28 juin 2017

Olivier Saillard nous ouvre les portes du premier musée éphémère de la mode à Florence

Le directeur du musée de la mode de Paris Olivier Saillard présente “The Ephemeral Museum of Fashion”, un musée éphémère où se rencontrent “modes fugitives et vêtements éternels” au cœur de la ville de Florence. Il nous en dit plus sur ce concept inédit…

Numéro : Qu’entendez-vous par ce concept de musée “éphémère” ?

Olivier Saillard : Je souhaitais faire une exposition sur le temps qui passe, sur les modes qui apparaissent et disparaissent, et inversement, sur les vêtements qui restent. Je souhaitais poser l’équation jamais résolue entre l’engouement pour des modes fugitives et les vêtements éternels qui constituent les collections patrimoniales de mode. L’exposition qui résulte de ce vœu est éphémère, tout comme ce nouveau concept de musée que j’ai inventé afin qu’il soit plus mobile, malléable, adaptable à différents lieux, apparent à certains moments et s’évanouissant à d’autres.

 

Après avoir défendu une mode au temps long, pourquoi vous lancer dans un projet éphémère ?

Paradoxalement, si en tant que directeur de musée, la conservation des œuvres est au cœur de mes missions, j’aime que les choses, les évènements disparaissent malgré tous nos efforts. Je soutiens qu’il est frustrant parfois de savoir qu’une œuvre n’existe plus (un défilé, une performance, une installation…) mais qu’alors, justement, elle porte une surface plus poétique parce que dissoute. Le souvenir, même imprécis, que cela suggère est plus précieux que l’œuvre elle-même. 

 

 

“Paradoxalement, si en tant que directeur de musée, la conservation des œuvres est au cœur de mes missions, j’aime aussi que les choses, les évènements disparaissent malgré tous nos efforts.”

 

 

Vous parlez de “réinventer le Musée de la Mode et du Costume du Palazzo Pitti”, par quoi passe cette réinvention ?  Quel regard portez-vous sur ce musée ?

Le projet du Musée éphémère de la mode est parti du constat qu’il n’existe pas de musée strictement dédié à la mode en Italie. Plus qu’un regret, je pense que c’est une chance pour réinventer aujourd’hui un nouveau musée. En réalisant plusieurs expositions en différents endroits, j’ai constaté que les projets étaient plus pertinents dès lors que le vêtement entre en collision, à un moment donné, avec une atmosphère, une ambiance, un atelier, une sculpture… J’ai ainsi proposé à La fondation Piiti Imagine de créer chaque année, et pourquoi pas plusieurs fois par an, un musée éphémère, accueilli dans un lieu différent à chaque fois. J’ai l’intuition que ce caractère fugace et disparaissant est plus adapté à une réflexion sur la mode. L’exposition concernée pourra concentrer une centaine de vêtements, ou au contraire un seul, de manière à favoriser une intimité de regard. Je me donner la possibilité d’inventer un musée de mode en essayant d’oublier au maximum tout ce que j’ai su y faire ou tout ce que j’ai dû être en mesure de faire.

Près de 18 salles et 200 vêtements venant de la Galerie du Costume et de la Mode de Florence sont dévoilés, que trouve-t-on parmi ces pièces ?

Il n’y a pas de thème ni de chronologie à cette première exposition. Les vêtements de Comme de Garçons ou de Yohji Yamamoto côtoient une robe Valentino de 1966 ou une robe effrontée du XIXe siècle. Les vêtements gisent sur des chaises autant qu’ils resplendissent sur des mannequins. Une robe Alaïa, véritable œuvre textile et de sculpture est entourée de vestes (mes vestes personnelles) avachies, écroulées, comme dévouées à leur idole. Dans une autre salle, des pardessus amoureux sont suspendus à des patères et s’enlacent sous le regard d’une veste-cage de Jean Paul Gaultier. Une robe de Madaleine Vionnet terriblement fragile gît, pour la dernière fois, à plat sous une paroi de verre. Une autre de Madame Grès, qui fut la robe de mariée dans le film de William Klein Qui êtes-vous Polly Maggoo ? se repose, elle aussi. Avec le temps, la poussière s’est invitée sur le blanc pour créer aujourd’hui une couleur secrète. Une robe longue de Redfern de la fin du XIXe resplendit sous le velours noir. Allongée comme un gisant, elle montre une doublure intérieure rose chair entièrement déchirée par le temps. Plus qu’une robe, c’est un vestige de robe, qui s’apprécie comme une fresque… en plusieurs endroits le visiteur peut rencontrer des œuvres de Armani, Chanel, Dior, Dolce & Gabbana, Galliano, Fortuny, Lacroix, Lang, Miyake, Prada, Worth… mais aussi des vêtements non griffés qui se montrent pour eux-mêmes sans le détour d’un logotype…

