23 jan 2023

Karl Lagerfeld, Tom Ford, la littérature… Les confidences de Virginie Mouzat

Rencontre avec Virginie Mouzat, ex-journaliste de mode et écrivaine française talentueuse qui sort ce mois-ci un nouveau livre, Le dernier mot, chez Flammarion, qui raconte sa mère. Une femme fascinante qui a fui, toute sa vie, les injonctions féminisantes. Comme Mlle Mouzat ?

propos recueillis par Violaine Schütz.

Virginie Mouzat par Filep Motwary pour Flammarion

Ex-mannequin, ancienne journaliste de mode à la plume acérée et écrivaine talentueuse, la française Virginie Mouzat, promène sa silhouette hitchcockienne mystérieuse et troublante depuis plus d’une trentaine d’années, dans l’espace médiatique. Après plusieurs livres remarqués, notamment sur Charlotte Perriand, elle publie ce mois-ci un ouvrage choc, aussi fascinant que dérangeant, Le dernier mot (Flammarion). Il s’agit là d’une enquête intime sur le départ inattendu de sa mère, une femme trompée et indomptée ayant fait le choix de quitter se monde. Virginie Mouzat se confie à Numéro sur le point de départ de l’écriture de ce roman ainsi que sur ses souvenirs de Karl Lagerfeld et ses débuts dans le mannequinat.

 

Le dernier mot, un livre troublant de Virginie Mouzat sur sa mère, une femme énigmatique

 

Numéro : Quel a été le point de départ de votre nouveau livre, Le dernier mot ? Et que signifie son titre ?

Virginie Mouzat : Écrire sur la disparition progressive, sous les yeux de ceux qui l’entourent, de cette figure féminine (la mère de l’héroïne, ndlr). De la genèse à l’aboutissement. Pour le titre, avoir le dernier mot est souvent une illusion de puissance. Ce mot n’est jamais là où on le cherche, où on l’attend. Souvent la vie se charge de le formuler au moment où on s’y attend le moins. Le titre est une fausse piste. Je dirais presque qu’il y a un dernier mot par lecteur. Si on parle techniquement du dernier mot de mon livre, je dirais qu’il enclenche la relecture de toutes les pages qui précèdent.

 

L’écriture de cet ouvrage a-t-elle été cathartique ?

Cela n’a ni été cathartique, ni thérapeutique, ni rédempteur, ni synonyme de « ça va mieux maintenant »… Tout ça fait d’assez mauvais livres à mon sens. 

 

« Le côté « cathartique » fait d’assez mauvais livres à mon sens. » Virginie Mouzat

 


Vous écrivez avoir perdu une photo de votre mère, dans un avion. Ce livre a-t-il été un moyen de restituer cette image dans votre esprit ?

Mieux que la restituer, il était question de l’inventer, de la fouiller, de la déconstruire… Faute d’informations précises.

 

Vous écrivez souvent sur des sujets intimes, souvent douloureux. Pensez-vous que le vécu et la souffrance font les meilleurs livres ?

C’est l’écriture qui « fait » les livres. Les sujets intimes, le vécu ou encore une certaine forme de souffrance demeurent du matériau inerte sans elle. 

 

Dans votre livre La vie adulte (2010), vous évoquiez la disparition d’une mère. Quels sont ses liens avec Le dernier mot ?

La place d’une femme, son déplacement, son décalage, sa désobéissance aux injonctions qui l’entourent, les malentendus que l’étiquette de « mère » génère dès qu’on la pose sur elle… Toutes ces questions me passionnent. C’est sans doute le fil rouge d’un livre à l’autre. Le chapitre « 0 » du dernier mot est une sorte d’adresse au lecteur, mais il ne fait aucunement de mon livre une lettre. 

Dans le livre, votre mère décide de quitter ce monde par un geste qui peut sembler à la fois punk et féministe car elle fuit des injonctions féminisantes…

Ce n’est rien de tout cela. Le personnage féminin dans ce livre est simplement pris dans un mal-être et une révolte intime sur lesquels on ne peut poser aucun label social. D’ailleurs, son immense solitude détache ce geste de tout mouvement de pensée. Son geste final dépasse sa condition bourgeoise, sa captivité. Cette femme accomplit quelque chose de plus grand qu’elle-même. 

