Meet Craig Green, the jewel in the crown of English fashion who also collaborates with Moncler
Craig Green s’illustre par ses volumes audacieux et futuristes, en tension permanente entre fonctionnalisme et expérimentation arty. Son talent n’a pas échappé à Moncler : pour le nouveau projet Genius de la marque, il a réalisé une collection d’outerwear saisissante.
Depuis la création du label qui porte son nom, en 2012, Craig Green s’est affirmé comme l’un des créateurs de mode masculine les plus innovants et les plus excitants de sa génération. En quelques années, son vocabulaire alliant des expérimentations sculpturales arty et un vestiaire ancré dans la tradition du fonctionnalisme et du workwear, est devenu l’objet d’un véritable culte. Depuis son nouveau et vaste studio, situé près de l’aéroport de London City, le créateur britannique et son équipe de onze personnes développent au quotidien sa jeune marque, qui comprend aujourd’hui déjà une ligne de basiques, Craig Green Core, et une ligne de denim. Dès l’automne-hiver 2017, Moncler s’adjoint les services du jeune prodige pour une première collection capsule, Moncler x Craig Green. En février dernier, lors de la Fashion Week femme de Milan, le spécialiste de la doudoune présentait son nouveau projet Genius, huit collections dessinées par des directeurs artistiques et stylistes triés sur le volet, destinées à être mises en vente à un rythme mensuel. Craig Green figurait bien sûr parmi les heureux élus. Entre costumes futuristes d’astronaute et armures molles de samouraï, sa proposition expérimentale sous influence SF subjuguait le public. L’auteur de cette collection nous en dit plus.
Numéro Homme : Avant de vous tourner vers la mode, vous vouliez originellement vous consacrer à la sculpture ou à la peinture. Comment cette vocation vous est-elle venue ?
Craig Green : À l’école, j’excellais dans les cours d’art. J’adorais fabriquer des objets. Je pense que cela est dû au fait que les membres de ma famille sont des artisans : mon père est plombier, mon oncle, charpentier. Les week-ends, pour me faire un peu d’argent, je les aidais. J’ai passé mon enfance entouré de matériaux et d’objets fabriqués. Il était donc naturel pour moi de tenter ma chance dans une école d’art. Je m’imaginais devenir sculpteur ou peintre. À l’époque, j’ignorais même l’existence du Central Saint Martins, mais un ami m’a affirmé qu’il s’agissait du meilleur enseignement possible en la matière. La première année est un cursus commun qui permet de tester différentes disciplines. Je me suis donc essayé à la mode.
Et qu’est-ce qui vous a alors séduit dans cette discipline au point de vous faire changer d’orientation ?
Les étudiants du cursus de mode étaient les premiers arrivés à l’école, et les derniers partis. Leur studio était toujours plein de monde, et ils partageaient même leur vie sociale, ils sortaient ensemble le soir après les cours. J’ai tout de suite aimé ce sentiment d’appartenance à une communauté. Dans le cursus d’art, le studio était vide, chacun travaillait depuis chez lui, selon ses propres horaires. J’ai été séduit par l’excitation qui se dégageait de la mode. C’est comme ça que j’ai bifurqué, de façon très empirique. J’ai eu envie d’essayer cette voie, cela me semblait juste à l’époque. À cette période, je ne connaissais vraiment rien à la mode, aucun nom de créateur, je n’avais même jamais acheté un magazine. J’ai appris sur le tas.
“J’ai toujours vu mes parents porter des uniformes, et j’aime l’idée de vêtements qui expriment l’appartenance à une communauté.”
À quoi ressemblaient vos premiers travaux d’étudiant en mode au Central Saint Martins ?
