Les confessions de Manfred Thierry Mugler : George Michael, Beyoncé, sa transformation physique et sa nouvelle carrière
Dans les années 90, Thierry Mugler a marqué l’histoire de la mode avec ses défilés à grand spectacle et ses fragrances gourmandes, qui trustent encore aujourd’hui les premières places des ventes. Rebaptisé Manfred Thierry Mugler, le directeur artistique s’est depuis fait discret, réinventé en Goliath ultra-musclé et metteur en scène de music-hall. Il livre à Numéro Homme ses réflexions dans une interview exclusive.
Propos recueillis par Philip Utz.
Portrait par Dominique Issermann.
Numéro Homme : Pourquoi avez-vous décidé d’arrêter la mode en 2003 ?
Manfred Thierry Mugler : Principalement parce que la mode était un merveilleux moyen d’expression artistique dans les années 70, 80 et 90, mais qu’elle ne l’était plus dans les années 2000, période à laquelle la création a été complètement étouffée par le marketing et le business. Sans parler des rythmes de plus en plus infernaux et des délais impossibles à tenir entre les collections croisière, les pré-collections, les lignes masculines et féminines, le prêt-à-porter et la haute couture… D’ailleurs, regardez le nombre de créateurs qui ont, soit pété les plombs, soit décidé d’arrêter avant d’y laisser leur peau. Je dois dire aussi que j’ai toujours envisagé la mode comme un vecteur de mise en scène très utile et très excitant, mais qui avait ses limites. Pendant vingt ans, j’ai eu trop de couteaux dans le cœur à devoir refuser des projets de vidéos et de spectacles par simple manque de temps. Pour shooter un clip à Los Angeles, par exemple, il fallait être réactif dans les trois semaines, et du coup je suis passé à côté de films pour Cher – à sa grande époque –, Aretha Franklin, Bette Midler et bien d’autres. Comme vous le savez sans doute, j’ai néanmoins trouvé le temps de réaliser Too Funky pour George Michael…
… D’ailleurs, peut-on savoir une bonne fois pour toutes pourquoi vous vous êtes frité avec lui sur le tournage de ce dernier ? Ça fait vingt ans que tout le monde se pose la question.
C’est pourtant extrêmement clair : George m’avait assuré par e-mail, encore la veille du shooting, que nous étions parfaitement d’accord sur le scénario, le story-board et le découpage de la vidéo. Il disait ne pas vouloir y figurer, contrairement à tous ses autres clips. Jusque-là, tout va bien. Le lendemain matin, je suis arrivé sur le plateau aux studios de Boulogne, où il y avait près de 500 personnes qui attendaient : une équipe d’enfer, des danseurs que l’on avait fait venir des quatre coins du monde, du Japon et d’Australie, tous les plus grands top models – Linda, Eva, Nadja, Tyra –, des personnages extraordinaires tels que Rossy de Palma et Julie Newmar – qui avait incarné Catwoman dans les premiers Batman – ou encore les transformistes Lypsinka et Joey Arias… Sur ce, George a débarqué à 9 heures en me demandant, contrairement à ce que nous avions convenu, d’inclure des plans de lui dans le clip. Je lui ai expliqué que c’était impossible, que le story-board était archi bouclé, mais j’ai senti qu’il le prenait mal. On a fait comme si de rien n’était pendant deux jours, mais le dernier jour du shooting il a piqué une crise et a convoqué toute l’équipe pour annoncer : “Mugler est viré. Maintenant, c’est moi le réalisateur.” Silence de mort sur le plateau, personne n’a bougé. Je ne savais plus où me mettre. Puis Julie Newmar a levé la voix en s’indignant : “Je les connais par cœur vos magouilles de Los Angeles, Monsieur Michael ! Sachez qu’on est là pour Mugler, et pas pour vous !” Tous les tops se sont alors exclamés en chœur qu’ils ne resteraient pas sans moi. Du coup, George a tourné les talons et s’est cloîtré dans sa loge, péteux, après avoir vainement tenté de me faire jeter par ses bodyguards. Bref, nous avons terminé le tournage sans lui, mais il a fini par insérer des plans de lui lors du montage. Dans le générique de fin du clip, vous noterez que les mots “directed by” sont suivis d’un point d’interrogation, pour la simple et bonne raison qu’il était contractuellement obligé de me citer en tant que réalisateur. Je dois d’ailleurs dire qu’il a complètement charcuté le clip au montage, pour en faire une chose parfaitement insipide, dans le seul but de promouvoir son album, en coupant notamment les scènes homosexuelles et transgenres, ce qui me semblait dommage vu que les royalties du titre étaient reversées à la lutte contre le sida. Ce n’est que bien des années plus tard qu’on a fini par se rabibocher grâce à Beyoncé…
Réalisation : Laurent Mercier. Maquillage : Sylvie Greco. Maquillage corps et tatoos : Alexandra Berthomé. Retouches : David Martin Studio DMBM. Production : Alex Michanol
Retrouvez l’intégralité de cette interview dans Numéro Homme automne-hiver 2017-2018, disponible en kiosque et sur iPad à partir du 2 octobre.