10 nov 2020

Le collectif (La)Horde danse sous la glace pour Burberry

La maison Burberry dévoile aujourd’hui le film de sa campagne “Festive” qui célèbre le talent et l’énergie de la jeune génération. Devant la caméra du brillant collectif français de réalisateurs Megaforce, un groupe de quatre danseurs affronte avec grâce une pluie de blocs de glace tombant du ciel. Dirigés par les chorégraphes de (La)Horde, Kevin Bago, Robinson Cassarino, Chantel Foo et Zhané Samuels bondissent de la rue à la plage, esquissant un grand mouvement joyeux et libérateur. Numéro s’est entretenu avec Léo Berne et Clément Gallet de Megaforce, ainsi que Marine Brutti et Arthur Harel de (La)Horde, qui ont su exalter avec talent l’héritage si anglais de la maison Burberry.

Propos recueillis par Delphine Roche.

Numéro : Comment la maison Burberry vous a-t-elle contactés ?

Léo Berne : Burberry voulait travailler avec nous parce qu’ils avaient apprécié la campagne que nous avions réalisée pour Nike, à Londres et dans ses environs. Plutôt que des mannequins, nous avions choisi des sportifs pour que le film soit plus authentique.

 

Clément Gallet : Dans notre campagne Nike, l’équipe de Burberry trouvait que nous avions bien saisi l’esprit anglais. Burberry étant une marque très anglaise, il était important de mettre cet aspect en valeur sans pour autant se situer dans le clacissime.

 

 

 

Quel brief la maison Burberry vous a-t-elle donné ?

Léo Berne : Quand ils nous ont contactés, il n’y avait pas d’idée écrite, et c’est nous qui avons voulu faire un film chorégraphié. Ce n’était pas une demande de leur part.

 

Clément Gallet : Nous avons eu une présentation par Burberry de leur marque, et de ce qu’ils voulaient transmettre dans cette nouvelle campagne. Ils nous ont raconté leur histoire, ce que faisait Thomas Burberry. Au début, il créait des tenues imperméables qui ont servi à des explorations arctiques, et aussi à l’armée. Donc il y avait cette idée de se libérer des conditions météorologiques. Et d’autre part, s’agissant de la campagne “festive”, le film devait être joyeux. En recoupant ces deux idées, être festif et se libérer des contraintes météorologiques et de l’adversité, nous en sommes venus à Singing in the rain. Dans cette célèbre comédie musicale, Gene Kelly danse sans se soucier de la pluie qui ruisselle sur lui. Nous avons transformé les gouttes d’eau en une métaphore de l’adversité, puisqu’en 2020, le monde traverse une épreuve particulièrement difficile. Nous voulions donc représenter une adversité qui n’atteint pas le héros, que nous avons transformé en un groupe de héros, un groupe d’amis. Donc au final, ce sont des amis qui vont danser dans la rue malgré une pluie de blocs de glace a priori inquiétante. Nous avons lancé un casting de chorégraphes et nous nous sommes arrêtés sur (La)Horde.

 

 

Le fait que La Horde soit un collectif, qui travaille avec les danses post-Internet donc des énergies nées “dans la rue”, vous semblait-il particulièrement adapté à ce projet?

Clément Gallet : Oui, c’est ce qui nous plaisait dans leur travail. Le fait aussi que nous soyons de la même génération, et qu’ils aient également un œil en tant que réalisateurs. Le fait qu’ils travaillent en collectif a beaucoup joué. Nous aussi nous sommes un collectif, si bien qu’il y a moins de problèmes d’ego dans notre travail ; nous avons une démarche collaborative, et nous nous sommes rendu compte qu’ils avaient un peu la même démarche. Aussi, même si nous référencions Singing in the rain, nous voulions éviter de tomber dans une forme classique de comédie musicale. Il fallait chorégraphier ce trajet dans la rue pour qu’il ait l’air léger et facile, au milieu de tous ces blocs de glace. Il fallait conserver une forme de naturel, de fluidité, et mettre en valeur la personnalité de chacun des personnages. Le fait de laisser une individualité aux danseurs, de ne pas imposer un style ou une écriture chorégraphique qui uniformise un groupe, étant une des qualités de (La)Horde, nous avions envie de travailler avec eux sur cet aspect.