J’ai commencé par la mode féminine et les imprimés. Je me disais que si j’étais nul pour les coupes et les constructions, je pourrais toujours me concentrer sur la création textile. Dans ma deuxième ou troisième année, j’ai découvert l’existence de Walter Van Beirendonck et de Bernhard Willhelm. Leur approche peu conventionnelle m’a fait réaliser que la mode pouvait venir de tous les horizons, et exprimer des idées très diverses. Ce moment a été une sorte d’épiphanie pour moi. Surtout parce que le travail des autres étudiants, à cette époque, était très inspiré par Alexander McQueen. Tout le monde produisait des robes fleuries au kilomètre et des vêtements sombres, néogothiques. J’étais décontenancé parce que ça ne me parlait pas du tout, donc je ne voyais pas comment produire un discours de mode en venant d’où je venais. Mes origines familiales et mes centres d’intérêt semblaient à des années-lumière de tout cela. Je n’avais aucune envie de faire des robes. C’est ainsi que j’ai fini par m’orienter vers le prêt-à-porter masculin, qui semblait plus en phase avec mes envies. J’avais aussi le sentiment que c’était un domaine plus libre, où mes origines familiales importaient peu.
D’où vous vient votre passion de l’uniforme, qui irrigue depuis toujours vos collections ?
Quand j’étais étudiant, je portais tous les jours une vieille veste de livreur [un classique du workwear américain]. J’ai toujours vu mes parents porter des uniformes, et j’aime l’idée de vêtements qui expriment l’appartenance à une communauté. La collection que j’ai présentée pour mon master explorait donc la relation qui existe entre l’habit professionnel et les vêtements liturgiques. Le workwear a des exigences de fonctionnalité, tandis que le vêtement liturgique exprime de façon symbolique l’idée de spiritualité, mais on peut relever de nombreuses similitudes dans leur construction : des formes simplifiées, des vêtements qui sont souvent à taille unique. J’ai donc compris, environ un an après avoir lancé ma marque, que mon travail est fondé sur l’uniforme et les vêtements communautaires. Ce qui vient directement de mes origines familiales et de mon expérience personnelle.
Comment conceptualisez-vous la tension qui existe dans vos collections entre l’inspiration issue des uniformes et la créativité expérimentale débridée de certaines formes de vos vêtements ?
Je cultive depuis mes débuts cette tension entre mes propositions les plus extrêmes et les pièces accessibles et fonctionnelles. Notamment parce que je pense qu’il est important de faire rêver le public avec des défilés spectaculaires. Lorsque j’étais encore étudiant au Central Saint Martins, un de mes amis avait réussi à se procurer deux invitations pour un défilé, et je l’ai donc accompagné. Je me souviens que nous avons sauté dans le métro, puis que nous avons couru. Lorsque nous sommes arrivés, les gens se poussaient pour entrer ou sautaient par-dessus les barrières. L’énergie était incroyable. Les portes se sont fermées juste derrière nous. Je me souviens d’avoir regardé le défilé en pensant que c’était fou de pouvoir provoquer des émotions juste en faisant marcher des mannequins pendant cinq minutes sur de la musique. Mon cœur battait à tout rompre, l’énergie dans la salle était à son maximum. Je crois que c’est à ce moment-là que j’ai décidé que je serais créateur de mode. C’est pourquoi certains de mes looks peuvent sembler extrêmes, car je considère que si je demande à un public de se déplacer, je dois lui offrir un spectacle. Mais même ces looks “extrêmes” jouent avec le fonctionnalisme : certains éléments des vêtements “servent” à quelque chose, d’autres sont purement décoratifs. Une de nos vestes classiques s’ajuste à la taille en tirant sur des fils qui pendent. Sur d’autres pièces, les fils et les liens ne servent à rien. C’est ce jeu autour de la notion de fonctionnalité qui caractérise toutes mes collections.
Considérez-vous le défilé comme un moment d’expression artistique où vous retrouvez votre première vocation ?
Le moment du défilé devrait être un moment de… Comme vous le dites, c’est l’expression d’une idée. J’ai envie de provoquer une émotion dans le public, de susciter une réaction. Peu importe que les gens aiment, détestent ou ne soient pas tout à fait sûrs d’aimer. Effectivement, le défilé est le moment qui cristallise et exprime le travail de toute une saison.
