes de ses héros anglo-saxons (Brian Eno, Björk ou encore SOPHIE).
Le véritable prénom de Owlle, c’est France. Et ce n’est pas un hasard. La Parisienne Owlle représente tout ce que l’Hexagone sait faire de mieux en électro-pop exigeante, onirique et aventureuse, de celle qui s’exporte facilement à l’étranger. La chanteuse a travaillé avec David Kosten, le producteur londonien de Bat For Lashes et des Flaming Lips, a tourné en dehors de nos frontières et la série américaine Emily in Paris a playlisté ses morceaux. Et Owlle a même eu le privilège de remixer Depeche Mode.
À 35 ans, l’autrice, compositrice et interprète qui a travaillé avec Cassius, Vitalic, Myd et Surkin ne semble plus rien avoir à prouver. Ses deux albums sortis en 2014 (France) et 2018 (Heavy Weather) ont rencontré le succès critique et public. Son tube intitulé Ticky Ticky (2012) a fait le tour des clubs. Et elle vient de signer la musique de la série à succès Skam. Avec son look travaillé (une frange rousse à ses débuts et des tenues futuristes) et ses lives aux scénographies étudiées (des expériences olfactives ont déjà été imaginées) Owlle a imposé une image qui fascine durablement.
Pourtant, l’artiste originaire du Sud et issue des Beaux-Arts se remet totalement en question sur son troisième album, Folle Machine, qui sortira le 11 mars prochain. Celle qui s’est surnommée Owlle (en référence à l’animal nocturne qu’est la chouette) parce qu’elle crée de nuit, affronte aujourd’hui ses peurs au grand jour. Elle chante pour la première fois en français des textes sans filtre dans lesquels elle dévoile ses échecs, ses doutes et ses ruptures.
Intime, mais aussi audacieuse, la chanteuse y invente une électro-pop aussi charnelle, dansante et sensuelle qu’étrange qui mêle l’évidence mélodique du format chanson aux expérimentations d’aventuriers sonores qu’elle admire tels qu’Arca, SOPHIE, Kate Bush, Björk ou Brian Eno. Owlle explique : « Ces artistes ont des propositions très fortes, voire clivantes. C’est ce que j’aime. » Rencontre avec une compositrice qui voit la pop en 3D.
Vous avez étudié la scénographie dans votre sud natal avant de vous former à Paris, aux Beaux–Arts. Cela vous a-t-il poussé à donner autant d’importance à l’image, à vos lives et à vos clips qu’à votre musique ?
Je considère en effet qu’il s’agit d’un tout. Quand l’album prend forme, je commence à faire des planches de travail. Je mets des idées picturales de côté. Je réfléchis à comment je me positionne par rapport à mon image. Et je me pose beaucoup de questions avant de construire un univers et de le dérouler jusqu’aux lives. Parfois ça ne marche pas, ce n’est pas cohérent ou naturel. Mais pour ce troisième album, tout a été très fluide. Je suis partie dans le côté 3D en essayant de ne pas déshumaniser le projet. Le concept était de mêler technologie et humanité, soit une dimension organique.
Quand est née cette nouvelle imagerie ?
J’y ai pensé pendant l’un des deux confinements, soit durant une période pas très drôle. D’où l’envie d’un lieu balnéaire imaginaire pour la pochette du disque. Je me suis rapproché du duo créatif Gourau & Phong qui travaille sur les scans 3D. Je me suis scannée sous toutes les coutures dans un studio spécialisé, avec différents stylismes et après, on a imaginé des décors. On a ajouté des animaux, certains bien réels comme le chat sans poil que je tiens dans les bras sur les photos accompagnant l’album et qui est celui d’une amie. Je l’adore. Il est très particulier, avec un comportement fou et un sacré caractère. D’autres animaux, comme un hippocampe géant et étrange, sont des inventions.
D’où vient le titre de l’album Folle Machine ? Cela fait penser au roman de Williams Burroughs appelé Machine Molle…
C’est inspiré par le surréalisme, par des images qu’on peut voir dans des tableaux de Dali. Des images « en fusion », soit l’état dans lequel j’étais pour écrire cet album. J’ai bousculé beaucoup de choses autour de moi professionnellement ou personnellement pour aboutir à un beau chaos intérieur avant d’enregistrer ce troisième album. Ce titre, Folle Machine, est comme un cri intérieur qui me représente bien. Je suis une sorte d’électron libre qui va dans tous les sens.
Vous chantez pour la première fois en français. Pourquoi ce choix ?
Je voulais me lancer un challenge, celui d’amener les auditeurs dans mon esthétique tout en utilisant ma langue maternelle. Je me suis amusée à trouver un équilibre entre mes expériences de vie, que j’avais envie de raconter, poussées dans des extrêmes et une façon de pouvoir en rire. Il y a toujours un peu de cynisme sur moi-même dans mes nouveaux textes qui parlent notamment de mes échecs.
On entend beaucoup de phrases intimes, telles des confessions, sur votre album. Des expressions telles que : « Je ne suis pas la femme que tu crois » ou « J’arrive plus à faire la fête / Où est cette fille qui brillait tant ? » Vous assumez plus de choses qu’avant ?