 

 

Cette capacité à créer des personnages crédibles était déjà très présente dans la campagne Nike que vous aviez réalisée à Londres…

Clément Gallet : Ce film racontait la vraie histoire de chacun des personnages, qui exprimait les difficultés qu’il rencontrait pour pratiquer son sport dans la ville où il habitait, les challenges auquel il était confronté. Nous avions casté de vrais sportifs, ce n’étaient pas des acteurs. Dans la campagne “festive” de Burberry, les danseurs avaient chacun leur style de danse et leur personnalité, qu’il fallait souligner. Nous leur avons demandé de ne pas essayer de nous faire plaisir et de proposer, dans des improvisations, les mouvements qu’ils avaient vraiment envie de faire. Nous avions regardé ce qu’ils faisaient chacun sur leur compte Instagram, et quand on voyait qu’ils s’en éloignaient trop, on essayait de les libérer de la pression qu’ils se mettaient. La chorégraphie s’est écrite à l’aide de leurs improvisations.

 

(La) Horde : Il y a en effet plusieurs façons de définir le rôle de chorégraphe. Nous travaillons dans une collaboration constante avec les interprètes. Nous nous exprimons à travers la réalisation de films, des installations, de la chorégraphie, des pièces pour plateau, et pour nous, c’est toujours un peu le même métier. En anglais, on utilise le terme de director, une direction de personnes qui passe par la chorégraphie ou par des prises d’espace. Quand on est face à Catherine Deneuve, je ne suis pas sûre qu’on la dirige vraiment, mais il y a une conversation pour arriver à ce qu’elle crée un personnage. De la même manière quand on travaille avec des danseurs, quelque chose de l’identité du danseur transparaît dans la manière dont il vient à nous, et c’est ce que nous avons envie de mettre en lumière chez elle ou chez lui. Il faut ensuite que ces qualités individuelles s’imbriquent avec celles des autres talents pour raconter une histoire commune. Notre rôle est donc en quelque sorte celui d’un chef d’orchestre. Pour cette campagne, notre réflexion chorégraphique se situait donc au niveau des prises d’espace, des trajets, par rapport à la caméra. Comment les danseurs allaient venir se placer dans le cadre, comment ils allaient créer ce rythme. Il ne s’agit pas non plus de ready-made car s’il n’y pas un travail d’unité qui est fait pour qu’un groupe puisse dire quelque chose ensemble, on n’arrive pas à ce résultat. Dans tout travail chorégraphique, et principalement dans la danse contemporaine, on cherche ensemble, avec les danseurs. Il y a une image que le chorégraphe a en tête, qui est mise en forme par les corps des danseurs, qui deviennent presque un médium. Ce que disait Léo est important, le fait que nous soyons deux collectifs a aidé au processus de travail. Nous avons essayé de comprendre ce qu’ils avaient envie de réaliser, le rapport du mouvement et de l’image. Léo et Clément se sont même prêtés à bouger dans la rue avec nous pour essayer des choses. Notre travail partait donc d’un ensemble de contraintes, chaque phrase dansée devait durer entre 5 ou 8 secondes pour tenir dans un mouvement de caméra…

 

Clément Gallet : J’ajouterais un petit quelque chose. Quand nous devons faire un film chorégraphié, il peut être soit “très dansé” ou “peu dansé”. Au moment du casting, nous n’avions encore opté pour aucune de ces deux solutions. Au cours du tournage, nous avons oscillé entre le “peu dansé” et le “très dansé”, jusqu’à trouver un équilibre qui plaisait à Burberry. C’est quelque chose qui est assez rare dans nos projets puisqu’en général, nous savons vraiment à quoi le résultat final va ressembler. Nous sommes passés par toute une phase de recherche pendant laquelle nous faisions totalement confiance à (La)Horde. Nous suivions leur processus, et nous choisissions des moments qui nous plaisaient dans les improvisations, en ayant en tête qu’à la fin, le tout devait être cohérent.

https://youtu.be/QbmW76Cp4s8

Une composante supplémentaire, qui ajoutait une difficulté à votre processus, était les blocs de glace tombant du ciel, ajoutés en post-production. Comment avez-vous dirigé les danseurs, pendant le tournage, par rapport à cet élément invisible?

Léo Berne : C’était très difficile de travailler avec un élément qui est censé être omniprésent, mais qui n’est pas là physiquement sous nos yeux. La chorégraphie était en partie dictée par la chute de ces blocs de glace. Il fallait donc réussir à se les imaginer, et si les danseurs n’arrivaient pas à les imaginer, on ne pouvait pas bien les intégrer, parce que le mouvement de danse n’aurait pas été assez crédible.

 

Clément Gallet : C’est vrai qu’il n’y a quasiment aucun bloc de glace réel dans le film. Nous avons pensé à en rajouter un peu plus, mais c’est quasiment impossible d’avoir un timing juste pour lancer un élément auquel l’acteur réagit en tapant dans l’objet au bon endroit, au bon moment. Donc les danseurs devaient vraiment être capables de mimer le geste d’éviter un bloc de glace.