 

Connaissiez-vous déjà bien les pièces phares et les archives de la Galerie ?

Je savais que la Galerie du costume du Palazzo Pitti existait, je l’avais visitée mais je ne connaissais pas dans le détail la collection conservée, qui est importante sur le XIXe siècle. 

 

“Une robe Alaïa, véritable œuvre textile et de sculpture est entourée de vestes (mes vestes personnelles) avachies, écroulées, comme dévouées à leur idole. Dans une autre salle, des pardessus amoureux sont suspendus à des patères et s’enlacent sous le regard d’une veste cage de Jean Paul Gaultier.”

 

Des ateliers de couture tels Mariano Fortuny à Venise ou Emilio Schuberth à Rome côtoient les grands noms contemporains de Gucci à Rick Owens, comment avez-vous pensé cette cohabitation ?

Avec infiniment de liberté. Ce qu’aucun magazine de mode ou œuvre éditée ne pourrait s’octroyer, c’est-à-dire mélanger les époques et les noms, l’exposition, elle, se le permet par le biais de rencontres plastiques, colorées ou d’intuitions formelles irraisonnées.

 

Si vous deviez choisir une pièce en particulier, laquelle serait-elle ?

Je choisirais sans aucun doute une robe longue du soir, aux manches pagodes extrêmes orange et noir, des années 30 de Jeanne Lanvin. Un comble d’audace taillé dans l’austérité d’un tissu crêpe. 

Pouvez-vous nous parler du travail sur la scénographie ? Il y a également eu un travail majeur de restauration de la part du Palais Galliera.

J’ai demandé à visiter les greniers du Palazzo Pitti, là où sont stockés non pas les œuvres mais le mobilier ou les cadres qui ont servi aux expositions ou aux accrochages du passé. Une sorte d’archéologie de cadres, de tissus tendus pour protéger les œuvres de la lumière, de chaises de gardien, de bancs hirsutes constituent pêle-mêle la scénographie que nous avons souhaité laisser inachevée pour accentuer le caractère éphémère de l’installation. Les robes et les accessoires du Pitti ou de Galliera ont en effet été en partie restaurés pour l’occasion grâce au soutien de Pitti Immagine Discovery.

 

Comment percevez-vous la ville de Florence dans l’histoire de la mode et de la couture ?

À Florence, la Sala Bianca située au sein même du Palazzo Pitti a été le lieu de la renaissance de la mode italienne dans les années 1950 et 1960. Aujourd’hui le Pitti Uomo est le salon le plus ambitieux dédié à la mode masculine. Constamment en alerte sur les nouveaux visages de la création contemporaine, Pitti Uomo invite à défiler les talents les plus reconnus ou les plus naissants. Dans la ville, les musées et les institutions accueillent avec enthousiasme et sérieux les projets de mode même inattendus. Florence est un territoire de mode incontournable.

 

Pensez-vous que d’autres musées éphémères comme celui-ci seront amenés à voir le jour ?

Je l’espère beaucoup et j’y travaille déjà. La contrainte budgétaire ne doit pas en être une. Seul le lieu et les vêtements dictent le projet. Celui-ci peut s’étendre à foison ou se concentrer au maximum. Je veux laisser la poésie des corps disparus jaillir des vêtements seconde peau et installer de lieu en lieu, quel que soit le pays, un discours simple et tendre qui est celui que nous entretenons tous avec nos habits. 

 

“The Ephemeral Museum of Fashion”, jusqu'au 22 octobre au Palazzo Pitti à Florence.