 

Vous vous êtes imposée comme écrivaine alors que vous étiez journaliste de mode. Comment avez-vous réussi à dépasser les préjugés ?

Je ne les ai pas complètement dépassés puisque ce genre de questions ainsi que l’expression « journaliste de mode » traînent toujours dans les interviews (rires).

 

Vous avez été mannequin. Éprouvez-vous de la nostalgie pour cette époque ?

Aucune si ce n’est pour la chance d’avoir approché des gens de talent lorsque j’ai passé toute une nuit de fittings à l’hôtel de Crillon avec Babeth Djian et Mario Testino. Mais je me rappelle surtout que c’est dans à période que j’ai commencé à observer celles qui m’entourent. 

 

« Mon meilleur souvenir de Karl Lagerfeld ? Son goût pour les blagues d’étudiant dont il était le premier à rire. » Virginie Mouzat

 

En 2011, vous avez critiqué avec véhémence Tom Ford dans Le Figaro. Regrettez-vous vos mots ?

Oui car ils étaient certainement exagérés. Non, parce qu’ils étaient le reflet de l’exagération générique du créateur et de sa marque, du cirque et du pseudo élitisme qui entourait cette collection, de l’invitation quémandée par moi mais refusée par l’attachée de presse avant une réponse positive qui arriva après un revirement absurde… Bref, c’est de l’archéologie. 

 

Vous étiez très proche de Karl Lagerfeld. Quels sont les meilleurs souvenirs que vous gardez de lui ?

Son goût pour les blagues d’étudiant, plutôt lourdes mais dont il était le premier à rire en tapant la table de sa main de préférence. Ça avait soudain quelque chose de « rafraîchissant » en quelque sorte. J’en souris encore. Un jour en me faisant visiter les deux étages de l’hôtel particulier Pozzo di Borgo qu’il louait rue de l’Université, tout de bistre et de taupe époque Liaigre et Ingo Maurer, on débouche dans une chambre tenturée de taffetas amande. « C’est plus pratique pour péter tranquille pendant ma sieste » explique-t-il alors. Fou rire.

La couverture du livre Le dernier mot (2023) de Virginie Mouzat © Flammarion
Virginie Mouzat @ Instagram

Vous avez écrit Et devant moi la liberté, un journal imaginaire de Charlotte Perriand. Qu’est-ce qui vous fascine le plus chez elle ? 

C’est le côté « garçon manqué » de Charlotte Perriand que j’ai adoré, doublé d’une très grande sensualité, pour les hommes, la nature, les formes, le bois…. Elle évolue dans un monde majoritairement masculin, essuie le machisme de Le Corbusier, refusera obstinément toute sa vie qu’on la cantonne à un rôle de « bonne femme décoratrice » alors qu’elle est architecte.

 

Avez-vous d’autres icônes ?

L’autre modèle qui me fascine c’est Jane Fonda. J’aime sa prise de parole sur la dépression (dans son TED Talk), sa vaillance, son refus de se laisser aller. Lorsque j’étais à Vanity Fair France, on l’avait surnommée « my mum« . Jusqu’au jour où, en la rencontrant au diner Vanity Fair que nous donnions lors du Festival de Cannes, je le lui raconte. Elle a beaucoup ri.  

 

Quel sont vos écrivains préférés ?

Philip Roth, Pascal Quignard, Joyce Carol Oates, Yannick Haenel, Vivian Gornick, Pico Iyer… Il y a un livre qu’un ami m’a fait découvrir que j’ai adoré mais c’est un peu un ovni : La Brève et Merveilleuse Vie d’Oscar Wao de Junot Díaz et son anti-héros bouleversant. Le Némésis de Philip Roth, injustement relégué au rang d’œuvre crépusculaire, m’a beaucoup impressionnée également.

 

Quelle est votre citation préférée tirée d’un livre ?

Cette citation de David Hockney : « Surface is an illusion, but so is depth. » À la page 281 de The lady and the Monk de Pico Iyer (1991).

 

Un livre vous a-t-il sauvé la vie ? 

À un moment de très grand chagrin, Fairyland (2015) d’Alysia Abbott a été un des livres qui m’a aidée à (re)vivre.

 

Le dernier mot (2023) de Virginie Mouzat, disponible aux éditions Flammarion.