C’est vrai qu’il y a plus de liberté, d’affranchissement. En anglais, j’avais tendance à être dans quelque chose d’assez abstrait, à résumer mes sentiments de façon plus minimale. Là, je suis plus frontale, sans filtre, face à moi-même. J’ai essayé d’aborder des choses très intimes en gardant une forme de poésie. Je voulais mettre un peu de celle que je suis au quotidien dans ma musique. Mettre de la vraie vie dans mon projet, c’est quelque chose que je n’avais pas fait jusqu’ici. Je sais que j’ai un franc-parler, et c’était le moment de l’exprimer.
J’ai cru comprendre que votre deuxième album parlait de rupture amoureuse. Qu’en est-il pour celui-ci ?
En fait, c’est surtout ce nouvel album qui parle de rupture, mais de rupture générale, pas seulement amoureuse. J’y évoque la reconstruction après une sorte de « reboot » de moi-même. J’ai réalisé un chamboulement global, en repartant de zéro, rompant à la fois avec le passé et des schémas de vie. Mais en fait, tous mes albums parlent de rupture. C’est toujours un peu cliché à dire mais l’amour inspire beaucoup, surtout les ruptures. On va puiser là-dedans car on expérimente des sentiments assez extrêmes qui aident à trouver des mots justes.
Dans votre dernier clip, pour votre single La flemme, vous dansez au sol en portant une attelle. Était-ce une référence au film Crash de David Cronenberg ?
C’était une référence à ce que j’ai vécu. Je n’étais pas blessée ou accidentée au moment du clip. Mais cette chorégraphie a été construite à partir de mon histoire. Adolescente, j’ai porté un corset pendant plusieurs années car j’avais une scoliose (comme beaucoup d’autres personnes) assez énervée. Plus tard, j’ai été opérée, et je me suis retrouvée avec des pièces métalliques dans mon corps. Entre le film Titane sorti il y a peu et mon amour pour Cronenberg, je trouvais cela intéressant d’explorer quelque chose de personnel et de le mettre en scène, sans trop en dire non plus, à ce moment-là. Dans cette vidéo, je danse sans jamais me relever. Et n’étant pas danseuse, j’ai galéré. Ça m’a demandé beaucoup de travail. Je n’ai pas l’habitude de tordre mon corps dans tous les sens. Mais je désirais montrer que d’une contrainte, peut naître quelque chose de très beau. A conditionner de l’assumer et de le détourner.
Vous avez monté votre propre structure : The Quiet Club (en référence à l’œuvre de Brian Eno découverte à la Biennale de Lyon) pour mener à bien vos projets artistiques. Pourquoi avoir ressenti ce besoin d’indépendance ?
Les structures qui nous accompagnent, comme les majors, même si elles peuvent bien le faire bien, ne sont souvent pas assez rapides par rapport à la vitesse des réseaux sociaux. C’est ce que j’ai ressenti au moment de mon deuxième album, sorti en 2018. Entre mes débuts, en 2011, et ce disque, les moyens de communication et les réseaux sociaux ont explosé. Et comme les labels sont de grosses machines, ils n’anticipent pas toujours les changements, agissant tels des carcans. Quand j’ai imaginé ce deuxième disque, je ne me sentais pas forcément comprise et il existait trop de délais entre les prises de décisions et les actions. J’ai le sang chaud et j’aime bien faire les choses très vite. Et artistiquement, j’avais l’impression de m’éteindre et de ne pas assez prendre de risque. Or je pense que faire ce métier sans prendre de risque, ça n’a pas de sens. Mais contourner ce principe-là, c’est beaucoup plus de travail et ce n’est pas si glamour car il y a une partie administrative assez lourde à mettre en place. J’ai aussi récupéré en partie mes éditions. Je travaille aujourd’hui en licence avec BMG et avec un entourage familial et réduit. Cela m’a aider à concevoir un projet en français avec plus de liberté dans les sons et l’image. Je n’ai pas pensé à la destination des morceaux, juste à me faire plaisir et à composer un album qui me ressemble.
Kanye West vient de mettre au point un « player » afin de diffuser son dernier album en se passant des plateformes de streaming. Et Neil Young est parti en croisade contre Spotify. Comprenez-vous ce type de démarches assez punk ?
On y réfléchit forcément car on aimerait créer un autre modèle. La consommation de la musique s’avère frustrante parce qu’on n’a pas notre mot à dire. Je pense à Adele qui a imposé à Spotify de ne pas rendre son album disponible en mode « shuffle. » Je peux comprendre cette démarche car un album est une proposition, une histoire, un objet qu’on imagine comme une pièce, une œuvre, à écouter de A à Z. Il y a des artistes qui sont dans une logique « singles » mais souvent, on est dans d’autres concepts sur lesquels on a passé beaucoup de temps. L’objet « album » est aujourd’hui complètement désacralisé. Et je comprends qu’il y ait des tentatives pour essayer de le re-sacraliser, de lui redonner une forme et du fond. Ensuite, se passer de puissants outils comme les plateformes de streaming, c’est assez radical. Et pas facile à faire. Pour contourner des modèles aussi forts et se les mettre à dos, il faut être aussi puissant qu’eux. Il faut être Kanye West en somme.
Folle Machine (2022) de Owlle, disponible le 11 mars prochain.
La nouvelle collection H&M Studio SS22 est disponible sur H&M.com et à partir du 3 mars 2022 chez H&M, 3 rue Lafayette, Paris.