22 fév 2021

Mode virtuelle : The Fabricant, pionnier de la mode virtuelle

En 2020, la mode virtuelle connaît un véritable essor. Entre défilés de mode façon jeux vidéo pour Balenciaga et Christian Louboutin, mannequins en 3D pour Mugler et Burberry, et filtres virtuels pour essayer des accessoires Chanel et Dior, les grandes maisons investissent de plus en plus le cyberespace. En parallèle, des marques de mode virtuelle, dont les pièces n’existent qu’au format numérique, voient le jour. Numéro s’est entretenu avec les fondateurs de The Fabricant, pionnier de la mode virtuelle

Propos recueillis par Léa Zetlaoui.

La première robe virtuelle, appelée Iridescence et créée par The Fabricant, vendue 9 500$ aux enchère.

Depuis 2018, l’entrepreneur finlandais Kerry Murphy, spécialisé dans les effets visuels pour la publicité, et la designer numérique néerlandaise Amber Slooten explorent les infinies possibilités de la mode virtuelle avec l’entreprise qu’ils ont créée, The Fabricant. Showroom et catalogues entièrement digitaux pour Under Armour, campagnes publicitaires spectaculaires pour Puma, ou transition digitale pour Tommy Hilfiger… The Fabricant s’impose comme le studio de création pionnier dans un domaine en pleine expansion. En 2019,  ils créent Iridescence, la première robe virtuelle, qui sera vendue aux enchères pour 9500$, et depuis, leurs vêtements futuro-streetwear ne cessent de séduire les clients adeptes de créations 100% virtuelles. Numéro a interviewé The Fabricant, sur la mode virtuelle et son impact sur la mode contemporaine.

 

NUMÉRO : Comment vous est venue l’idée de lancer une marque de mode virtuelle?

The Fabricant: Kerry a constaté à quel point la technologie augmentait la liberté de création et réduisait les déchets dans l’industrie cinématographique. Il a vu l’opportunité de faire de même dans la mode, une des dernières industries créatives à adopter la numérisation ! Comme chacun sait, la musique, le cinéma, la photographie, etc. ont tous des cultures numériques profondément établies. Kerry a passé deux ans à développer le concept de The Fabricant avant de faire de l’entreprise la première maison de mode digitale au monde. Depuis le début, la philosophie de The Fabricant a toujours été que la mode exclusivement digitale soit un lieu de liberté, de fantaisie et d’expression de soi. Notre credo est d’aider les marques et les individus à explorer ce monde et ses possibilités créatives illimitées.
 

Combien de personnes travaillent pour la marque et quelles sont leurs compétences et leurs métiers ?

Aujourd’hui, nous sommes une équipe de 25 Fabricanters, qui ne fait qu’augmenter à mesure que nos projets se diversifient. Nous comptons des designers de mode virtuelle, des concepteurs d’écosystème digital, des artistes 3D, des techniciens software, des spécialistes en effets visuels, stratégie créative, branding, communication, marketing et business development. 

 

Quelle est votre ambition avec cette marque ?

The Fabricant est une marque  de mode qui vit à l’intersection de la mode et de la technologie, avec pour mission de montrer au monde que les vêtements n’ont pas besoin d’être physiques pour exister. The Fabricant revient au cœur de ce que la mode a toujours été censée être – une arène passionnante et ludique pour explorer et exprimer nos identités et notre individualité. La mode virtuelle est un terrain créatif vaste et inexploité, où ce qui était autrefois physiquement impossible devient possible. Il n’y a pas de limites à ce que nous pouvons être dans le monde non physique. Nous nous décrivons comme des «fashionauts» et non comme des fashionistas, et nous nous engageons à explorer le potentiel de ce nouvel espace à travers notre couture numérique Bien que nous ayons, bien sûr, besoin de vêtements pour protéger notre corps, nous avons également besoin de la mode pour être une source d’inspiration et nous permettre d’explorer et d’exprimer notre identité. Lorsque la plupart de nos interactions sociales se font à travers les canaux numériques (en particulier en ce moment), pourquoi aurions-nous besoin d’éléments physiques pour nous exprimer? Plus que jamais, le screenwear devient le nouveau streetwear. 


 

Quelle est votre relation avec la mode réelle, comme le prêt-à-porter et la couture ?

Nous appelons nos créations virtuelles « Thought Couture » (pensée couture), et non pas haute couture, car c’est de la couture qui existe au-delà du monde physique, comme une pensée. Nous nous considérons également comme des co-créateurs, un statut que nous partageons avec notre public. C’est leur propre créativité qui poussera la mode numérique dans la direction qui leur semble appropriée. De plus, la taille, les tendances et les saisonnalités qui façonnent la mode traditionnelle ne sont pas des notions pertinentes dans la sphère numérique. La mode virtuelle permet à quiconque de s’accepter et de s’explorer pleinement – sous toutes les formes, silhouettes et couleurs, contrairement à la mode physique. 