 

Léo Berne : Pendant les répétitions, nous leur jettions des sacs poubelles et des ballons, pour que leur leur corps crée le réflexe d’éviter quelque chose qui tombe du ciel, et qui est a priori assez dangereux. Petit à petit, ils ont compris quel genre de mouvement ils devaient faire, et quel genre de mouvement ne fonctionnait pas. C’est donc devenu une danse assez spécifique, parce que leurs gestes devaient relever avant tout de l’évitement. Il ne fallait pas transmettre l’impression qu’ils étaient dans la rue pour danser : c’est le côté comédie musicale au premier degré, dont nous voulions justement nous éloigner. Leur façon d’éviter les blocs de glace devait être légère, et cette légèreté s’exprimait par une forme de danse. C’est une sorte d’adaptation du corps face à l’adversité : je t’esquive, tu ne me fais pas peur, et j’apprécie presque ce qui me tombe dessus.

 

(La) Horde : Effectivement, nous avons travaillé sur l’activation de réflexes. Le fait de jeter des objets vers les danseurs, c’est un procédé pour retrouver du naturel dans le corps, puisqu’il n’y avait pas de vrais blocs de glace sur lesquels ils pouvaient exercer leur talent d’acteurs.

 

Léo Berne : Pendant le casting, certains danseurs avaient la tentation d’être dans la pantomime de l’évitement. C’était un des exercices les plus durs. Nous avons vu des danseurs très bons mais la difficulté était vraiment d’imaginer la chute de ces blocs. La précision du jeu était plus importante, et il y avait la tentation de surjouer. Il fallait qu’ils nous laissent voir des objets qui tombaient au sol, sans qu’ils ne le surlignent. Donc nous filmions les improvisations, nous les regardions ensemble, et nous leur disions : “Là, je n’ai pas vu le bloc tomber. Ca veut dire que le geste n’est pas bon.” Quand le geste était juste, c’était très simple de rajouter les blocs en post-production.

 

 

Les uns comme les autres, vous traversez différents univers : vous les Megaforce, réalisez des publicités mais aussi des clips musicaux ; vous, la Horde, passez de pièces chorégraphiques pour plateaux à des films dansés. Quel rapport entretenez-vous à la mode, qui peut être parfois frustrante, avec son exigence du “politiquement correct” ?

 

 

(La) Horde : La mode a toujours été liée à la danse. Nous venons de prendre la direction du Ballet de Marseille où Roland Petit travaillait avec Yves Saint Laurent, Gianni Versace… Zizi Jeanmaire portait les plus grands designers du moment. Le travail avec le corps fait que nous sommes toujours liés à la création de costumes ou de vêtements. C’est un espace de création qui nous passionne aussi. Nous sommes sensibles aux artistes qui dirigent certaines maisons. Quand nous travaillons avec la mode, ce qui nous intéresse, ce sont les créateurs qui font exister des visions qui habillent des corps. Dans toutes les collaborations que nous avons faites jusqu’à présent, cette dimension était hyper importante pour nous. Dans le cadre de cette campagne, il y avait la possibilité de travailler avec les Megaforce, qui étaient nos héros quand nous étions étudiants; et aussi Riccardo Tisci, dont nous suivons le travail depuis longtemps. Cette campagne était davatange une réunion d’artistes, qu’une collaboration publicitaire.

 

Clément Gallet : En ce qui concerne la frustration qui peut naître du “politiquement correct”… cette campagne n’était pas tout à fait une commande parce que nous avons pu apporter l’idée directrice. Et à partir du moment où nous nous sommes mis d’accord avec Burberry sur le fait que ce qui tombait du ciel était violent, et qu’il s’agissait de jouer avec cette violence, cette adversité… alors pour nous, il n’y avait pas de frustration. Bien sûr, dans les mondes de la mode et de la publicité il y a toujours une réticence à évoquer la violence, mais Burberry a compris que cette violence était nécessaire pour contraster avec l’attitude qu’avaient les danseurs… Cette base était indispensable pour nous.

 

(La) Horde: Pour définir notre rôle, nous utilisons souvent la métaphore du wedding planner : soit on fait appel à notre capacité technique, et nous devenons alors des wedding planners pour quelqu’un. Soit on vient nous chercher en tant qu’artistes, pour qu’on apporte un regard. Et c’est dans cette intention que Megaforce a été contacté au départ. Et c’est pour ça que vous êtes venus nous chercher, parce que nos chorégraphies oscillent toujours entre la violence et la grâce.