20 déc 2019

Manfred Thierry Mugler: génie méconnu de la photographie?

L'immense créateur de mode et directeur artistique Manfred Thierry Mugler révèle au sein d'une exposition et d'un livre, ses incroyables clichés pour sa maison de couture ou pour des magazines. Rencontre.

On vous connaissait couturier, créateur de mode, parfumeur, réalisateur de clips, mais photographe pas vraiment, comment en êtes-vous venu à utiliser ce médium?

Manfred Thierry Mugler : J’ai toujours adoré faire de la photo. j’ai réalisé mon premier court-métrage à 12 ans et ma première photo de mode à 14 ans. Ça a toujours été un outil qui m’a intéressé car il offrait un autre point de vue. Finalement tout est lié : le spectacle, la mise en scène, la mode, la photo…

 

Quels photographes vous ont inspiré?

J’étais fasciné par les grands photographes d’Hollywood et les retoucheurs qui ajoutaient de la lumière et transformaient les lignes à la main. Tout cela est un art complètement à part et sublime. J’étais très admiratif aussi du travail de Edward Sheriff Curtis qui a photographié les Indiens, Leni Riefenstahl ou Horst P. Horst. 

 

Comment en êtes-vous arrivé à shooter vos propres campagnes?

Je suis devenu vraiment professionnel avec la deuxième campagne que nous avons faite avec Helmut Newton. J’intervenais un peu trop sur le shooting d’Helmut tant et si bien qu’à un moment, il m’a donné l’appareil et m’a dit de prendre les photos moi-même! J’ai donc réalisé la campagne suivante, et là je suis devenu professionnel.  

 

 

C’est incroyable en effet, car ces photos ont l’air sophistiquées et graphiquement parfaites alors qu’elles ont été réalisées sans photomontage ni retouches

CHRYSLER BUILDING (NEW YORK – ETATS-UNIS), 1988. Claude Heidemeyer en “Vertigo” de Mugler.

Certains clichés semblent défier les lois de la physique, comment avez-vous fait? Aviez-vous toutes les autorisations? 

Il y a différents cas. C’est pour cela que je me considère également comme un photographe reporter. Toutes ces photos nécessitaient des plans d’attaque : j’avais l’image exacte préparée grâce à des Polaroid que je recadrais avec du chatterton. Nous avions des autorisations mais nous débordions souvent. C’était comme les services secrets, nous préparions différents plans d’attaque pendant des semaines pour y arriver, et nous avons pris de très gros risques.

 

Pensez-vous que ces photos soient réalisables encore aujourd’hui?

C’est un autre attrait de mes photos… je pense que non, ce ne serait plus possible de les réaliser aujourd’hui. Beaucoup de ces lieux sont inaccessibles désormais.

 

ERG MEHEDJEBAT (SAHARA ALGÉRIEN), 1985. Iman Abdumajid en « Seins d’or massif” de Mugler

Ce qui frappe le plus dans ces images est le réalisme, y a-t-il des trucages?

C’est incroyable en effet, car ces photos ont l’air sophistiquées et graphiquement parfaites alors qu’elles ont été réalisées sans photomontage ni retouches… tout est réel ! Sur place, il y avait tout un matériel – des échelles, des cubes, etc. – qui permettait de placer le mannequin de façon à ce qu’en contre-plongée j’évite la barre du balcon, par exemple. 

 

Ce qui est frappant également, c’est que sur certaines photos on ne voit quasiment pas la mannequin, il s’agit plus d’images inspirationnelles que d’images de mode proprement dites…

C’était souvent plus fort que moi de chercher une image de rêve… je cherchais à montrer un monde, ainsi qu’un point de vue de la réalité. Par exemple, si vous décadrez un peu l’image avec l’étoile rouge,  vous voyez les vaches noir et blanc et l’herbe verte. La photo a été prise dans un pré. Pareil pour la photo sur le toit du Cnit, on voit un univers comme une immense coquille de glace, et en fait à quelques centimètres il y a le métro. C’était une vision de la réalité. 

