5 mai 2023

Interview: how Alexandre Mattiussi returns to the essence of his label AMI

Il a fondé son label il y a douze ans pour créer le parfait vestiaire de ses propres amis. Aujourd’hui, AMI, la marque d’Alexandre Mattiussi, est une success-story française comme il y en a peu, adoubée par la rue et vendue dans le monde entier. Après avoir conquis les cœurs et réalisé quelques exploits marquants en termes de communication, le directeur artistique et fondateur de la maison décidait, en janvier dernier, de revenir à l’essence de son label.

Propos recueillis par Delphine Roche.

interview by Delphine Roche.

Numéro : Votre défilé, présenté en janvier dernier, proposait un retour à l’essentiel, avec moins de logos et une palette de teintes douces. Vous avez même effacé le contenu du compte Instagram de votre marque…
Alexandre Mattiussi : J’ai eu le sentiment qu’il fallait faire un peu de ménage dans ma tête et dans notre histoire. AMI existe depuis douze ans, c’est une marque internationale qui dispose de boutiques partout dans le monde. Je trouvais important de prendre un moment pour moi, nourri aussi par mes expériences personnelles récentes. Je me suis dit que j’en avais le droit, que je pouvais le faire. L’idée était de créer une page blanche pour revenir à l’essence du propos d’AMI, que je clame depuis le premier jour, dessiner un vestiaire pour le quotidien, simple, classique, intelligent, beau et sans trop de tralala. Le système de la mode nous pousse parfois à faire des choses qui ne nous ressemblent pas vraiment, je voulais m’autoriser à m’affranchir de ces obligations.

 

Avez-vous eu le sentiment d’être piégé par ce système ?

En vérité, mon père est tombé très malade cet été. Aujourd’hui, heureusement, il va mieux car nous nous sommes très bien occupés de lui. Face à la maladie, au caractère fugace de la vie, je ne parvenais plus à adhérer au côté le plus superficiel de la mode. Je prends garde de conserver une bonne énergie, j’aime mes équipes, mon travail, je me sens très gâté par la vie, mais parfois nous sommes emportés dans un rythme, et nous ne savons plus pourquoi nous faisons telle ou telle chose. J’ai donc eu envie d’aller à l’essentiel : moins de communication, moins de collaborations, moins de célébrités, moins de vêtements, remettre l‘énergie et la passion dans leur plus simple appareil au centre d’AMI.

 

 

“AMI est une marque populaire, (…) généreuse et bienveillante, familiale, amicale, et mon approche reste celle-ci.”

 

 

En l’espace de douze ans, vous avez marqué les esprits avec de véritables coups de maître, comme aucune marque française indépendante n’a pu le faire. Il y a eu ces énormes affiches photographiées par Jean-Paul Goude, qui vous montraient accroché à un ballon en forme de cœur, survolant Paris. Ou la présence d’AMI dans la série Emily in Paris. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur ces moments marquants ?

Je me dis qu’AMI est une marque populaire, ce qui est formidable. Elle est sophistiquée, car je viens du monde du luxe. J’ai travaillé pour Dior, Givenchy et Marc Jacobs. Je veux donc proposer des vêtements de bonne facture, mais dans un contexte plus réel. AMI a très vite été reconnu par les gens. Quand je regarde la plupart des défilés, je trouve que tout est très exclusif, alors qu’à notre époque on ne parle que d’inclusivité. AMI est une marque généreuse et bienveillante, familiale, amicale, et mon approche reste celle-ci. La campagne avec Jean-Paul Goude et l’apparition du logo d’AMI dans Emily in Paris sur une montgolfière sont deux symboles relevant davantage d’un rêve de gosse.

“Face à la maladie de mon père, je ne parvenais plus à adhérer au côté le plus superficiel de la mode.”