 

Quel est le rôle du client dans cette nouvelle façon de consommer la mode?

La mode numérique ne dicte pas les tendances mais co-crée avec les utilisateurs, en étant continuellement informée et mise à jour par l’intelligence collective. L’avenir de la mode que nous construisons est collaboratif, créatif, diversifié et inclusif. Dans le monde de la mode virtuelle, les gens ne sont pas des consommateurs passifs, mais des agents créatifs qui façonnent leur expression personnelle, et conservent leur identité virtuelle à travers des vêtements numériques. C’est un voyage passionnant, basé sur les idées et les contributions des consommateurs, avec tant de possibilités et de résultats ! La mode numérique n’a pas d’histoire, pas de format et pas de modèle existant à suivre. C’est ce qui fait toute sa beauté et ce qui la rend si captivante.

 

Comment la mode virtuelle peut-elle contribuer à réduire l’impact de l’industrie?

L’industrie de la mode représente 2,3 milliards d’euros. Elle est responsable de 35% des microplastiques rejetés dans l’océan et de 20% de la pollution des eaux, ce qui est bien plus important que l’empreinte carbone des compagnies aériennes et des livraisons combinées. On estime que plus de la moitié de la production de fast fashion est jetée moins d’un an après l’achat. Les vêtements exclusivement numériques réduisent considérablement l’impact de la mode sur les ressources de la planète et sur la nature. La production numérique de mode génère moins de 10% des émissions de carbone dans son cycle de vie (0,7 g de CO2) par rapport à un vêtement physique (8 g de CO2). La mode numérique ne finira jamais dans les décharges, ne générera jamais de déchets plastiques et ne contribuera jamais à la pollution de l’eau. Compte tenu de l’ampleur de la pollution dont l’industrie de la mode est responsable, le pionnier d’un secteur de la mode numérique ne peut avoir qu’un impact positif sur l’ensemble de cette industrie.

“Seismic” une création digitale et couture imaginée par The Fabricant pour Vogue Singapore

Quel est votre modèle économique?

Nous travaillons en tant que maison de création et éditeur de logiciels, et nous coopérons avec les marques en fournissant les services suivants: conseil et inspiration, mais aussi récits 3D tels que des échantillons numériques, des lookbooks, des défilés de mode et des campagnes destinées aux consommateurs, des expériences interactives “phygitales” pour la vente au détail ou les événements. Enfin aujourd’hui, nous développons aussi pour elles des vêtements exclusivement virtuels représentant un nouveau modèle de revenus.

 

Comment la mode virtuelle et IRL peuvent-elles cohabiter dans notre monde contemporain?

La mode virtuelle n’exclut pas nécessairement la mode physique. Elle constitue simplement une nouvelle étape. Une étape nécessaire pour les marques qui souhaitent engager une véritable transformation numérique, un changement stratégique et renforcer la résilience à long terme. Les jeunes consommateurs comprennent instinctivement la mode virtuelle. C’est donc désormais aux marques de faire le travail pour conserver leur pertinence et permettre à leur public de découvrir la mode d’une manière qui s’intègre dans leur nouveau mode de vie.
 

Selon vous, comment les marques de mode virtuelle vont-elles évoluer ?

Du point de vue du consommateur, nous vivons tous une vie numérique et nous nous exprimons à travers différents canaux de réalité virtuelle. Nos attentes sont de pouvoir nous exprimer de manière illimitée grâce à une mode durable et démocratique. La mode virtuelle ne pose aucunes limites physiques à la créativité. Elle crée un récit sensoriel interactif, qui peut être consulté à tout moment et n’importe où. Si l’avenir n’est pas écrit, personne ne peut ignorer que le monde a changé. Comme nous avons tous des identités numériques actives, et que nous sommes tous membres de diverses communautés numériques, nous pensons que la mode numérique a définitivement un potentiel grand public. Pour tous les acteurs de la mode, aujourd’hui, la question à se poser n’est plus : “la 3D sera-t-elle à la hauteur de ce que nous pouvons créer dans la vraie vie?” C’est plutôt : “notre nouvelle réalité quotidienne sera-t-elle à la hauteur de l’extraordinaire capacité 3D?”
 

Travaillez-vous avec des marques de mode réelle ?

Nous collaborons avec des maisons de mode physique et des marques qui souhaitent explorer avec nous toutes les possibilités de cette nouvelle industrie. Vogue Singapore, Adidas et Buffalo London font partie de nos récents partenariats.

 

Découvrez la mode virtuelle de The Fabricant sur thefabricant.com

 

 

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