1 déc 2022

Rencontre avec JR : « La base de mon travail, c’est de faire participer le plus de gens possible”

De JR, le monde entier connaît les installations de photos d’anonymes et de marginaux, déployées dans des formats gigantesques dans l’espace public. Superstar engagée tutoyant le gratin de tous les milieux, l’artiste tente de corriger quelque peu les injustices sur cette planète.

JR, photographié le 30 septembre 2022 dans son atelier parisien, boulevard de Charonne, Paris XXe. Retouche : Diamantino Labo Photo

Sur le compte Instagram de JR – suivi par une impressionnante cohorte de deux millions de personnes –, on trouve de petites vidéos où l’artiste français conduit Robert De Niro à vélo dans les rues de New York. L’homme du Parrain et de tant d’autres rôles sublimes sur le porte-bagages d’une bicyclette jaune ? L’image prête à sourire, mais elle n’existe pas toute seule. Elle prend son sens quand on sait que les deux hommes se connaissent depuis une décennie, et que JR a notamment réalisé cette année The Past Goes Fast, un court-métrage d’une dizaine de minutes basé sur une série d’entretiens avec la légende du cinéma racontant sa relation à son père, un peintre décédé dans les années 1990. “Il s’agit de l’esquisse d’un film qui pourrait prendre des années à se faire et pour lequel on se laisse encore le choix du format”, explique l’artiste.


Le temps long fait le prix du travail de celui qui a émergé durant les années 2000, depuis la banlieue parisienne de Montfermeil, au cœur de la Seine-Saint-Denis. Graffitis puis collages, photographies, films mais aussi ballets : si l’activité de JR est associée à une forme mainstream d’art contemporain, c’est d’abord parce qu’elle dépasse les cadres classiques et reste en constante évolution. “J’ai beaucoup de projets entremêlés depuis une vingtaine d’années. La base de mon travail, c’est de faire participer le plus de gens possible.” Inside Out, projet participatif lancé en 2010, fait circuler dans le monde, à la demande de communautés, d’associations ou de personnes, de larges portraits à déployer sur des monuments ou des lieux symboliques, du Panthéon à la prison de Rikers Island, de Hong Kong à Haïti. “C’est comme un thermomètre du monde, qui m’envoie des signaux sur ce qui se passe et me permet de créer des liens avec des communautés.”


Un art sous le signe du voyage et de l’appropriation collective de ce qui semble réservé à une élite : l’ambition de JR l’amène à refuser le musée comme seule plateforme d’expression. Si des rétrospectives de son travail ont lieu depuis une dizaine d’années, elles ne constituent pas le cœur de son activité. “Je me suis rendu compte que si une œuvre terminée est intéressante, dans mon univers, c’est le processus créatif qui reste le plus important. Vivre et documenter ce que je traverse, cela a du sens.” Depuis son studio parisien, JR imagine et conçoit sans répondre au désir de mécènes ou d’institutions. “Nous autoproduisons et autofinançons les projets, en voyageant et en les fabriquant hors commandes, en essayant parfois de faire coller tout cela à des festivals, des expos. Ce choix nous donne une liberté, mais il faut beaucoup de rigueur pour conserver une cohésion.”


Vu de l’extérieur, la cohésion se niche d’abord dans les sujets. JR s’intéresse aux laissés-pour-compte et aux déplacés, à celles et ceux qui vivent en dehors des sociétés capitalistes, un angle crucial sur lequel il travaille depuis vingt ans. Il a évoqué Ellis Island aux États-Unis, port d’arrivée historique de nombreux migrants, mais aussi l’Ukraine, bien avant la guerre, le Rwanda, la Mauritanie, bientôt la Colombie et la Jordanie. Il coordonne par ailleurs un projet à la prison haute sécurité de Tehachapi, en Californie, qui inclut les prisonniers à travers des ateliers, et sur lequel il signera dans les prochains mois un documentaire. “Cette initiative a eu un impact : un tiers des prisonniers qui étaient dans mon groupe, condamnés à la prison à vie, ont été libérés. C’est assez incroyable.”


On reconnaît dans ces mots l’optimisme de JR, sa foi dans la capacité de l’art à changer le monde. Une naïveté ? Peut-être. Alors que le chaos règne sur la planète, il nous laisse avec ce mot qu’Agnès Varda, grande cinéaste de la Nouvelle Vague avec laquelle il a tourné le documentaire Visages, Villages en 2017, lui avait glissé : “Si nous, artistes, on devient pessimistes, alors qu’est-ce qui reste?”.

 

JR est représenté par la galerie Perrotin.