 

 

Vous évoquez parfois la joie que vous ressentez lorsqu’une personne qui porte votre marque vous reconnaît dans la rue et vous adresse quelques mots ou un sourire complice…

Il s’agit à chaque fois d’une reconnaissance mutuelle. Je reconnais mon client, et, à travers le regard que nous échangeons, passe beaucoup de tendresse, d’amour et de bienveillance. La mode entre dans l’intimité des gens, dans leur quotidien, dans leur histoire. C’est ce que nous avons essayé de faire avec ce dernier défilé. J’ai de nouveau interrogé mes amis sur leurs besoins en matière de vêtements, sur ce qui leur faisait envie. Nous avons retravaillé des pièces qui sont aujourd’hui ancrées dans notre vestiaire, car ce sont des vêtements qui doivent rester pour toujours. Il ne s’agit pas de faire de la mode, mais d’être dans l’intimité, le confort, la proximité, la qualité et la confidence.

 

Votre nouveau départ, votre retour à l’essentiel, a-t-il été bien reçu par vos clients ?

Les réactions ont été très positives. Le défilé était lui-même épuré, avec un casting auquel a participé Charlotte Rampling, que j’adore. Il s’est conclu par une performance du chanteur Moses Sumney. Il en émanait beaucoup d’amour. Le défilé se tenait à l’Opéra de Paris, un endroit qui me fait rêver, car je dansais étant enfant. J’ai senti que tout était très juste.

 

De nombreuses célébrités accompagnent la marque, et toutes semblent être vos amies…

Effectivement, j’essaie de construire des relations sincères avec les personnalités qui nous suivent. Cela a été le cas avec Christine and the Queens, et aujourd’hui avec Isabelle Adjani, Xavier Dolan, Audrey Tautou. Nous nous croisons, nous dînons ensemble, nous nous envoyons des messages.

Lancée en 2018, la ligne femme d’AMI a-t-elle une vraie place aujourd’hui au cœur de votre univers ?


Oui, enfin. J’ai mis du temps à la trouver. J’ai dû chercher qui était la femme AMI. Au début, elle était très masculine, elle portait des vêtements d’homme. J’ai voulu la rendre très féminine, de façon un peu maladroite probablement, mais avec beaucoup de sincérité. Pour le défilé présenté en janvier, je suis reparti de zéro : la femme AMI doit ressembler à l’homme AMI, elle porte les mêmes vestes, les mêmes pantalons, elle aime emprunter des pièces au vestiaire masculin.

Après ce prélude, quelle est la prochaine étape pour vous ?

Dans la scène 1 de l’acte I, je poursuis mon histoire, dans la continuité mais
avec de petits changements. Je veux prendre un peu plus de temps pour réfléchir, pour créer, pour vivre également. J’ai la grande chance d’être bien entouré. Quand j’ai pris la décision de procéder à un “reset”, toute mon équipe m’a suivi : mon directeur général a accepté sans broncher mon idée de mettre moins en avant l’AMI de cœur [le logo alliant l’initiale A et un cœur rouges], même s’il a connu un succès fou. Aujourd’hui, on me conseille de créer une ligne pour enfants, car les petits garçons et les petites filles empruntent leurs vêtements AMI à leurs aînés. Mais le propos central de la marque est vraiment de proposer le bon pantalon, la bonne veste. J’ai 43 ans aujourd’hui. C’est formidable et j’ai encore beaucoup de choses à dire.

Vous avez coproduit plusieurs films, cette activité est-elle une sorte d’extension naturelle de votre amitié avec des personnalités du cinéma ?
Il est vrai que j’ai une affinité très naturelle avec les acteurs et les réalisateurs. Je regarde beaucoup de films, j’adore l’idée de la narration, de la pellicule, l’émotion du cinéma, le fait que cet art permette de s’inscrire dans l’éternité, contrairement à la mode. Je me suis donc retrouvé presque naturellement à coproduire des films, notamment le court-métrage réalisé par Yann Demange, Dammi [dont la bande-annonce a été présentée à Cannes en 2022, le film mettant en scène Isabelle Adjani, Riz Ahmed et Souheila Yacoub]. Il faut dire que pour moi, dès sa création, AMI était presque un prétexte pour pouvoir raconter des histoires.