“Le point de départ de cette collection était de créer des pièces qui ressemblent à des radeaux : on pourrait sauter d’un bateau en feu en portant l’une de ces doudounes et flotter dans la mer. Je voulais jouer avec l’idée de protection.”
Vous parliez de vêtements liturgiques et de spiritualité. Votre mode traduit-elle une conscience éthique ?
Elle traduit tout du moins une idée assez romantique du pouvoir de l’uniforme. J’ai porté un uniforme d’écolier, et à l’époque, comme tout adolescent, je trouvais cela oppressant. Mais lorsque j’y repense je comprends que c’était aussi magnifique. Il y avait une journée, chaque trimestre, où nous avions le droit de porter nos propres vêtements. Ce jour-là, les enfants les plus riches portaient des baskets cool et des vêtements de marque, tandis que les gamins les plus pauvres n’avaient rien de tout cela. Au lieu de juger chacun sur sa personnalité, on le jugeait sur son niveau social. C’est peut-être de là que me vient cette vision romantique de l’uniforme comme élément positif dans notre société. D’autre part, dans la “vraie” vie, on voit rarement dans la rue des gens qui portent les mêmes vêtements, par exemple des nonnes ou des mécaniciens. On ne porte plus nécessairement de costume pour travailler dans un bureau. Même les souscultures sont peut-être moins visibles. Donc, la présence de l’uniforme s’est raréfiée.
Dans vos défilés, des éléments sculpturaux tels que des croix, des planches ou un contour de corps interviennent pour prolonger ou “augmenter” les corps des mannequins. Quel rôle jouent-ils pour vous ?
Ces éléments proviennent de mes recherches. Ils ne font pas partie du vêtement, mais flottent devant ou derrière les mannequins, et font donc partie de l’environnement du show. Ils sont comme des éléments de décor qui synthétisent les idées présentes dans les vêtements. La saison dernière, j’ai conçu les silhouettes de corps en réaction à la saison précédente, où les sculptures étaient comme des éléments de mobilier qu’on emporterait avec soi. Pour la collection printemps-été 2019, j’ai voulu exprimer l’idée qu’on n’a peut-être besoin d’aucun objet matériel, mais plutôt d’une autre personne ou même juste de soi-même.
Vous collaborez avec Moncler depuis maintenant deux ans. Quels sont les points d’accroche entre votre style et celui de la marque italienne ?
L’identité de Moncler repose sur les notions de protection et de fonctionnalité, deux notions qui sont également très présentes dans mon travail. J’aborde chacune de mes collections pour Moncler en commençant par une réflexion autour de ces thèmes. J’aime aussi le fait que la marque soit connue pour un produit phare, la doudoune. Cette veste est très légère, fonctionnelle, et c’est également un uniforme urbain.
Est-il exact de penser que votre collection pour Moncler Genius semble sous influence japonaise, comme autant d’armures souples de samouraï ?
Le point de départ de cette collection était de créer des pièces qui ressemblent à des radeaux : on pourrait sauter d’un bateau en feu en portant l’une de ces doudounes et flotter dans la mer. Je voulais jouer avec l’idée de protection. J’aime la dimension sculpturale de la doudoune Moncler, qui rejoint les sculptures que je produis pour mes défilés. C’est de là qu’est venue l’idée de ces armures souples. Comme si on superposait des gilets de sauvetage et des bouées. Les pièces sont équipées de tubes mous, comme ceux qui servent à gonfler les gilets de sauvetage. Je collabore avec Moncler depuis 2017. Pour cette collection du projet Genius, Remo Ruffini, le P-DG de Moncler, m’a demandé de ne pas me censurer, de faire les pièces les plus extrêmes possible. Travailler avec une personne qui encourage l’étrangeté, c’est à la fois rare et précieux.