24 fév 2023

Interview de Wes Gordon, créateur de Carolina Herrera aux collections glamour et flamboyantes

Quelques jours avant le défilé Carolina Herrera automne-hiver 2023-2024 à New York, le créateur américain Wes Gordon, directeur artistique de la marque depuis 2018, raconte sa carrière et sa vision de la mode dans une interview pour Numéro magazine.  

Wes Gordon, directeur artistique de Carolina Herrera. © Gorka Postigo

Parmi tous les défilés de mode qui ont rythmé la Fashion Week de New York automne-hiver 2023-2024, celui de Carolina Herrera, marque de mode lancée en 1980 à New York par la créatrice vénézuélienne éponyme, fut sans aucun doute le plus somptueux. Le lundi 13 février 2023, la salle de bal du Plaza Hotel ne pouvait offrir meilleur décor à une collection aussi grandiose que dramatique, qui rend hommage à l’impératrice Sissi. “ J’adore ce qu’incarne Sissi, la façon dont elle s’est imposée à la cour mais aussi le style de l’époque des Habsbourg, où la discipline et la rigueur militaires se mélangent à une mode exubérante, dramatique et grandiose. On retrouve mon goût pour les contrastes”, confie Wes Gordon, directeur artistique de la marque américaine depuis 2018, qui avoue avoir été inspiré par la série Netflix The Impress, qui retrace les jeunes années de la souveraine d’Autriche au destin tragique. Quelques jours avant son show, le créateur américain racontait à Numéro son parcours exceptionnel et comment il perpétue la mode aussi glamour que flamboyante de Carolina Herrera.

Wes Gordon : de la Central Saint Martins School aux studios d’Oscar de la Renta et Tom Ford


J’ai grandi aux États Unis et quand j’étais jeune, intégrer la Central Saint Martins School – cet endroit magique où John Galliano, Phoebe Philo, Alexander McQueen et Stella McCartney ont étudié –  était une idée romantique finalement devenue une obsession. L’expérience s’est révélée à la hauteur de mes attentes. À cette époque, j’ai fait un stage d’été auprès d’Oscar de la Renta à New York. J’ai pu côtoyer un des derniers grands maîtres de la mode, l’observer à l’œuvre et apprendre directement de sa main. Quand je suis retourné à Londres pour mes études, Tom Ford lançait son label masculin, uniquement des costumes pour hommes, dans le quartier des tailleurs de Savile Row, j’y travaillais après les cours, le week-end et pendant les vacances. Auprès d’eux, j’ai exploré deux aspects différents d’une mode glamour. Tom Ford a une approche davantage romantique, mais également très disciplinée, méthodologique et précise dans sa façon de créer tandis que la mode d’Oscar de la Renta évoque plutôt la magie du vieux New York.
 

Wes Gordon, un jeune créateur américain au talent  précoce 

 

“Depuis toujours, je porte en moi un amour pour la mode américaine et revenir aux Etats-Unis après mes études a toujours fait partie de mon projet. D’autant que quand, quand j’ai lancé mon label en 2009 à New York, il y avait un réel soutien envers la jeune création américaine. Je venais d’obtenir mon diplôme à la Central Saint Martins School, où j’avais surtout développé des compétences créatives et tout à coup, je me suis retrouvé à concevoir des produits qui se devaient d’être également désirables, et surtout commerciaux, tout en m’occupant d’aspects qui n’avaient rien à voir avec la création. J’ai appris à vendre un produit et surtout à écouter les attentes de ma clientèle. A posteriori, je constate que toute ma carrière s’est construite autour de contrastes : grandir dans une ville conservatrice comme  Atlanta, puis étudier à East London; m’imprégner de la vision romantique d’Oscar de la Renta puis apprendre le tailoring avec un créateur aussi rigoureux que Tom Ford; explorer ma créativité à la Central Saint Martins Schools où j’ai présenté une collection de fin d’études expérimentales, conçue avec du verre, puis lancer ma marque à New York où je devais me rendre régulièrement dans les usines et salons d’essayage. Toutes ces expériences très différentes ont façonné ma carrière et comment j’appréhende aujourd’hui le métier de directeur artistique.”
 

Préserver l’héritage glamour de Carolina Herrera

 

Malheureusement aujourd’hui, beaucoup de grandes marques de mode américaines comme Bill Blass, Geoffrey Beene et Halston, bien qu’elles existent encore, n’ont plus rien à voir avec ce qu’elles étaient lors de leurs heures de gloire. Pour moi, Carolina Herrera est vraiment une maison exceptionnelle, qui évoque le glamour et l’énergie du New York des années 60, 70, 80 et 90. C’est pourquoi incarner la seconde génération de créateurs à diriger une maison américaine était à la fois une opportunité très excitante, qui, en même, impliquait de faire preuve d’humilité. Je souhaite que la marque survive au départ de sa fondatrice et c’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles j’ai accepté ce poste de directeur artistique [Wes Gordon était âgé de 31 ans lors de sa nomination en 2018, ndlr]. Et ce malgré la responsabilité énorme de perpétuer l’héritage que Madame Herrera a passé 40 ans de sa vie à construire avec son mari et sa fille. D’ailleurs la pression que j’ai ressenti lors de mes premières collections était moins liée à l’opinion des critiques qu’à un désir de la rendre fière de la maison qui possède leur nom. D’autant qu’elle s’est mise complètement en retrait et a fait confiance à un autre créateur pour s’occuper de sa maison, ce qui est tout à fait remarquable.
 

La mode glamour et flamboyante de Wes Gordon pour Carolina Herrera

 

“Carolina Herrera était une femme très chic qui habillait des femmes tout aussi chics et son héritage ne se résume pas à une robe ou une coupe en particulier. C’est l’incarnation de toutes ces femmes, audacieuses et sûres d’elles, qui aiment être glamour et sous le feu des projecteurs. Chaque saison, je conçois des vêtements pour des femmes qui s’habillent pour elles-mêmes, mais aussi pour se faire remarquer et être fabuleuses. Je ne veux pas trop intellectualiser mes collections, ce n’est ni l’esprit de Carolina Herrera, ni celui de la mode américaine. La vision que j’ai de de Carolina Herrera – qui n’est pas nécessairement un goût personnel que j’appliquerai de façon systématique – c’est une vitalité et un dynamisme qui ne s’incarnent qu’à travers des couleurs pures et saturées, c’est pourquoi j’ai immédiatement introduit beaucoup de couleurs et de motifs flamboyants. D’ailleurs, mon processus créatif débute par la recherche des teintes les plus pures possibles et nous expérimentons beaucoup afin d’enlever tout ce qui pourrait les rendre ternes. Par la suite, nous réfléchissons aux motifs, puis aux tissus et enfin aux vêtements. Finalement, j’envisage les couleurs comme un langage, ou une formidable boîte à outils, que l’on peut utiliser dans différents domaines comme la mode et la beauté.”

La créatrice de Caroline Herrera par Andy Warhol
Tessa Thompson et Wes Gordon au Met Gala 2022à New York City. (Photo by Kevin Mazur/MG22/Getty Images for The Met Museum/Vogue )
Wes Gordon et Karlie Kloss au Met Gala 2021 à New York City. (Photo by Taylor Hill/WireImage)