25 août 2021

Le jour où Richard Avedon a réalisé la photographie de mode la plus chère de l’histoire

En 1955, alors qu’il travaille pour le célèbre magazine Harper’s Bazaar, le photographe de mode américain Richard Avedon réalise la photographie qui deviendra plus tard l’une des plus célèbres dans son domaine et même la plus chère au monde, Dovima with elephants…

Par Anna Venet.

Si Richard Avedon est aujourd’hui l’un des photographes de mode les plus reconnus, il a pourtant commencé sa carrière bien loin des mannequins et des studios feutrés. Au début des années 40, dans un contexte de Seconde Guerre mondiale, le jeune homme d’à peine vingt ans s’engage dans la marine américaine après la bataille de Pearl Harbor et devient le photographe attitré des équipages. En 1944, il retourne à New York et travaille comme photographe publicitaire pour un grand magasin. C’est à ce moment-là que son travail est repéré par Alexey Brodovitch, alors directeur artistique du célèbre magazine de mode Harper’s Bazaar. Richard Avedon rejoint alors le journal un an plus tard, et fait ses premiers pas dans l’image de mode en tant que directeur de la photographie. Alors que le succès de Harper’s Bazaar est à son apogée pendant les années 50, grâce à sa rédactrice en chef Carmel Snow mais aussi à sa rédactrice mode Diana Vreeland, l’Américain se démarque par ses photographies en action remplies d’audace, bien différentes des clichés figés et des mannequins sans émotions récurrents à l’époque. 

 

En 1955, alors que Avedon travaille pour ce magazine de mode depuis dix ans, Carmel Snow prépare un reportage sur Paris et la mode parisienne de quatorze pages pour le numéro de septembre, le “Carmel Snow’s Paris Report”, et demande au photographe de l’accompagner pour réaliser une série d’images. C’est alors en plein cœur du Cirque d’Hiver, salle de spectacle du onzième arrondissement de la capitale, qu’il décide de faire sa prise de vues. Pour incarner la série, il choisit la mannequin américaine Dovima, grande brune au teint de porcelaine et aux lèvres rouges, dotée d’une taille de guêpe et d’un regard envoûtant. Dans les années 50, Dorothy Virginia Margaret Juba – de son vrai nom – représente la femme idéale et fait partie des mannequins les mieux payées de l’industrie. Dans un décor dépourvu de tout attribut superficiel, seulement illuminé par une verrière laissant entrer la lumière naturelle, Dovima pose entourée de trois éléphants dans une robe de soirée Christian Dior dessinée par le jeune assistant du couturier français à l’époque, un certain Yves Saint Laurent.

 

Robe fourreau en velours noir très près du corps, décolleté discret, longue ceinture de satin drapé… La pièce est l’une des toutes premières créations du jeune Yves Saint Laurent pour la maison, créée pour la collection haute couture automne-hiver 1955-1956 de Dior. Quant à la photographie, en noir et blanc, elle est intitulée sobrement par Richard Avedon Dovima with elephants. À sa sortie dans le numéro de rentrée du magazine de mode américain, le cliché est très vite acclamé par la critique, aussi bien pour sa juxtaposition de contrastes réussie que pour sa composition parfaite entre le corps de la mannequin et celui des pachydermes. La pose de Dovima, déhanchée, le visage tourné vers l’un des éléphants et les bras grand ouverts avec une main posée sur l’une des trompes, a aussi été largement admirée pour sa grâce indéniable. Si cette image est déjà considérée comme l’une des plus célèbres de l’histoire de la photographie de mode, un second cliché vient compléter la série, moins connu que le précédent : on y voit également Dovima entourée d’éléphants mais cette fois-ci habillée d’une robe bustier blanche, toujours signée Christian Dior. 

 

Ce qui a véritablement marqué les esprits, c’est l’alchimie évidente entre le modèle et l’animal, qui fait de Dovima with elephants le premier cliché du genre (placer des animaux au sein de photographies de mode) à être abouti — malgré les essais considérés comme ratés des photographes Martin Munkácsi et Louise Dahl-Wolfe dans les années 40. Pourtant, Richard Avedon n’est pas entièrement satisfait de son œuvre, qui sera volontairement absente de son autobiographie publiée en 1993. Mais dix-sept ans plus tard, le 20 novembre 2010 à Paris, le cliché devient lors d’une vente aux enchères organisée par Christie’s le plus cher de l’histoire. Plus précisément l’un de ses tirages grand format, réalisé en 1978 pour l’exposition “Richard Avedon : Photographs 1947-1977” au Metropolitan Museum of Art, puis mis de côté pendant vingt-cinq ans dans l’entrée du studio du photographe, adjugé au prix de 841 000 euros à la maison Christian Dior. Une manière remarquée de faire entrer cette image dans la légende.