28 mar 2022

Le jour où Andy Warhol a dessiné sa paire de mocassins Berluti

Du photographe Edward Wallowitch à l’assistant commercial Sam Bolton, en passant par le poète John Giorno, les amours d’Andy Warhol ne sont pas inconnues et le nouveau documentaire Netflix Le journal d’Andy Warhol les décrit avec émotion. Mais il en est un peut-être moins connu que les autres : son amour pour les mocassins de vaches transgressives.

https://youtu.be//R0r_kx6aiT8

En 1962, alors que sa célèbre œuvre de pop art Campbell’s Soup Cans – trente-deux posters représentant chacun la même boite de conserve – exposée à la galerie Ferus de New York fait sensation, Andy Warhol franchit pour la première fois les portes de la boutique Berluti, à New York. Une rencontre entre le chausseur italien et le roi du pop art qui marque les débuts d’une longue histoire d’amour… Séduit par le savoir-faire incomparable de la maison française fondée en 1895 et spécialisée dans les souliers en cuir italiens, il esquisse sur un coin de table de la boutique le croquis des chaussures de ses rêves : une paire de mocassins dont le style mêle classe et décontraction avec un soupçon de dandysme. L’insolente modernité de leurs bouts allongés et carrés déplaît à Torello Berluti, héritier du fondateur, à la tête de la maison. Séduite pas la hardiesse du croquis, Olga Berluti, la cousine du fils de Torello, alors apprentie au sein de la maison, et qui confiera plus tard “la création commence par la désobéissance”, réalise le modèle en cachette avec des peaux trouvées à l’atelier. Mais le bichonnage du cuir (technique d’entretien consistant à nettoyer, nourrir, pigmenter et protéger le cuir) révèle un défaut détecté trop tardivement et rédhibitoire pour toute marque de luxe qui se respecte : une épaisse veine barre la partie supérieure du mocassin. La légende veut que la jeune bottière expliquât au Pape du pop art que ces mocassins étaient spéciaux car confectionnés avec le cuir d’une vache “transgressive” aimant se frotter aux barbelés. Amusé par cette touche unique et surréaliste, l’artiste lui aurait alors répondu : “dorénavant je ne veux plus que des souliers fabriqués dans la peau de vaches transgressives”. Les mocassins Andy étaient nés.

 

Depuis, le mocassin “Andy” a rejoint son créateur au panthéon des icônes. Devenu un modèle incontournable de la maison, il se transforme au gré des saisons et des modes sans jamais rien perdre de son élégance et de son aura facétieuse. En 2012, pour célébrer leurs 50 ans, Berluti va même jusqu’à transformer ses mocassins Andy en œuvre pop, en les déclinant dans des couleurs vives comme le bleu roi ou le rouge cerise tandis que pour les 125 ans de la maison, en 2020, en collaboration avec la Monnaie de Paris, une pièce d’or ou d’argent était glissée sous la languette, ajoutant encore plus de valeur à l’un des mocassins parmi les plus chers au monde. En 2022, alors que la maison célèbre son savoir-faire et son artisanat, Andy Warhol et ses mocassins en cuir de vaches transgressives se retrouvent de nouveau en haut de l’affiche, aux côtés d’une autre star, l’acteur italien Marcello Mastrioanni, qui se chaussait également chez Berluti. “Mastrioanni et Warhol incarnent cette élégance incomparable et intemporelle qui fait l’essence de la maison”, explique Antoine Arnault, directeur général de Berluti, “C’est le moment pour Berluti de réaffirmer haut et fort son identité et son ADN qui ont été façonnés par des clients éternels et des modèles iconiques”.

 

L’art du style – tout en élégance et en nonchalance – cultivé par Andy Warhol n’est pas sans rappeler la “sprezzatura”, terme inventé à la Renaissance par Baldassare Castiglione dans Le Livre du courtisan (1528), qui prônait que “l’art réussi est celui qui paraît sans effort”. Le documentaire Netflix, Le journal d’Andy Warhol en six parties (tiré du livre éponyme publié en 1989) nous révèle ainsi une personnalité singulière qui avait fait de sa vie toute entière une œuvre d’art. Et l’histoire d’amour entre Andy Warhol et les chaussure ne s’arrête pas là puisqu’ il aurait également inspiré la fameuse semelle rouge à un autre illustre créateur de souliers français.