 

 

“Je reconnais mon client : à travers le regard que nous échangeons, passe beaucoup de tendresse, d’amour et de bienveillance.”

 

Lancée en 2018, la ligne femme d’AMI a-t-elle une vraie place aujourd’hui au cœur de votre univers ?

Oui, enfin. J’ai mis du temps à la trouver. J’ai dû chercher qui était la femme AMI. Au début, elle était très masculine, elle portait des vêtements d’homme. J’ai voulu la rendre très féminine, de façon un peu maladroite probablement, mais avec beaucoup de sincérité. Pour le défilé présenté en janvier, je suis reparti de zéro : la femme AMI doit ressembler à l’homme AMI, elle porte les mêmes vestes, les mêmes pantalons, elle aime emprunter des pièces au vestiaire masculin.

 

Après ce prélude, quelle est la prochaine étape pour vous ?

Dans la scène 1 de l’acte I, je poursuis mon histoire, dans la continuité mais avec de petits changements. Je veux prendre un peu plus de temps pour réfléchir, pour créer, pour vivre également. J’ai la grande chance d’être bien entouré. Quand j’ai pris la décision de procéder à un “reset”, toute mon équipe m’a suivi : mon directeur général a accepté sans broncher mon idée de mettre moins en avant l’AMI de cœur [le logo alliant l’initiale A et un cœur rouges], même s’il a connu un succès fou. Aujourd’hui, on me conseille de créer une ligne pour enfants, car les petits garçons et les petites filles empruntent leurs vêtements AMI à leurs aînés. Mais le propos central de la marque est vraiment de proposer le bon pantalon, la bonne veste. J’ai 43 ans aujourd’hui. C’est formidable et j’ai encore beaucoup de choses à dire.

NUMÉRO: Your runway show in important to take some time for myself in the light of recent per January marked a return to the sonal experiences. I told myself it essential, with fewer logos and a softer palette. You even deleted was something I could and should do. The idea was to start afresh all the old images on your brand’s with a blank page in order to Instagram account…

ALEXANDRE MATTIUSSI: I felt the come back to the essence of AMI, something I’ve aimed for right need to do a bit of tidying up in from the start, which is an every- my head and concerning my relationship with the label. AMI has been going for 12 years now, it’s an international brand with outlets all over the world. I felt it was important to take some time for myself in the light of recent personal experiences. I told myself it was something I could and should do. The idea was to start afresh with a blank page in order to come back to the essence of AMI, something I’ve aimed for right from the start, which is an everyday wardrobe, simple, classic, intelligent and beautiful without too much fuss. The fashion business sometimes pushes you to do things that aren’t really you, and I wanted to break free from those obligations.

 

Did you feel you’d been tricked by the system?

What happened is that my father be-came very sick last summer. Today he’s much better, thank goodness, because he was very well looked after. But in the face of illness, reminded of the brevity of life, I no longer felt I could pander to the more superficial side of fashion. I make sure to keep the energy positive, I love my team and my job, I feel very spoiled by life, but sometimes we get carried away by our obligations and we no longer know why we’re doing certain things. So I wanted to get back to the essentials: less PR, fewer collaborations, fewer celebri- ties, fewer clothes, just putting the energy and passion at their most pure into the heart of AMI.

 

 

« AMI is a popular brand, (…) generous and caring, family friendly, and my approach remains that. »

 

 

Over the past 12 years, you’ve made a mark with some fabulous publicity stunts, in a way that no other independent French brand has managed for example the giant posters shot by Jean-Paul Goude that showed you flying over Paris in a heart-shaped bal- loon, or AMI’s appearance in the series Emily in Paris.