 

VOLGOGRAD (RUSSIE), 1986. Stepanek et Angela Wilde en “Blés d’or” de Mugler

Le cadrage était donc réellement important?

Il fait complètement partie de ma recherche. Il s’agit d’un point de vue poétique sur la vie quotidienne et des choses qui existent. Pourquoi aller dans des endroits aussi extrêmes? Car je cherchais les ingrédients de qualité pour avoir cette image sublime. Ce n’est pas un petit bout de désert en Tunisie ou au Maroc qui fait l’affaire. Si vous voulez un vrai beau désert, il faut aller en Namibie où l'on trouve les dunes les plus grandes du monde, ou dans le sud du Sahara, à la frontière de la Libye. De même, pour les statues gigantesques qui sont des merveilles de l'Art déco, il faut se rendre en Chine populaire ou en URSS. Mais tout cela nécessite une recherche et l'effort d’aller à l’autre bout du monde.

 

Où puisiez-vous vos idées pour faire ces photos?

Souvent dans la collection elle-même, puisque ces images étaient au départ des campagnes pour la maison Mugler ou pour des magazines. Il y avait un thème : russe, africain ou le Sahara… Et s’il n’y avait pas de thème, je pensais les images en ricochet avec la saison précédente pour créer une nouvelle aventure. On sortait de l’Afrique pour se rafraîchir au pôle Nord. C’était une recherche tant chromatique qu'esthétique. 

 

 

 

CAMPAGNE DE VOLGOGRAD (RUSSIE), 1996 – Angela Wilde en Azzedine Alaïa

Quelles sont vos images préférées, et pourquoi ? 

L’étoile rouge est une merveille car elle est issue du hasard. C’était dans la campagne de Volgograd en Russie, nous nous étions rendus dans un village pour photographier une statue. Soudain, au milieu de la route, j'aperçois cette étoile dans un champ. Le shooting a été très facile : assez de largeur pour que la mannequin soit à l'aise, nous n’avons même pas eu besoin d’un fil de Nylon pour tirer la robe – c'est une Azzedine Alaïa, d’ailleurs – il y avait la brise qu’il fallait. Une autre photo me touche beaucoup, c'est celle que nous appelons “Les Blés d’or”,  où figure ce couple idéal qui regarde vers le futur, et qui représente l’idéal pour toute une génération des pays de l’Est. Et puis il y a Iman [la mannequin, qui était mariée à David Bowie] dans le désert… Le temps de grimper sur la dune, il était 5 heures du matin, avec ces ombres, ces lumières sublimes et cette beauté à tomber par terre.
 

Entre l'exposition dédiée à vos créations présentée au Kunsthal​ de Rotterdam (après le Canada), et cette nouvelle exposition photo consacrée à votre livre, ces dernières années vous ont donné l’occasion de vous replonger dans le passé. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur vos collections et vos images?

Ce qui m’a le plus touché, c’est de revoir toutes ces créations de près et de sentir la main humaine dans tout cela. Constater le travail de toutes les équipes que je fédérais et motivais nuit et jour. Le travail que l'on sent derrière chaque création me touche.

 

Aviez-vous l’impression à l’époque de révolutionner la mode et d’apporter une contribution aussi importante à son histoire?

J’étais conscient de faire quelque chose qui n’existait pas. J’étais complètement sûr de moi, d’ailleurs je vivais dans mon univers sans regarder ce que faisaient les autres. Encore maintenant, je sens à propos du ballet McGregor + Mugler dont j'ai signé la direction artistique avec Wayne McGregor, qu’il n’y a aucune référence car  tout est totalement mélangé. On cassait vraiment les codes.

 

 

EXPOSITIONS

Manfred Thierry Mugler Photographe” à la Polka Galerie jusqu'au 11 janvier 2020 – Cour de Venise ,12, rue Saint-Gilles Paris III
 

Thierry Mugler: Couturissime” au Kunsthal jusqu'au 8 mars 2020, Rotterdam

 

LIVRE

Ouvrage “Manfred Thierry Mugler Photographe” aux éditions de la Martinière