Louboutin, Newton, Bérard : 3 expositions de mode à voir absolument à Monaco cet été
Les souliers extraordinaires de Christian Louboutin, les photographies délicieusement subversives de Helmut Newton ou encore les dessins et costumes iconiques de Christian Bérard : tout l’été, Monaco propose d’échapper pendant quelques instants à la chaleur brûlante du soleil en s’offrant des visites dans trois lieux emblématiques du Rocher, pour y découvrir des expositions consacrées à trois figures incontournables ayant marqué l’histoire de la mode de 1920 à 2022.
Par Erwann Chevalier.
1. Les clichés subversifs et provocateurs de Helmut Newton
Des images provocatrices, transgressives et désinhibées dans un noir et blanc signature au contraste léché… on reconnaît bien là l’œuvre de Helmut Newton. Tout au long de sa carrière, le photographe de mode australien d’origine allemande n’a cessé de frôler la controverse tant ses clichés d’une composition remarquable, mettant en scène des femmes aux formes sculpturales, nues ou habillées, ont sublimé l’érotisme à la très fine frontière de la pornographie fétichiste. Jusqu’au 13 novembre, le Nouveau Musée National de Monaco (NMNM) propose de parcourir, au sein de la somptueuse Villa Sauber, l’œuvre d’un virtuose de la prise de vue de la fin du 20e siècle à travers 280 images réalisées au fil des 25 dernières années de sa vie : parmi elles, bon nombre sont aujourd’hui devenues célèbres voire iconiques, mais l’exposition offre également l’occasion de découvrir des photographies rarement exposées au public, à l’instar d’une série de clichés en noir et blanc des danseurs étoiles du ballet de Monaco, prêtée par la princesse Caroline de Monaco elle-même. Car le Rocher occupe une place de choix dans la vie et la carrière de Helmut Newton. Quand il ne fuit pas le ciel gris de Paris pour Los Angeles, c’est enfin dans la principauté méditerranéenne que le photographe né en 1920 pose définitivement ses valises en 1981 avec sa femme June. Alors au sommet de sa carrière, il fait de la Côte d’Azur son terrain d’expérimentation, repoussant toujours plus loin les limites de l’acceptable à travers des clichés à la fois ironiques et élégants dépeignant un glamour subversif, à l’image d’une campagne pour Versace en 1986, où des modèles en talons aiguilles et robes noires moulantes posent avec allure dans un chantier de la ville. Si l’exposition intitulée “Newton, Riviera” s’intéresse à cette dernière période de sa carrière qui s’écoulera jusqu’en 2004, année de son décès, on y découvre notamment les premiers paysages du photographe, un genre photographique qu’il a exploré tardivement et uniquement sur le Rocher, à côté de sa très personnelle série “Yellow Press”, inspirée du décor d’une scène de crime. Réalisé en 1980, l’une des célèbres photographies issue de la série Big Nude, sur laquelle une femme se tient nue de face, fière et droite soutenant un regard dominant, volerait presque la vedette à un cliché intime du créateur Karl Lagerfeld, allongé sur un lit en maillot de corps. Fil rouge de l’exposition, la photographie y est complétée par la reconstitution du salon de l’appartement monégasque de Helmut Newton, avec la présence du mobilier authentique de l’artiste.
Helmut Newton, “Newton, Riviera” jusqu’au 13 novembre 2022 à la Villa Sauber, Nouveau Musée National de Monaco (NMNM), Monaco.
2. Les souliers extraordinaires de Christian Louboutin
Il y a deux ans, Christian Louboutin, l’un des chausseurs les plus renommés de notre époque, s’offrait une exposition au palais de la Porte Dorée dans le 12e arrondissement de Paris, érigeant ses escarpins, bottines, sandales et cuissardes à l’iconique semelle rouge au rang d’œuvre d’art. En 2022, l’exposition “Christian Louboutin, L’exhibition[niste]” s’exporte à Monaco, pour présenter son second volet, où l’accessoire d’origine fonctionnel se voit une fois de plus magnifié par une mise en scène spectaculaire – carrousel géant de souliers, escarpins présentés sous cloches ou, dans une autre salle, à travers d’élégantes silhouettes en ombres portées. Véritable cabinet de curiosités déployé sur 2000 m2 de surface au sein du Grimaldi Forum, l’exposition mélange les genres dans l’esprit d’ouverture qui a toujours caractérisé le créateur parisien, âgé aujourd’hui de 59 ans. Jeux de lumières déroutants, vitraux sur mesures, mannequins en cuir, remarquable autel en cristal, effeuillage de l’artiste burlesque Dita von Teese en hologramme et, bien sûr, dizaines de souliers aux formes extraordinaires… tout est ici mis en œuvre pour apprécier dans les meilleures conditions le travail du chausseur, tout en découvrant ses tous premiers modèles, à l’instar d’un étonnant escarpin en peau de maquereau nacrée. Néanmoins, au-delà de son impressionnante scénographie, l’exposition dépeint l’histoire d’un empire où le soulier règne en maître, bien que le fondateur refuse de la qualifier de “rétrospective”. “Je préfère [le terme] de ‘célébration’, qui s’inscrit dans le présent, le passé, mais aussi dans l’avenir, avec son lot de surprises que j’attends avec impatience”, confiait le créateur à Numéro lors de l’inauguration du premier volet de cette exposition à Paris. Dans ce parcours surprenant, le créateur a laissé une place à des projets artistiques qui viennent nourrir son univers, à l’image de l’hypnotique fresque en mouvement de l’artiste néo-zélandaise Lisa Reihana – que le créateur a rencontrée lors de la Biennale de Venise en 2017 – qui retrace les moments et les endroits clés de la carrière de Christian Louboutin, ou des sculptures féminines de la figure britannique du néo pop art Allen Jones, auquel ce dernier a donné vie grâce au motion design et à la 3D sur un écran de onze mètres. Plus loin, un mystérieux corridor en vinyle noir appelé “Fétichisme” dévoile une série de photographies du cinéaste David Lynch mettant en scène des femmes dans des souliers Louboutin, dont les formes extrêmes et talons vertigineux n’ont pas tant été créés pour marcher que pour susciter le fantasme et repousser les limites de la création de chaussure. Jusqu’à la fin août, cette célébration de Christian Louboutin à Monaco résonne comme un hommage à la princesse Caroline, qui fut l’une de ses premières clientes et qu’il appelle volontiers “sa bonne fée”, la considérant comme celle qui aurait contribué à assurer à sa maison la renommée internationale que l’on lui connaît aujourd’hui.
