Jusqu’où ira la folie créative de Virgil Abloh?
D'une exposition avec Takashi Murakami à une collaboration avec Byredo ou un pop-up store au sein du Bon Marché, Virgil Abloh et son label ultra branché Off-White sont partout et multiplient les buzzs. Ayant débuté comme assistant de Kanye West, l'Américain est aujourd'hui inarrêtable, à tel point que l'on se demande jusqu'où sa folie créative pourra le mener.
Par Léa Zetlaoui.
Tandis que Londres palpite encore de l’exposition réunissant Takashi Murakami et Virgil Abloh à la Gagosian Gallery, Paris se voit déjà tapissé d’affiches énigmatiques annonçant une collaboration entre ce dernier et le parfumeur suédois Byredo. Quelques jours avant le mystérieux lancement, Virgil Abloh présentera également la collection automne-hiver 2018-2019 de son label Off-White lors de la Fashion Week parisienne. On le savait déjà prolifique, mais aujourd’hui l’Américain semble être partout, proposant des collaborations comme d’autres enfilent des perles.
De la direction créative de Kanye West au lancement de son label
En août 2011, l’album Watch The Throne marque la rencontre de deux des plus grands rappeurs des deux dernières décennies : Kanye West et Jay Z. L’album, au centre de toutes les conversations pour ses compositions, fait également parler de lui pour sa pochette, qui lui vaudra d'ailleurs un Grammy Awards. Si l’artwork doré, bling à souhait, a été conçu par le designer italien Riccardo Tisci (plus connu pour avoir été directeur artistique de Givenchy), le Grammy reviendra cependant à Virgil Abloh, directeur artistique de Kanye West. Entré dans la galaxie West en 2002, celui qui continue pourtant encore à décliner ce titre officiel pour se définir comme son simple assistant (ployant genou devant le génie du mari de Kim Kardashian) accède à la reconnaissance internationale.
Déjà connu à Chicago pour son concept store ultra pointu RSVP Gallery, l’Américain âgé de 31 ans, surfe sur la vague de son succès et lance alors son label de vêtements Pyrex Vision. Ses premières pièces sont réalisées à partir de stocks de polos Ralph Lauren et de sweat-shirts Champion qu’il estampille de son logo. La critique sera vive. Le succès également : tapant dans l’œil des millennials, le stock s’écoule en à peine quelques heures. Pourtant, loin de se contenter d’être un petit designer américain proposant du streetwear upgradé, il ferme Pyrex Vision un an après sa création, pour émigrer en 2014 à Milan où il installe son nouveau label : Off-White, promis à un avenir triomphal.
Off-White, label le plus cool du moment?
Pour comprendre le succès que connaissent Virgil Abloh et Off-White aujourd’hui, il suffit de compter le nombre de followers : 1,5 et 2,8 millions de followers respectifs sur Instagram. Ou bien de contempler la foule dense et hystérique qui trépigne devant ses défilés. Ou encore de lire les critiques dithyrambiques sur ses collections. Ou enfin, de relever le nombre de ses créations frappées de l'impitoyable “sold out“ sur les sites de vente en ligne. Il faut dire qu’en installant les bureaux d’Off-White à Milan – sûrement l'une de ses plus brillantes idées – Virgil Abloh met tous les atouts de son côté. Ce diplômé d’architecture et d'ingénierie civile, qui parfait sa formation par le biais d'un stage en 2009 chez Fendi, s’assure ainsi d'un seul et même coup les meilleurs artisans, les plus belles matières et une étiquette "made in” des mieux cotées. Avec ce coup de maître, couplé à sa vision mixant brillamment streetwear et high fashion, le succès ne pouvait qu’être au rendez-vous.
Au fur et à mesure que les saisons s'enchaînent, Off-White gagne en crédibilité. Adoubé par tous, des rappeurs (A$AP Rocky et Franck Ocean), des pop stars (Beyoncé et Rihanna), des mannequins les plus en vue (les sœurs Hadid ou Kendall Jenner), des plus prestigieuses boutiques internationales (feu Colette, MyTheresa.com, Barneys, Selfdriges ou Le Bon Marché), des rédacteurs de mode et des millennials, Off-White passe du rang de label “à suivre” à celui de “game changer” tant son influence est importante. Qu’il s’attaque au streetwear en le rehaussant de peintures du Caravage, au workwear qu'il sublime avec des volumes plus conceptuels, ou au vestiaire de Lady Diana qu’ils actualise avec justesse, Virgil Abloh – et ses équipes – dose avec une virtuosité rare le mélange de cool et de pointu, grâce à une inspiration qui semble sans limite, capable de transcender à peu près n’importe quelle pièce ordinaire en best-seller. Même quand il s’agit d’une paire de sandales Jimmy Choo empaquetée dans du PVC.
Élever la collaboration au rang d’art
Derrière son image de mec cool et posé, aux antipodes de son mentor Kanye West, Virgil Abloh cache un génie du marketing. En tant que directeur de la création de la mégastar du rap, il s’occupe de tâches aussi variables que l’image, le set design, le stylisme, mais surtout… le merchandising – qu’il semble désormais appliquer à son label Off-White autant qu'à sa propre personne (tant la frontière entre les deux semble aujourd’hui étroite) : depuis le lancement d’Off-White en 2014, on dénombre en effet pas moins d'une dizaine de collaborations ou de collections capsules éclectiques, lancées sous son nom ou celui de son label, qui toutes, invariablement, ont le pouvoir de créer un buzz redoutable.
Exploitant aussi bien le filon des millennials – qu’il régale de collaborations pointues avec Nike et Vans – que celui du streetwear (avec Levi’s) ou des labels haut de gamme (Jimmy Choo, Moncler), sans compter des capsules pour Le Bon Marché, MyTheresa.com ou celles proposant ses pièces phares à des prix plus accessibles, il arrose de son logo fléché, de son irrévérence et de sa vision ultra contemporaine une multitude de produits. Inarrêtable, le slasheur pro (également DJ et designer de meubles à l’esthétique brutaliste) va même plus loin : des tee-shirts de la tournée de l’iconique groupe de rock Guns’n’roses à une exposition chez Gagosian avec Murakami, d'un projet spécial avec les prestigieux parfums Byredo à une ligne de meubles accessible avec Ikea. Si, d’un côté, sa prodigalité peut rappeler la conquérante créativité d'un Karl Lagerfeld qui ne semble avoir pour limite que son bon vouloir, de l’autre, elle laisse planer une ombre menaçante : celle du noir épilogue des licences, dans les années 80, où à force d'élargir leur territoire, les plus belles marques y ont laissé leur âme.