L’expo du mois : la rétrospective Giuseppe Penone par Fendi
La maison Fendi présente à Rome une rétrospective de Giuseppe Penone, figure majeure de l’arte povera. Dans le cadre historique du Palazzo della Civiltà, son œuvre résonne avec une particulière acuité.
Par Delphine Roche.
À Rome, une poignée d’arbres étranges opposent leurs silhouettes graciles aux formes régulières et majestueuses du Palazzo della Civiltà Italiana. Jusqu’au mois de juillet, la maison Fendi, qui a fait de ce bâtiment son quartier général, propose dans ses vastes espaces une rétrospective de Giuseppe Penone conçue par le curateur Massimiliano Gioni. Dans ce lieu historique majeur réhabilité par Fendi, les œuvres de l’artiste se déploient et entrent en résonance avec les paysages romains aperçus à travers les immenses fenêtres. L’architecture du lieu, surréaliste et hypnotique, avec ses 216 arches inspirées des peintures métaphysiques de Giorgio De Chirico, vient apporter sa contribution au débat incessant auquel se livrent, dans les sculptures de cette figure majeure de l’arte povera, les éléments naturels et ceux fabriqués par la main de l’homme. L’exposition commence à l’extérieur, où les 28 statues en marbre de Carrare qui bordent la bâtisse ont trouvé un nouveau compagnon inattendu : un tronc de sapin de 20 mètres de haut, fin et tortueux, coulé dans du bronze, paré de tubes lisses en acier. Œuvre récente de Giuseppe Penone, Abete est présentée au public romain pour la première fois. Ce gardien impérieux veille sur la quinzaine de créations exposées dans les salles, qui constituent la rétrospective du travail de l’artiste italien, intitulée Matrice. L’œuvre éponyme est particulièrement frappante : surélevé et posé à l’horizontale, un tronc de sapin de 30 mètres a été évidé, suivant l’un de ses cernes de croissance. À l’intérieur de ce moule creux, du bronze a été coulé, créant une forme à la fois parfaitement organique, puisqu’elle épouse celle de l’arbre, et pourtant totalement exogène à son habitacle. Ainsi naît un dialogue intime des matières éminemment symbolique de la réflexion de l’artiste, portant à la fois sur le temps et sur la nature de l’art. “Tout mon travail est une réflexion sur la sculpture, explique-t-il. L’art, et particulièrement la sculpture, qui crée souvent des pièces imposantes, exprime l’espoir d’engendrer quelque chose de stable, d’immuable, qui nous survivra. Mes œuvres tendent à montrer que cet espoir est vain, car tout ce que fait l’homme est pris dans un flux temporel, au même titre que ce que produit la nature. La culture, ce n’est jamais que la nature spécifique à l’homme. Ici, au Palazzo della Civiltà, ce fait s’exprime avec une plus grande acuité car les formes naturelles contrastent avec une architecture qui a été pensée pour exprimer le pouvoir de l’homme. Je crois que c’est cela qui m’a particulièrement intéressé : l’introduction d’éléments végétaux dans ce lieu tout en travertin, marqué par le minéral.”
Dans Ripetere il bosco, Penone dénude des poutres manufacturées pour révéler, à l’intérieur de l’objet lisse aux formes égalisées par l’homme, les nœuds du bois, vitaux et irréguliers. Cette réflexion sur la vie propre des matières naturelles rapproche évidemment l’artiste italien de la maison Fendi, dont on connaît l’engagement pour l’artisanat et l’expertise dans le travail de la fourrure. “La connaissance de la matière nourrit mon œuvre, poursuit Penone. Nous vivons avec nos yeux, notre cerveau et nos mains. Les parties de notre être ont besoin les unes des autres pour accéder à la compréhension de la réalité. C’est pourquoi, quand je sculpte le marbre, je suis ses veines, je produis une forme suggérée par la matière elle-même. Mais le mot ‘veine’ lui-même implique déjà une vision anthropomorphe de la réalité. Lorsque je sculpte le marbre, je travaille donc à la fois la matière et l’histoire de la sculpture, qui est liée au marbre.” L’imbrication de l’homme et de la nature trouve son expression ultime dans Foglie di Pietra, œuvre magistrale constituée de deux arbres de bronze de 9 et 18 mètres de haut, entremêlant leurs branches pour maintenir à 5 mètres du sol un bloc de marbre sculpté. Placée à partir de la fin mai devant le Palazzo Fendi, Largo Carlo Goldoni, la sculpture devient un monument public offert à la ville de Rome. Ainsi installée au cœur de la Ville éternelle, elle symbolise toute la beauté tragique de notre civilisation occidentale partagée entre ses aspirations à la grandeur et la fragilité, la mortalité de l’homme. Une invitation à méditer sur la splendeur de l’Histoire qui pèse son poids, sur la chute comme destin (précipité par les forces physiques de la gravité), et sur la nature qui poursuivra son œuvre, avec ou sans nous.