Le tweed : du tissu porté par les paysans anglais aux collections Chanel
Si le tweed est à l’origine une matière portée principalement par les fermiers pour se protéger du climat froid et humide de la Grande-Bretagne au XIXe siècle, ce tissu en laine cardée est devenu au fil des siècles la coqueluche des plus grands créateurs de mode. D’abord popularisé par Gabrielle Chanel dans les années 20, on le retrouve désormais sur tous les podiums, revisité à l’infini dans différentes couleurs, coupes et usages.
Par Anna Venet.
Comment parler du tweed sans penser à la maison de couture qui l’a rendu célèbre dans le monde entier ? Lorsque Gabrielle Chanel découvre le tweed, dans les années 20, elle en tombe follement amoureuse. Depuis cette date, il n’existe pas une collection de la maison Chanel où le tweed n’est pas présent, décliné aussi bien en vestes, pantalons, robes et même en accessoires… Le tweed est conçu à partir de fibres de laine cardée. Le cardage est une opération de démêlage d’une fibre naturelle permettant d’obtenir des fils d’aspect brut (qui peuvent être encore travaillés pour être rendus plus lisses). Si cette matière popularisée par la maison est désormais synonyme de luxe dans l’esprit de tous, son origine se situe bien loin des catwalks et de la rue Cambon. C’est en effet dans l’Écosse du début du XIXe siècle que cette matière a vu le jour. Au départ, le tweed était principalement porté par les fermiers et paysans pour son confort et sa résistance, puisque ces derniers étaient chaque jour confrontés au temps capricieux de la Grande-Bretagne. Tissées à la main à partir de laine de mouton cheviot par ceux qui les portaient, les premières versions de ce tissu étaient plutôt lourdes (600−800 g/m), et déclinées dans des couleurs sombres. Quant à son nom, plusieurs hypothèses subsistent. Interrogée par Numéro, Fiona Anderson, auteure du livre Tweed publié en 2016, explique que, d’après ses recherches, “le nom de “tweed” est né d’une déformation du mot écossais “twill”, qui signifie “sergé” et qui fait donc référence à ce type de tissage”. Pour d’autres, ce mot vient de la rivière nommée Tweed qui est à la frontière de l’Angleterre et de l’Écosse. Enfin, une autre histoire raconte qu’en 1826, un vendeur londonien aurait accidentellement transcrit une commande de “twill” et aurait écrit “tweed” à la place, ce qui aurait depuis généralisé l’usage de ce nom.
Quoi qu’il en soit, ce n’est qu’au début du XXe siècle que le tweed se diversifie et arrive en ville. L’industrie du tweed, dominée par la société Harris Tweed depuis sa création en 1846, se modernise, et différentes entreprises commencent à proposer différents types de tweeds. De nouveaux motifs et de nouvelles couleurs voient le jour. Le tweed devient plus léger, moins rugueux (340 g/m) et plus attrayant, se déclinant désormais en rouge, orange ou encore vert. Les gentlemen et aristocrates de l’époque s’intéressent alors à ce tissu pour leurs tenues de sport et de loisirs à l’instar de la chasse, la pêche et la marche à pied. Le tweed sera ensuite utilisé pour la création de chapeaux, de capes, de costumes et de tailleurs, toujours destinés à la gent masculine. Jusqu’ici, le tweed était une matière exclusivement dédiée aux hommes, jusqu’à ce que mademoiselle Chanel change la donne dans les années 20. C’est lors de sa liaison avec le duc de Westminster que la créatrice découvre la matière en observant les vestes de pêche et de chasse en tweed qu’il portait sur son domaine écossais. Coco Chanel emprunte alors cette matière exclusivement réservée au vestiaire masculin, comme le jersey, pour l’utiliser dans ses propres collections.
Mais la créatrice n’est pas la seule à avoir utilisé ce tissu. “Le tweed s’est véritablement popularisé dans la mode française grâce à Gabrielle Chanel, mais aussi grâce au créateur Jean Patou, précurseur du sportswear, qui proposait également des pièces en tweed dans sa boutique Le Coin des Sports, dès 1925”, affirme l’auteure Fiona Anderson. Cependant, le tweed arrive à son apogée lorsque Chanel, en 1954, commercialise ses premières vestes en tweed, qui deviendront par la suite l’emblème de la maison dans le monde entier. La créatrice propose alors à sa clientèle des vestes à la coupe droite, mais aussi des jupes s’arrêtant aux genoux, sans artifice et principalement dans des tons noirs et blancs. Ces vêtements minimalistes détonnent alors à côté des robes corolle et des balconnets présents dans les silhouettes de l’époque. Face au « New Look » corseté de Christian Dior, Chanel, de son côté, séduit les femmes avec ses ensembles et tailleurs confortables et fonctionnels. Le succès sera aussi fulgurant auprès des célébrités. Brigitte Bardot, Romy Schneider ou encore la princesse Diana ont toutes adopté le tweed façon Chanel, qui s’est très rapidement imposé comme l’uniforme de la femme active du XXe siècle.
Matière traditionnelle s’il en est, le tweed sait exprimer comme nul autre le talent des créateurs qui s’en emparent, désireux de réinventer cette matière historique. “Les designers le réinventent à travers de nouvelles textures, coupes et couleurs”, affirme l’auteure Fiona Anderson. Chanel ne cesse de réinventer son emblématique tweed à chaque collection : brodé, orné de chaînes, de perles ou de cristaux, décliné dans des tonalités acidulées ou encore assemblé à d’autres matières inattendues comme le jean ou la dentelle. Que ce soit sous l’ère Karl Lagerfeld de 1983 à 2019 ou sous la houlette de Virginie Viard qui lui a succédé, la veste en tweed culte de la maison s’adapte au monde nouveau tout en conservant son ADN. Chez d’autres créateurs aussi, comme Olivier Rousteing pour Balmain ou Alessandro Michele pour Gucci, le tweed s’invite aussi bien dans les collections féminines et masculines, aussi bien sous la forme de robes ajustées parées de boutons dorés que sous la forme de gilets oversize. Chez Dior aussi, la directrice artistique de la maison Maria Grazia Chiuri a dévoilé une collection haute couture automne-hiver 2021-2022 célébrant les tissus, avec la plupart des silhouettes entièrement faites de tweed. Pour la collection Saint Laurent automne-hiver 2021-2022, Anthony Vaccarello a aussi mis le tweed à l’honneur, mêlant tailleurs style années 60 à des pièces esprit disco. Enfin, le label japonais Sacai piloté par la créatrice Chitose Abe, connu pour son hybridation des styles, a même revisité le tweed dans sa collaboration avec l’artiste Kaws en mars 2021.