“Christian Louboutin L’Exhibition[niste], Chapter II”, jusqu’au 28 août 2022 au Grimaldi Forum, Monaco.
3. Les dessins, costumes et décors fabuleux de Christian Bérard
Sur les hauteurs de Monaco se dresse face à la mer Méditerranée la Villa Paloma. Véritable écrin entre terre et mer, ce bâtiment accueille, cet été, les œuvres de l’artiste peintre, illustrateur, scénographe, dessinateur de mode, décorateur, mais aussi créateur de costumes pour le théâtre et le cinéma français Christian Bérard (1902-1949). Si jusqu’à aujourd’hui aucun musée parisien ne s’est risqué à exposer cet artiste de la première moitié du 20e siècle, souvent qualifié d’“inclassable”, le Nouveau Musée National de Monaco (NMNM) présente une exposition intitulée “Excentrique Bébé”, d’après le surnom affectueux attribué à l’artiste par ses amis. Déployée sur trois étages et orchestrée par le duo de collectionneurs parisien Jacques Grange et Pierre Passebon, la rétrospective présentant ses travaux réalisés entre 1925 à 1949 comporte aussi bien son premier projet comme chef costumier en 1932 pour les Ballets russes que ses dessins réalisés lors de ses multiples visites à la Villa Noailles à Hyères. Douce et colorée, dans un décor intimiste, paisible et ensoleillé, cette exposition met en scène l’esprit libre et excentrique de Christian Bérard, à travers ses nombreux talents reconnus par les plus grands de son époque : Jean Cocteau, Christian Dior, Yves Saint Laurent ou encore Gabrielle Chanel (dont il a esquissé le portrait à maintes reprises). Au premier étage, Jacques Grange reproduit, pour l’occasion, le salon fumoir du couple de mécènes Charles et Marie Laure de Noailles à Paris, avec une galerie de portraits réalisés par Bérard, dont un autoportrait se dévoile parmi eux à côté de lourds rideaux en plâtre blanc. Au deuxième étage, nommé “Merveilleux”, sont évoquées ses relations avec les acteurs majeurs de la mode à travers de nombreux projets, comme ses dessins faisant la une de magazines, mais aussi son rôle de directeur artistique dans l’exposition “Le théâtre de la mode”, destinée à promouvoir la couture française à travers le monde grâce à deux cent mannequins de fil de fer dans quatorze décors réalisés par Bérard lui-même en 1945. Au troisième étage, en souvenir de ses voyages de jeunesse en Italie, la Villa Paloma propose, enfin, de découvrir plusieurs de ses décors, des panneaux peints inspirés par la peinture du Quattrocento, dont un paravent pour l’appartement parisien d’Elsa Schiaparelli qui était l’une de ses amis proche. Dans ses mémoires publiées en 1954, la créatrice de mode d’origine italienne confie notamment : “travailler avec des artistes tels que Bébé Bérard […] avait quelque chose d’exaltant. On se sentait aidé, encouragé, au-delà de la réalité matérielle et ennuyeuse, qu’est la fabrication d’une robe à vendre.” Si la Villa Paloma à Monaco consacre une exposition entière à la carrière de Bérard, de son coté, le musée des Arts décoratifs (MAD) de Paris propose, entre autres, d’apprécier la relation fructueuse entre l’artiste et la couturière de génie au sein de la rétrospective consacrée à Elsa Schiaparelli.
Christian Bérard, “Excentrique Bébé”, jusqu’au 16 octobre 2022 à la Villa Paloma, Nouveau Musée National de Monaco (NMNM), Monaco.