For me AMI is not an elitist brand, which is fantastic, but it is sophisticated, because I come from the luxury sector. I worked for Dior, Givenchy and Marc Jacobs. So I want to offer well-made clothes, but in a more real context. People adopted AMI very quickly. When I look at most runway shows today, I find that it all seems very exclusive, whereas nowadays everyone is talk- ing about inclusivity. AMI is a generous, welcoming, friendly, family brand… That has always been my approach. As for the campaign shot by Jean-Paul Goude and the appearance of the AMI logo on a bal- loon in Emily in Paris, those are more to do with a kid’s dream!

« In the face of my father’s illness, I could no longer embrace the more superficial side of fashion. »

 

 

You’ve talked about the joy you feel when someone wearing your brand recognises you in the street and stops to talk to you or smiles at you knowingly…

It’s a question of mutual recognition. I recognise my client, and in the glance we exchange there is a lot of tenderness, love and benevolence. Fashion gets into people’s intimacy, into their everyday, into their life story. That’s what we were trying to do with the last runway show. I went back to my friends and asked them what they needed in terms of clothing, what made them dream. We reworked pieces that are now staples in our wardrobe, because these are clothes that should last forever. It’s not about making fashion but about intimacy, comfort, proximity, quality and trust.

 

Has this new departure, this return to the essential, been welcomed by your clients?

Reactions have been very positive. The runway show itself was very pared down, with a lineup that included Charlotte Rampling, who I adore. It ended with a performance by the singer Moses Sumney. The whole thing gave off a feeling of love. The show was put on at the Opéra de Paris, a very special place that makes me dream, because I used to dance as a child. I felt that everything was just how it should be.

 

There are a lot of celebrities who support the brand, and they all seem to be your friends…
Yes, I do try to build sincere relation- ships with the famous people who follow us. It happened with Christine and the Queens, and more recently with Isabelle Adjani, Xavier Dolan and Audrey Tautou. We run into each other, we have dinner together, we send each other messages.

You’ve coproduced several films. Is that a natural extension of your friendship with movie stars?
It’s true that I have a very natural affinity with actors and directors. I watch a lot of films, I love the idea of narration, of the storyboard, of the emotion of cinema, the fact that it’s an art that can aim for eternity, unlike fashion. So it was almost natural that I found myself coproducing movies, among them a short by Yann Demange called Dammi [the trailer was shown at Cannes in 2022 with Isabelle Adjani, Riz Ahmed and Souheila Yacoub]. And I have to say that for me, right from the start, AMI was almost a pretext for storytelling.

 

 

“I recognise my client, and in the glance we exchange there is a lot of tenderness, love and benevolence”

 

Has AMI’s womenswear, which you launched in 2018, found its place at the heart of the brand?

Yes, at last. It took me a while to get there. I needed to work out who the AMI woman was. At the start she was very masculine, she wore men’s clothing. After that I tried to make her very feminine, a bit awkwardly no doubt, but I did it sincerely. For the January show, I started over again from scratch: AMI woman is like AMI man, she wears the same jackets, the same trousers, she likes to borrow her clothes from the menswear wardrobe.

 

What’s the next step for you?

In act 1, scene 1, my story continues in much the same way, but with some small changes. I want to find a bit more time to think, to create, but also to live. I’m very lucky to have such great people on board. When I took the decision to do a reset, the team was enthusiastic: my director agreed without hesitating to go easy on highlighting AMI’s heart logo [the initial “A” joined to a heart, the whole thing in red], even if it has been extremely successful. Now people are saying I should launch a childrenswear line, because girls and boys are borrowing AMI clothes from their elder brothers and sisters. But the brand’s main goal is to offer the right pair of trousers, the right jacket. I’m now 43, which is great, and I still have a lot to say.

 

The AMI x Andrew Bush collection is available since May 3rd at AMI stores in New York, Los Angeles and Miami.